Afriques et diasporas

Publié le 04 mai 2019 par Aicasc @aica_sc

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De la construction d’un marché de l’art contemporain africain en France à l’explosion de l’art afro-américain aux États-Unis: décryptage du souffle “africain” qui secoue l’ensemble du Marché de l’Art.Une nouvelle tendance de fond se distingue sur la scène du Marché de l’Art Contemporain. Elle concerne la scène contemporaine africaine au sens large, et s’exprime différemment selon les places de marché. Tandis que les acteurs du marché de l’art français opèrent, depuis des années, un travail de fond pour valoriser les artistes contemporains issus du continent africain, les Britanniques redécouvrent (et re-valorisent) l’apport des artistes afro-britanniques dans leur histoire culturelle, et les Américains font exploser les prix de quelques têtes d’affiche afro-américaines.La “scène contemporaine africaine” ne s’arrête donc pas aux artistes nés en Afrique. Elle est élargie à ceux issus d’une diaspora choisie ou forcée et englobe les métissages culturels les plus divers: afro-européenne, afro-américaine ou afro-politaine, un mot-valise apparu il y a une dizaine d’années pour désigner une identité résolument transculturelle, souvent galvaudée en argument marketing dans les magazines “lifestyle”.Ces dernières années, commissaires d’expositions, institutionnels, historiens, critiques et marchands ont multiplié les expositions et les publications consacrées à cette “scène africaine”. Cette nouvelle tendance curatoriale a rapidement été appliquée au Marché de l’Art. Par-delà des limites sémantiques, le Marché, lui, ne retient que le champ des possibilités.Aujourd’hui, les sociétés de ventes sont de plus en plus nombreuses à organiser des ventes thématiques d’artistes africains de naissance ou porteurs d’une “mémoire” africaine. Elles commencent à récolter les fruits de leur travail et misent de plus en plus sur le développement de ce marché porteur.Expositions et diffusion

Plusieurs expositions ont joué un rôle fondamental dans l’émergence de la scène africaine, notamment en France, pays qui entretient une longue histoire avec l’Afrique. La première exposition marquante remonte à 1989, avec Les Magiciens de la Terre qui mettait pour la première fois les artistes des cinq continents à égalité (Centre Pompidou, Paris). Le commissariat est alors assuré par Jean-Hubert Martin et André Magnin dont le rôle s’est avéré essentiel par la suite.

Après avoir constitué la puissante “Contemporary African Art Collection” de Jean Pigozzi pendant 20 ans (CAAC, un fond de 15.000 œuvres d’art contemporain africain domicilié à Genève), André Magnin a organisé des expositions décisives (parmi lesquelles Out of Africa à Londres, African Art Now à Houston, 100 % Africa au Guggenheim de Bilbao) et oeuvré pour la constitution d’un Marché de l’Art Contemporain africain, révélant au passage des artistes tels que Chéri SAMBA ou Romuald HAZOUMÉ.

Records personnels d’artistes contemporains africains aux enchères

Artiste Œuvre Prix Date Maison de ventes

Chéri SAMBA (1956) Le seul et unique devoir sacré d’un enfant (2007) 140.280$ 12/06/2017 Cornette de Saint Cyr Paris

Romuald HAZOUMÉ (1962) Alexandra 31.121$ 11/11/2016 Sotheby’s Londres

Frédéric BRULY BOUABRE (1923-2014) Costumes (2010) 70.364$ 30/12/2017 Artcurial (S.V.V.) Paris

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16 ans après Les Magiciens de la Terre, Africa remix (2005) a constitué une autre étape clef. Cette exposition itinérante a conduit des œuvres de Yinka SHONIBARE, Ghada AMER ou encore Julie MEHRETU – quelques artistes parmi les plus en vogue aujourd’hui – en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France et au Japon. Puis le rythme des expositions s’est considérablement accéléré après 2010. En 2015, la Fondation Cartier remporte un succès phénoménal avec Beauté Congo (150.000 visiteurs). L’année suivante, Seydou KEITA expose au Grand Palais; en 2017, la Fondation Vuitton accueille Art/Afrique tandis que le Palais des Papes d’Avignon propose Les éclaireurs, sculpteurs d’Afrique

Ces expositions, et bien d’autres, ont permis d’élargir le public de la bouillonnante scène contemporaine africaine ou issue de la diaspora. Plusieurs artistes ayant participé à ces événements ont intégré depuis les collections permanentes de grands musées, dont le Centre Pompidou, la Tate Modern ou le MoMA.

Le soutien d’une autre institution puissante, la Biennale de Venise, n’est pas anodin: en 2013, l’Angola est devenu le premier pays africain distingué par un Lion d’Or (Lion d’Or du meilleur pavillon national). Deux ans plus tard, la direction artistique de la Biennale est confiée au commissaire d’exposition nigérian Okwui Enwezor, tandis que l’artiste ghanéen El ANATSUI recevait un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière. En 2017, le même artiste a été honoré du Praemium Imperiale, l’équivalent du Nobel pour l’art.

Développement des salons et des enchères

Parallèlement à la multiplication des expositions et des signes de reconnaissance, le développement d’un salon en particulier, 1-54, a permis d’étendre le public et le cercle des acheteurs potentiels. Initié à Londres par l’entrepreneuse franco-marocaine Touria El Glaoui en 2013, ce salon s’est fait une spécialité des artistes des nations africaines et de leur diaspora. Le nom de l’évènement, 1-54, fait référence aux 54 pays qui composent le continent africain. Cette foire spécialisée apparaît comme une réponse à la sous-représentation des artistes africains dans les grandes foires internationales, et son succès est grandissant depuis sa création. 1-54 est montée en puissance à Londres (15.000 visiteurs cette année), s’exporte à New York pendant la Frieze Art Fair depuis trois ans, et arrive désormais sur le continent africain, avec une première édition à Marrakech en 2018. La foire a su se démarquer et prendre sa place dans le maillage international.

Même constat pour Victoria Mann, qui organise à Paris le salon AKAA (Also Known As Africa) afin de mettre en valeur une scène artistique vue à travers le prisme de l’Afrique (artistes africains et influences croisées dans le reste du monde). Les propositions d’AKAA sont bien accueillies et une troisième édition s’ouvre à Paris en novembre 2018. Ces deux salons sont importants pour la valorisation de ces scènes artistiques à Paris, Londres, New York et Marrakech, des scènes qui ne laissent pas insensibles les sociétés de ventes aux enchères…

La construction d’un segment de marché réservé à l’art contemporain “africain” n’est pas un phénomène totalement nouveau. Sotheby’s a ouvert la voie à Londres en 1999 avec la dispersion d’un pan de la collection Jean Pigozzi. En France, la maison de ventes Gaïa a défriché la scène contemporaine africaine dès 2007 et Bonhams à Londres dès 2009, année d’une première vente thématique “Africa Now” reconduite annuellement depuis. A l’époque, les résultats emportés n’étaient pas toujours concluants faute d’amateurs, mais la donne a considérablement changé. Un nombre grandissant d’artistes a gagné une assise institutionnelle et le soutien d’importantes galeries.

C’est dans ce contexte porteur que les sociétés de ventes s’engagent avec optimisme, confiantes dans l’énorme potentiel de développement de ce marché. Depuis peu, Artcurial et Piasa (Paris) donnent des ventes strictement dédiées à la création africaine. Sotheby’s a, quant à elle, ouvert un département spécialisé en art moderne et contemporain africain à Londres en 2017. La vente inaugurale s’est d’ailleurs conclue sur 16 records. Stimulés par la croissance phénoménale des prix sur les cinq dernières années, les acheteurs se multiplient à Paris, Londres, New York, Johannesburg ou au Cap, tandis que les grandes sociétés de ventes se disputent les têtes d’affiche dont la renommée est faite et la demande mondialisée, telles que Yinka SHONIBARE (1962) ou William KENTRIDGE (1955).

Comparaison des ventes africaines

Titre Maison de ventes Date Produit de ventes Lots vendus Meilleur record

Africa Now Bonhams – Londres 28/02/2018 2.745.011$ 58 1.661.472$

Modern and Contemporary African Art Sotheby’s – Londres 16/05/2017 3.608.013$ 79 940.816$

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En-dehors de Londres et de Paris, un phénomène particulier se fait sentir à New York, où l’on constate une forte agitation autour de plusieurs artistes afro-américains, souvent portés par de puissants soutiens politiques, médiatiques et culturels.

Ruée sur les peintres afro-américains

Depuis les Etats-Unis, la montée en puissance d’oeuvres afro-américaines est manifeste. Nous assistons à une véritable envolée des prix, signe d’une nouvelle tendance de fond plus que d’un simple coup de projecteur. L’agitation se fait en effet sentir à tous les niveaux: repositionnement de galeries influentes, achats et commandes de la part de stars médiatiques et de politiciens, développement des archives relatives à l’art afro-américain du côté des musées (le Smithsonian’s Archives of American Art notamment), accélération des acquisitions et des donations (le California African American Museum a reçu une donation privée de 32 œuvres d’artistes afro-américains cette année, dont des œuvres de Sam DOYLE, Jimmy Lee SUDDUTH et Purvis YOUNG), liste d’attente, enfin, pour espérer acquérir une signature aussi en vogue que celle de Njideka Akunyili CROSBY.

Les choix affichés par Barack et Michelle Obama ont sans doute consolidé cette tendance… Déjà, alors qu’ils occupaient la Maison Blanche, le couple Obama avait remanié l’accrochage pour mettre en valeur des artistes afro-américains tels que Glenn LIGON, William Henry JOHNSON et Alma Woodsey THOMAS. Puis vint la réalisation de leurs portraits officiels destinés à la National Portrait Gallery de Washington. Ils ont alors opté pour deux artistes afro-américains: Kehinde WILEY et Amy SHERALD, dont la modernité des propositions a profondément agité la presse et l’opinion publique, et dont la médiatisation, au début de l’année 2018, a fortement impacté les cotes.

Avant que Michelle Obama ne lui passe commande, le nom d’Amy Sherald n’avait pas véritablement attiré l’attention de la critique et était inconnu dans la sphère du Marché de l’Art. Depuis, son style en nuances de gris a fait le tour du monde, et Amy Sherald a décroché un contrat avec une puissante galerie: Hauser & Wirth. Kehinde Wiley, Américano-Nigérian de 40 ans issu de la culture hip-hop, était déjà connu aux Etats-Unis et en France (il travaille avec la galerie Templon depuis plusieurs années) avant de s’atteler au portrait de Barack Obama. Mais la commande a eu un impact indéniable sur sa cote, avec un record d’enchère multiplié par deux cette année. Kehinde Wiley culmine désormais à 300.000$ pour un portrait intitulé Charles I, vendu au double de son estimation haute le 17 mai 2018, chez Sotheby’s à New York.

Top 3 des résultats de ventes de Kehinde Wiley

Œuvre Prix Date Maison de ventes

Charles I (2018) 300.000$ 17/05/2018 Sotheby’s New York

Madonna of the Rosary II (2007) 150.000$ 16/11/2017 Christie’s New York

Charles I and Henrietta Maria (After Anthony Van Dyck) 143.000$ 15/05/2014 Sotheby’s New York

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L’art de Kehinde Wiley explore des questions liées à l’identité raciale et sexuelle, à la classe sociale et au pouvoir, au sein de parodies picturales revisitant l’histoire de l’art. Ses références directes à Ingres, Titien, Rubens ou Vélasquez séduisent en replaçant la figure noire dans des visions alternatives et engagées. Il en va de même pour plusieurs artistes afro-américains qui détournent eux-aussi les codes de la peinture occidentale pour révéler des constructions socio-culturelles et sociopolitiques à travers la couleur de peau. Les collectionneurs se ruent sur cette “nouvelle tendance”, comme en témoignent les résultats exceptionnels obtenus par des oeuvres de Njideka Akunyili CROSBY (1983), Barkley L. HENDRICKS ou Kerry James MARSHALL récemment vendues aux enchères.

Afro-Américains en lice, Marshall en tête

Élevé à Los Angeles, Kerry James MARSHALL a forgé son caractère avec les mouvements d’émancipation noirs-américains dont son art se fait l’écho. Par l’utilisation de pigment, tel que le carbone, l’artiste pousse la carnation de ses personnages jusqu’au noir le plus profond au sein de compositions revisitant la tradition picturale occidentale, depuis la Renaissance jusqu’à l’époque moderne. Soutenu depuis le début des années 1990 par le galeriste Jack Shainman, Kerry James Marshall a commencé à se faire connaître plus largement en exposant à la Biennale du Whitney Museum et à la documenta de Kassel (1997). Au début des années 2000, une exposition itinérante – Méditations sur l’esthétique noire – a élargi son public américain. Nommé membre du Comité des arts et des sciences humaines par le président Barack Obama en 2013, il intègre quelques mois plus tard la puissante galerie David Zwirner.

L’effet levier est immédiat sur sa cote avec une première œuvre millionnaire aux enchères: Vignetteatteint 1,025m$ le 13 novembre 2014 chez Christie’s, alors qu’elle avait été achetée pour 541.000$ chez Sotheby’s en 2007. La cote de Marshall passe alors un cap important qui n’est que l’amorce des succès à venir. En 2016, année de sa première grande rétrospective américaine (Kerry James Marshall: Mastry au Musée d’Art Contemporain de Chicago, au Musée d’Art Contemporain de Los Angeles et au Met Breuer de New York), l’artiste double son précédent record (Plunge, 2,1m$, Christie’s, 10 mai 2016), avant de le décupler cette année avec Past Times, une immense toile où des personnages noirs se livrent à des loisirs typiquement assignés à la bourgeoisie blanche américaine – croquet, golf, canotage – et revisite au passage Le Déjeuner sur l’herbe de MANET.

L’oeuvre s’est envolée pour 21,1m$ le 16 mai 2018 chez Sotheby’s – soit neuf millions au-delà de l’estimation haute – signant le record absolu pour un artiste noir-américain vivant. Cette toile, qui avait été achetée pour 25.000$ par le “Metropolitan Pier and Exposition Authority” l’année même de sa réalisation (1997), est la dernière acquisition connue de Sean Combs, alias Puff Daddy, qui n’est pas insensible au business de l’art et possède déjà des œuvres de AI Weiwei, Andy WARHOL, Keith HARING ou Jean-Michel BASQUIAT.

Evolution du produit de ventes de Kerry James Marshall

Au cours de cette même vente, Sotheby’s proposait d’autres signatures afro-américaines, en l’occurrence celles de Njideka Akunyili Crosby et de Barkley Leonnard Hendricks, dont les œuvres ont également explosé les estimations. Barkley L. HENDRICKS est malheureusement parti quelques mois trop tôt pour assister au record de 2,1m$ – au double de l’estimation haute – emporté ce 16 mai 2018 par sa toile Brenda P, représentant la chanteuse Brenda Payton en 1974. Né en 1945 et décédé en avril 2017, l’artiste a lui aussi détourné les codes et les techniques des maîtres anciens dans sa peinture dédiée aux sujets noirs.

L’artiste d’origine nigériane Njideka Akunyili CROSBY (qui vit à Los Angeles) a été révélée en 2016 en emportant le prix Canson à New York. Sa première apparition aux enchères la même année précéda de peu une exposition organisée par la prestigieuse galerie Victoria Miro à Londres. Depuis, elle cumule six résultats millionnaires, et la production peine à suivre une demande étendue jusqu’à Hong Kong (7,5% de son produit de ventes contre 62% aux Etats-Unis). Le record de Crosby est tombé à plus de 3m$ l’année dernière chez Christie’s à Londres pour une toile représentant la grande sœur de l’artiste dans sa jeunesse (The Beautyful Ones, mars 2017), dont l’acquéreur n’est autre que Peggy Cooper Cafritz, militante en faveur de l’égalité de traitement entre les Américains, grande collectionneuse d’art afro-américain et africain, décédée cette année. Njideka Akunyili Crosby a rapidement conquis les professionnels du Marché de l’art, devenant le fer de lance de cette nouvelle génération d’artistes afro-américains qui passionnent. Dans son sillage, d’autres trentenaires sont en train de se faire un nom aux enchères, parmi lesquels Adam Pendleton et Toyin Ojih Odutola, dont les prix montent en flèche.

Le jeune Adam PENDLETON, 34 ans, affiche un nouveau record de 225.000$, contre une estimation haute de 60.000$ depuis le 15 novembre 2017 (Black Dada (K), Christie’s New York). Son travail a déjà séduit d’importantes galeries telles que la Pace et Max Hetzler, qui l’a pris sous contrat au début de l’année 2018.

De quelques mois sa cadette, Toyin Ojih ODUTOLA (née au Nigeria, élevée en Alabama et vivant à New York) a fait une entrée fracassante sur le marché des enchères en mai dernier. Un dessin de 35 centimètres s’est envolé pour 62.500$ chez Sotheby’s, contre une estimation de 10.000$ à 15.000$ (From a Place of Goodness, le 17 mai 2018). Il s’agit d’une année importante pour cette artiste prometteuse, avec une première exposition au Whitney Museum (To Wander Determined, octobre 2017-février 2018) et un nouveau contrat avec la galerie Stephen Friedman.

La valorisation de la scène afro-américaine est d’autant plus rapide qu’elle circule entre les musées, les galeries et les salles de ventes. A New York surtout. Dans une moindre mesure à Paris (Kehinde Wiley chez Templon) et à Londres, avec l’exposition sur les Afro-Américains et la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis organisée à la Tate Modern l’an dernier (Soul of a Nation: Art in the Age of Black Power, juillet-octobre 2017). Mais le travail de fond opéré à Londres concerne moins la scène afro-américaine que les artistes afro-britanniques…

Vers de nouveaux records à Londres et Paris

En 2014, la parution du livre “Black Artists in British Art: A History Since the 1950s” par Eddie Chambers est venu combler une lacune en replaçant l’histoire des artistes noirs dans l’histoire de l’art britannique. L’auteur y évoque notamment le “triumvirat triomphant”, composé de Steve MCQUEEN (premier artiste britannique noir a bénéficié d’une exposition solo à l’Institut d’art contemporain de Londres), Yinka SHONIBARE et Chris OFILI, ces deux derniers artistes ayant été révélés grâce à l’impulsion de la galerie Saatchi et l’émergence de Young British Artists à la fin des années 1990. Eddie Chambers achève son ouvrage sur les artistes récemment acclamés, dont Lynette YIADOM-BOAKYE, auréolée d’une adjudication millionnaire cette année.

D’origine ghanéenne mais née à Londres en 1977, Lynette Yiadom Boakye explore la question noire née de la colonisation en Grande-Bretagne. Deux de ses œuvres ont passé les 300.000$ sur les 12 derniers mois à Londres, tandis qu’une troisième, The Hours Behind You, faisait flamber les enchères à New York en novembre 2017: estimée entre 250.000$ et 350.000$, l’imposante toile s’est envolée au prix record de 1,6m$ chez Sotheby’s. L’enthousiasme est manifeste et ce record n’est pas isolé. D’autres d’artistes afro-britanniques se sont démarqués dans les salles de ventes londoniennes cette année, notamment Yinka Shonibare, Henry TAYLOR et Hurvin ANDERSON.

Evolution du produit de ventes de Yinka Shonibare et Lynette Yiadom Boakye

Yinka Shonibare et Henry Taylor emportent chacun un record supérieur à 300.000$ cette année. Le 7 mars dernier, l’agitation était palpable chez Christie’s, lors de la montée des enchères sur une sculpture de Shonibare mixant les codes victoriens et africains si caractéristiques de son travail. L’oeuvre a largement doublé son estimation haute, pour flirter avec les 330.000$ (Girl Balancing Knowledge, Christie’s Londres). La hausse des prix est tout aussi impressionnante pour Henry Taylor, dont le record a doublé en deux ans. Taylor culmine à 362.000$ depuis le 26 juin dernier (C&H, chez Sotheby’s Londres) et passe le million de dollars d’oeuvres vendues, ce qui l’amène à la 172ème place au classement mondial. Ses portraits d’Afro-Américains ont par ailleurs séduit le jury du prix Robert De Niro cette année, ainsi que le directeur de la galerie Blum & Poe avec qui l’artiste vient d’entamer une collaboration. Accessibles pour moins de 10.000$ il y a 10 ans, ses toiles n’ont jamais été si convoitées et si cotées.

