L'avenir peut-il être inscrit dans la pierre?

Par Chatperlipopette


Un beau jour, en Thaïlande, l'apparition d'un monument hors norme, vient bousculer le quotidien de la planète Terre. C'est un immense obélisque, lisse, noir et miroitant qui annonce une victoire grandiose, d'un certain Kuin, qui aura lieu dans vingt ans! D'où sort-il? Qui l'a envoyé? Par quel procédé encore inconnu sur Terre? Peu à peu, à mesure que ces apparitions de pierre s'étendent à travers le monde, on parle de "Chronolithes": abolissent-ils le temps? Le nient-ils? En font-ils un non-sens? Toujours est-il que ces étranges blocs vont bouleverser la vie de Scott Warden qui se retrouve embarqué dans une course et une enquête des plus échevelées en compagnie de son ancien professeur de physique, l'excentrique Sulamith Chopra, d'un ancien compagnon d'aventure thaïlandaise, Hitch Pailey, d'un membre du FBI, Morris et d'un assitant de Sue Chopra, Ray....et cela pendant quasiment vingt ans.
Robert Wilson emmène son lecteur sur une Terre exangue à force d'avoir été exploitée par l'homme. La pollution a mis à mal la biodiversité, les nappes phréatiques et aquifères sont en voie d'assèchement, les changements climatiques entraînent des exodes inexorables et inquiétants, la marchandisation du monde mis à genoux les économies mondiales notamment celle de l'Asie, zone géopolitique où la déstabilisation des états et des sociétés provoque le chaos. Les pays asiatiques sont aux mains des potentats locaux qui se livrent à une guérilla sans fin et destructrice. Seuls l'Amérique du Nord et l'Europe semblent résister au désastre économique mais au prix de la désespérance de leurs habitants et de la montée en puissance des cellules kuinistes, les clubs copperheads. Nous sommes en 2020 autant dire un futur très, très proche et très réaliste.
Les Chronolithes deviennent des symboles de la puissance à venir de Kuin, cet inconnu qui force l'admiration, qui inquiète et qui provoque un sentiment de résignation au sein des peuples dans l'attente de son avènement. Pourquoi se battre puisque Kuin sera, de toute manière, vainqueur...c'est inscrit sur les Chronolithes c'est à dire dans l'avenir! Kuin, figure charismatique à laquelle s'accrochent désespérement les laissés pour compte, les abandonnés de l'économie contraints de vivre dans les bidonvilles des périphéries urbaines. Kuin, ses Chronolithes amenant en pélerinage, en hadj, des milliers d'hommes et de femmes, jeunes pour la plupart, vers leurs lieux d'apparition. Les Hadjis parfois sans foi ni loi, hormis celle de la violence et de la force, à l'aulne de celle engendrée par les obélisques gigantesques engoncés dans la glace et dévastant les paysages.
"Les Chronolithes" amène le lecteur à s'interroger: l'avenir est-il déjà tout tracé, inéluctable? Peut-on reconstruire le présent à partir d'un futur destructeur? Le hasard existe-t-il vraiment ("Tout est lié Scotty, même si nous ne voyons ni les boucles ni les noeuds. Le passé et l'avenir, le bien et le mal, le çà et le là...Tout cela ne fait qu'un." p 343 et 344)? A travers le récit, a postériori, du narrateur, l'auteur n'impose rien à son lecteur, n'interfère pas sur sa compréhension du message. Le narrateur explique les conséquences des évènements sur sa vie privée, les hasards qui n'en sont sans doute pas (il rencontre inopinément les personnes qui marqueront les grandes étapes de sa vie: Sue, Adam...), les éléments de réponse à la présence des Chronolithes.
Un roman qui happe dès les premières pages, écrit avec justesse, sans grosses ficelles lassantes, par un auteur qui aime ses personnages, qui aime ses semblables donnant ainsi au récit une dimension pleine d'humanité et d'espoir.

"Le monument. Tout d'abord, il ne s'agissait pas d'une statue (...) mais d'un pilier à quatre côtés au sommet lisse et conique. Constitué d'un matériau qui évoquait le verre, mais à une échelle ridicule et impossible. Il était bleu, de ce bleu profond et insondable des lacs de montagne qui parvient à paraître à la fois paisible et inquiétant. Malgré son opacité, il semblait translucide. Le côté face à nous - le côté nord - était couvert de croûtes blanches. J'ai identifié avec stupéfaction de la glace qui se sublimait lentement dans la lumière moite. Dans la forêt dévastée humide de brouillard, à la base du monument, des monticules de neige en train de fondre masquaient l'intersection entre l'objet et le sol." (p 22 et 23)

Roman traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet