(Anthologie permanente) Serge Pey, Le Carnaval des poètes

Par Florence Trocmé

Serge Pey publie
Le Carnaval des poètes
aux éditions Flammarion.
Poezibao  propose aujourd’hui quelques extraits de ce livre
et une note de lecture.
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Seigneur
caché des métaux
un comédien épuisé
s'est déguisé
en Verlaine
Il est derrière
les barreaux
d'une prison
pendant
qu'une mouche verte
tire le chariot
Arthur
danse avec un ange
en boitant
le genou scié
par une sauterelle
Il a un poignard
de plastique enfoncé
entre la première et la deuxième
vertèbre
Il titube
sur une seule jambe
Il est un ex-voto
aux cheveux frisés
Je ne sais
si c'est vrai
mais sur une étagère
sa mère
garde des fœtus
dans des bocaux
qui sourient d'un rire
tranquille et beau
Il porte à son cou
un pistolet
pour tirer sur l'amour
qui aime l'amour
de toute sa haine
Il arrange
dans un vase
des bouquets
de roses futures
et non prononcées
Le char
des poètes absolus
le suit
dans un vertige liquide
laissant couler
derrière lui
une traînée de sable vert
et un boxeur guitariste
La lumière
s'est arrêtée
de faire de l'ombre
et les yeux de la mer
se crèvent
à chaque sirène
Un mot d'ordre
d'Alfred de Vigny
extrait de Stello
est bombé sur les barreaux
d'une grille
Une parenthèse inconcevable
au milieu du froid
C'est poète absolu
qu'il fallait dire
pour rester
dans le calme
mais outre que k calme
n'est guère de mise
en ces temps-ci
notre titre a cela
pour lui qu'il répond
juste à notre haine et
nous en sommes sûrs
à celle des survivants

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Des oiseaux-scaphandriers
fument
dans des assiettes
Thierry venu d'une lointaine
ville de l'Est
regarde un enfant
traversant la chaussée
comme un anniversaire
Dino Campana
avance seul
avec un singe
suicidé
par un accordéon
et des doigts
de maïs
Pablo de Rokha
nettoie des portemanteaux
Maïakovski
scrute le monde
à travers le canon de sa Kalatch
pas encore née
La poésie
est une chaise blanche
qui monte au ciel
Une pirogue
laboure les champs
Les lapins ensanglantés
des boussoles égorgent
les merles
Le costume debout
de Ghérasim
conduit l'attelage
Il vomit
de l'eau d'égout
Ses poumons
sont percés
par les yeux des poissons
Hova
Hova
Jean-Joseph
laisse tomber
de la morve noire
depuis un hélicoptère
hain-teny
hain-teny

Car la poésie
est parfois un sacrifice
où la vie
tue un seul mot
qui retourne
la poésie
Serge Pey, Le Carnaval des poètes, Flammarion, 2019, 476 p., 22€, pp. 141/145
Lire cette note de lecture.
Sur le site de l’éditeur : « Héritier du surréalisme international, attaché à ses racines sudistes, Serge Pey se réclame de plusieurs traditions – provençale, amérindienne, anarchiste, sans parler du cante jondo ou de l’hérésie cathare – et d’un archaïsme fondamental : celui du chamanisme sans patrie qui est l’axe central de la poésie telle qu’il la pratique et l’entend. Le Carnaval des poètes vient s’inscrire comme en point d’orgue au terme de quatre décennies d’écriture et de poésie-action. En faisant défiler une cohorte de chars et de masques grotesques ou graves dans un joyeux chaos temporel, le livre renoue avec une veine satirique qui ne s’interdit ni la louange ni la trivialité, perpétuant la tradition du carnaval où les valeurs s’inversent et où la "bassesse" reprend ses droits pour proférer d’autres mystères. Que la poésie puisse se permettre de semblables fêtes – à l’encontre des cérémonies confites qui la guettent – a quelque chose de rassurant. Même si c’est toujours vers une lumière plus secrète que tendent les flammes noires du poème de Pey. »
Serge Pey dans Poezibao :
extrait 1, Albert Birot Arlette, Serge Pey, la bouche est une oreille qui voit (fiche de lecture), ext. 2, ext. 3, (anthologie permanente) Serge Pey, "Le soleil et la loupe", (Anthologie permanente) Serge Pey, "Mathématique générale de l'infini", (Brèves de lecture) Luc Bénazet, Serge Pey, Pierre Chappuis (par Camille Brantes, Antoine Emaz et Laurent Albarracin), (Carte blanche) à Catherine Zittoun : "Serge Pey et la boîte aux lettres du cimetière"