André Cadere : un art vagabond

Publié le 11 janvier 2019 par Pantalaskas @chapeau_noir

Au début des année soixante dix, à Paris, une silhouette, devenue familière dans les galeries, les musées, déambule dans les rues du quartier Latin. Ce promeneur nonchalant est identifiable par un bâton de pèlerin quelque peu énigmatique qu’il promène immanquablement sur tous ses itinéraires.

André Cadere, rue Mazarine Paris 1973

Que fait là ce personnage singulier tenant à la main cet objet étrange, mal identifié ? André Cadere, depuis 1967, a quitté sa Roumanie natale pour Paris. Il fréquente alors Isidore Isou et le cercle des Lettristes. Il aurait pu rester un artiste parmi les autres qui, après s’être adonné à une peinture proche de l’Op art, propose des tableaux-reliefs composés de demi-baguettes colorées. Mais, en ce début des années soixante dix, Cadere a franchi un pas décisif. Ce n’est pas seulement le produit de son travail qui compte mais sa posture personnelle.
L’objet lui-même, ce bâton dont il ne se sépare jamais, répond pourtant déjà à des règles précises : « Une barre de bois rond est immuable, toute pièce étant à chaque fois différente l’une de l’autre, l’ensemble du travail étant une constellation. Cette constellation étant strictement limitée. D’un autre côté, mon activité n’a pas de suite, ni d’avenir. Il n’y a pas d’évolution, une barre de bois rond est. » écrit-il au galeriste Yvon Lambert en 1978. »
Si l’on creuse un peu dans ce protocole, on découvre que les séquences de couleur y sont organisées selon des combinaisons mathématiques. Et chaque barre devient unique grâce à l’introduction d’une erreur dans la permutation des segments colorés.

« Héros »

Mais l’essentiel tient davantage, me semble-t-il, à cette posture que Cadere n’hésite pas à qualifier de « Héros » : « On pourrait dire qu’un héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme les autres. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui, d’une façon ou d’une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence« .
L’artiste a décidé que le bouleversement de la notion d’exposition passe par ce qui, bien plus qu’un geste, devient une attitude permanente, quotidienne : sillonner les circuits des galeries, des institutions, s’immiscer en visiteur lambda au cœur des expositions, des vernissages, porter avec lui comme un étendard modeste ce bâton coloré qui, peu à peu, fait partie du paysage artistique, faire corps avec cette œuvre dont on ne sait pas si elle est acceptée ou seulement tolérée dans les manifestations d’art. A cette époque où d’autres artistes ont, eux-aussi, beaucoup contribué à remettre en question la notion d’œuvre, de production artistique, les pérégrinations de Cadere interpellent davantage encore sur le statut même de l’artiste.
J’avais eu l’occasion de rencontrer André Cadere dans ces années soixante dix, de le voir flâner à l’époque au quartier Latin, respectant à la lettre un circuit qu’il s’était fixé et que l’on pouvait vérifier sur un tract distribué aux intéressés. Cet homme à la voix un peu traînante, occupait un atelier qui paraissait d’autant plus immense que ses bâtons colorés occupaient une place minuscule. Mort jeune, à quarante quatre ans, on aurait pu imaginer que son protocole éphémère tomberait aux oubliettes de l’histoire de l’art.

 « Une Saison Roumaine« 

André Cadere exposition Centre Pompidou Paris 2019

Le Centre Pompidou de Paris, dans la grande exposition « Une Saison Roumaine« , redonne à Cadere une place significative dans la mémoire de l’art de ces années soixante dix. A la manière de Cadere, ce n’est pas une salle qui lui est réservée. Même si l’homme n’est plus là, ses bâtons colorés se promènent au gré des espaces du Centre Pompidou, se retrouvent posés ici et là, dans un couloir anodin, près d’une œuvre, fixés en haut d’un mur …
C’est peut-être le paradoxe auquel André Cadere n’a pas échappé : se situer délibérément en marge des institutions, du circuit marchand et  cependant « coller » en permanence avec ces institutions, ces lieux du marché de l’art, avec ses rites (vernissages, foires d’art et c…).
Au point que l’existence même de son protocole ne pouvait se révéler qu’à cette condition : adhérer physiquement en permanence avec le monde qu’il remettait en question. Entre production artistique et performance, l’artiste a signé et coloré à sa manière cette époque des années soixante dix. Au Centre Pompidou, les allées du musées témoignent de cette mémoire.

Photos Rue Mazarine : @ Jean François Riviere/imago
Centre Pompidou  : de l’auteur

Une saison Roumaine
André Cadere « Pas  à pas »
A partir du 28 Novembre 2018
Centre Pompidou Paris