Cerquiglini, Bernard, L’invention de Nithard, compte-rendu

Publié le 05 janvier 2019 par Antropologia

Paris, Minuit, 128 pages, 15 euros.

   Nous connaissons Bernard Cerquiglini pour son érudition (L’accent du souvenir) et son art (Le roman de l’orthographe) pour ne prendre que deux exemples parmi d’autres. Voici qu’il s’occupe aujourd’hui du premier texte écrit en français, « le serment de Strasbourg », et surtout de son rédacteur, Nithard, petit-fils de Charlemagne. Il reprend la démarche de l’invention – la genèse d’un objet – pour « faire du processus d’enquête un instrument de connaissance » qu’il appelle road-movie. Cette présentation permet de conserver la spécificité de chaque information – son contexte, sa force et ses limites – tout en combinant les données les plus hétéroclites – le coup de pied dans le carton contenant les ossements de Nithard – avec l’examen philologique le plus exigeant. Elle permet de remplacer les relations de cause à effet – l’intrigue – par la chronologie – l’histoire. Cerquiglini va même jusqu’à critiquer ses propres manières de travailler telles qu’il les pratiquait (avec d’autres comme Renée Balibar) il y a trente ans.

Nous accédons ainsi aux conditions de réalisation de ce texte singulier qu’est le « serment de Strasbourg », la première expression écrite d’une langue vouée à un certain succès au travers de son rédacteur identifié et caractérisé, Nithard. Nous voilà passés au singulier, la personne derrière le texte. Je ne peux cependant m’empêcher de douter de deux hypothèses sur lesquelles s’appuie Cerquiglini. Il pose que le latin était parlé par tous les habitants de l’actuelle France, et qu’une langue ne se crée pas, qu’elle ne résulte que de la transformation de précédentes. Ces deux objections très marginales n’enlèvent pas le plaisir d’accéder à des domaines méconnus et à une  stimulante érudition qui sait faire feu de tout bois.

Bernard Traimond