(Note de lecture), Eric Sautou, La Véranda, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

On entre dans un tombeau, la dédicace nous indique de qui, « En souvenir de Marcelle Sautou (1928-2014) », la mère de l’auteur, lequel fait suite au juste précédemment paru, À son défunt1, série de poèmes à la mère disparue également, qui s’achevait sur une photo de celle-ci.
Le motif de la véranda, et les poèmes, dès les premiers vers,
mon visage
est le même et moi-même qui dans
la véranda
reste là qui suis assise
seule
je me sens
seule
et seule
et moi
qui reste là qui suis assise
seule

nous fait, et font, songer, bien que l’œuvre d’Éric Sautou n’ait rien et absolument rien de naturaliste, songer à quelques toiles d’Edward Hopper représentant des femmes seules devant une grande fenêtre ou une baie vitrée et semblant ne regarder rien sinon le temps passant (Room in Brooklyn, Western Motel, Cape Cod Morning, et bien d’autres). Un effet ralenti du temps, mélancolique, d’un temps qui passe sans que rien ne se passe, en les apparences toutes faites. Tout arrive ici dans La Véranda dans l’extrême ténuité des choses, et tout particulièrement dans la chute des feuilles. La véranda est un lieu d’observation, dont on s’absente pour être dehors, où on n’est pas, on y regarde, un lieu de rêverie absente, « parce que c’est nulle part (parce que) ».
Faire le deuil de quelqu’un, c’est opérer ce travail destiné à accepter la séparation définitive, le vivre-avec-sans, mais, surtout peut-être, à couper avec ce qui fut et ne sera plus. Il n’est pas sûr que l’ensemble composé par Eric Sautou fasse deuil. En effet, sous une forme initiale de prosopopée, laissant la parole à la défunte, le poète s’immisce progressivement dans la parole de sa mère, au point où parfois il nous advient de ne plus savoir qui parle, la mère ou le fils, quand « je » est prononcé, « j’ai besoin de parler de ne parler qu’à toi/et je te dis des choses/comme ça pendant des heures ». Cela se passe, et c’est peut-être ce qui se passe d’essentiel, dans la lenteur où les mots sont posés, et pèsent d’une mystérieuse légèreté, avec beaucoup de raffinement et de délicatesse, sans ostentations, imperceptiblement, en façons de ritournelles ; car le ressassement, chez Eric Sautou, a l’élégance ritournelle d’un prélude à la mort. Deux solitudes profondes s’accompagnent, se comprennent, s’étreignent, sinon fusionnent. Alors la séparation n’opère pas vraiment, le fils rejoint la mère plutôt qu’il s’en détache. Il la rejoint dans la véranda, une véranda mentale, espace de retrouvailles, lieu d’attente, purgatoire. C’est une voix menue qui se fait entendre, comme suspendue à ces feuilles d’automne qui s’accrochent encore à la branche avant de tomber, à un fil de vie. Et alors « la mort est une idée qui passe »… Comme ces grands blancs entre les vers, ces gouffres de rien.
Eric Sautou, c’est la voix de personne, en personne. Une voix d’une très grande délicatesse, s’effaçant, qui reste en surface du réel, en toute apparence, encore, « j’ai ma voix pour personne et qui attend ». Parfois les mots semblent vouloir effacer ce qui vient d’être dit : « personne n’est là je ne sais pas/comment je fais plus le temps passe/ce que je dis parfois je ne sais pas/comment je fais plus le temps passe ce que je fais je ne sais pas », exprimant, dans la plus grande discrétion, le regret d’être.
Mais une véranda est aussi une pièce lumineuse, quelle que soit la couleur du ciel, et même si « le jour est sombre » ; c’est pourquoi cette Véranda, qui est un tombeau, est un tombeau lumineux.
1 À son défunt, Faï Fioc, 2017
Jean-Pascal Dubost

Eric Sautou, La Véranda, Unes, 40 p., 14€