Critique des Oubliés Alger-Paris, du Birgit Ensemble, vu le 1er février 2019 au Théâtre du Vieux-Colombier
Avec Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Serge Bagdassarian, Nâzim Boudjenah, Danièle Lebrun, Elliot Jenicot, Pauline Clément, dans une mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot – le Birgit Ensemble
J’ai quelque chose à confesser : j’ai longtemps eu beaucoup de mal avec les cours d’histoire. A moins d’avoir des profs exceptionnels – et, heureusement, ça m’est arrivé – j’avais du mal à échapper à l’ennui. Ce n’est que plus tard que, ma curiosité se développant davantage et mon manque de repères me sautant aux yeux, j’ai renoué avec la matière alors si redoutée. Et, souvent, c’est par le théâtre que je comble certaines lacunes. J’étais donc très enthousiaste devant l’annonce de ces Oubliés qui devaient revenir sur la guerre d’Algérie, si taboue en France, et mon impasse au bac par la même occasion. J’en sors toujours aussi inculte.
Le Birgit Ensemble a choisi de mêler deux époques au sein de son spectacle : d’un côté, le mariage de Alice Legendre et Karim Bacri, aujourd’hui, en 2019. De l’autre, la naissance de la Ve République, avec des scènes allant de 1958 à 1961. L’une des histoires devrait servir l’autre, en permettre une meilleure compréhension, une meilleure appréhension. Mais l’effet produit n’est pas celui escompté : aucun lien ne se dégage de ces deux histoires. En cause, un texte frôlant le ridicule qui perd un peu plus le spectateur à chaque phrase.
Cet article risque de se transformer rapidement en une descente en flèche, mais je le veux aussi témoin de mon incompréhension. Comment est-il possible qu’Éric Ruf, dont l’intelligence, le talent, et les goûts artistiques ne sont plus à prouver, ait accepté qu’un tel projet voie le jour au Vieux-Colombier ? Sur quelles déclarations du Birgit Ensemble s’est-il appuyé ? Qu’ont-elles pu lui montrer qui l’ait poussé dans cette absurde décision ? Et surtout, quelle fut sa réaction lorsqu’il a découvert ce spectacle, pas même digne d’une troupe de lycéens ?
© Christophe Raynaud de Lage
Par où commencer ? Il y a d’abord le dispositif bifrontal. A la réservation, comme dans le programme, il est indiqué que d’un côté se trouve l’Algérie, et de l’autre la France. On sent comme une inspiration d’un spectacle de Christiane Jatahy mais après tout, pourquoi pas. Seulement voilà, quand nous arrivons et que nous demandons à l’ouvreuse de quel côté nous nous situons, elle ne comprend pas de quoi nous voulons parler. Je m’étonne tout d’abord et comprend rapidement : le dispositif bifrontal n’est ici d’aucune utilité. Peut-être en avait-il une sur le papier préexistant au spectacle, mais pour une raison ou une autre, on a finalement dû abandonner le sens profond de ce dispositif pour n’en garder que la forme. Après tout c’est sympa, ça fait moderne, et puis il y a plus de gens qui voient bien. Soit.
Mais il y a surtout l’écriture. C’est le clou du spectacle. Mais pas celui qui entraîne des ovations. Plutôt celui qu’on plante dans une partie de ton corps à coups de marteau dès qu’un comédien ouvre la bouche. Je ne peux concevoir qu’un texte pareil soit joué sur la scène du Premier Théâtre de France. Imaginez : le niveau zéro de l’écriture. Un spectacle si didactique que tout ce qui touche à l’Histoire est en fait directement tiré de Wikipedia. Et je ne plaisante pas. Tout devient excuse pour réciter son cours de la manière la plus scolaire – et donc la plus plate – possible. C’est tellement gros qu’au moment où j’écris ces lignes je me dis que ce n’était pas réel. Et pourtant, ça a commencé dès les premières minutes.
Dans ce spectacle, tout est amené avec de grosses ficelles. On sent l’idée – c’est un grand mot – derrière chaque tournure de phrase. On voit exactement où on veut nous amener. Ainsi du mariage contractualisé par une maire évidemment femme, ce qui sera souligné rapidement par une phrase bien appuyée sur le fait qu’il y a quelques années, cela aurait été impossible. Ainsi d’un personnage de professeur, qui dès qu’il le peut nous récite Wikipédia dans l’espoir de donner un peu de contenu à ce spectacle – un échec. Ainsi d’une fuite d’eau résistante, métaphore ô combien subtile pour souligner ce mariage qui menace de couler. Ainsi d’une application iStoric qui permet d’établir des liens entre le mobilier de la mairie et le début de la Ve République.
Ainsi du spectacle entier. Tout est si grossier qu’on se demande comment l’écriture de plateau s’est déroulée. Je ne peux pas croire – je ne veux pas croire ! – que les comédiens aient pu cautionner un tel vide dans l’écriture. Les répliques se suivent et se ressemblent, toutes aussi décevantes les unes que les autres. Le pire se situe pendant les changements de décors nécessaires à indiquer les changements d’époque : sur un écran, chacun des personnages aura droit à une petite minute d’introspection. Filmés seuls face à leur miroir, on les voit se parler à eux-mêmes dans des monologues dignes d’une mauvaise série de TF1. J’ai mal pour eux, d’autant que s’il y a bien un point où on ne s’est pas moqué de nous, c’est bien sur la distribution réunie sur la scène du Vieux-Colombier. On leur souhaite bien du courage – allez, il ne reste qu’un mois.
J’ai retrouvé mes démons : devant ces Oubliés, comme devant mes cours d’histoire, l’ennui s’est installé.
© Christophe Raynaud de Lage