Dans le Top 20 des nouveaux records mondiaux Hurvin ANDERSON se démarque avec un résultat de 3,4m$, excédant de deux millions l’estimation haute (Country Club: Chicken Wire, Christie’s Londres, le 6 octobre 2017). Ce qui fait de lui un artiste aussi coté que la révélation américaine Njideka Crosby. Né en 1965 à Birmingham de parents jamaïcains, Hurvin Anderson explore des questions liées à l’identité, à la communauté et à la mémoire de sa culture afro-antillaise. Les références sont très explicites dans ses œuvres récentes invoquant Malcolm X ou Martin Luther King, comme dans la toile Is it OK to be black?mise en exergue à la Tate Modern de Londres, suite à la nomination de l’artiste au Turner Prize de 2017. Même s’il n’a pas remporté le prix Turner, Hurvin Anderson a tiré grand bénéfice de ce coup de projecteur, notamment aux enchères.

Top 20 des nouveaux records personnels pour les artistes contemporains

Artiste Œuvre Prix Vente

1 CHEN Yifei (1946-2005) Warm spring in the jade pavilion (玉堂春暖) (1993) 22.640.280$ 19/12/2017 China Guardian Pékin

2 Kerry James MARSHALL (1955) Past Times (1997) 21.114.500$ 16/05/2018 Sotheby’s New York

3 Mark BRADFORD (1961) Helter Skelter I (2007) 11.979.851$ 08/03/2018 Phillips Londres

4 Mark TANSEY (1949) Source of the Loue (1988) 7.453.600$ 16/05/2018 Sotheby’s New York

5 Robert GOBER (1954) Untitled (1993-1994) 7.287.500$ 17/05/2018 Christie’s New York

6 Antony GORMLEY (1950) A Case for an Angel I (1989) 6.911.977$ 06/10/2017 Christie’s Londres

7 Cecily BROWN (1969) Suddenly Last Summer (1999) 6.776.200$ 16/05/2018 Sotheby’s New York

8 ZHOU Chunya (1955) Chinese tone (山石图) (1992) 6.743.740$ 19/06/2018 China Guardian Pékin

9 George CONDO (1957) Nude and Forms (2014) 6.162.500$ 17/05/2018 Christie’s New York

10 QIU Hanqiao (1958) Mountain rhyme (山岳之韵) 5.751.438$ 22/07/2017 Hangzhou Jiashi Hangzhou

11 AI Xuan (1947) Aspirant (有志者) (1980) 3.762.296$ 19/06/2018 China Guardian Pékin

12 Hurvin ANDERSON (1965) Country Club: Chicken Wire (2008) 3.456.804$ 06/10/2017 Christie’s Londres

13 WANG Yancheng (1960) Untitled (无题) (2014) 2.784.288$ 16/12/2017 Poly International Pékin

14 REN Zhong (1976) Nine dragons and sea《九龙闹海》(2018) 2.760.406$ 30/04/2018 Council Shanghai

15 Jonas WOOD (1977) Maritime Hotel Pot with Alo (2014) 2.292.500$ 18/05/2018 Christie’s New York

16 Barkley L. HENDRICKS (1945-2017) Brenda P (1974) 2.175.000$ 16/05/2018 Sotheby’s New York

17 XUE Liang (1956) Landscape (霞映云帆) (2012) 2.143.595$ 15/06/2018 Beijing Council Pékin

18 XUE Liang (1956) Untitled (2012) 1.755.000$ 16/11/2017 Sotheby’s New York

19 Lynette YIADOM-BOAKYE (1977) The Hours Behind You (2011) 1.575.000$ 16/11/2017 Sotheby’s New York

20 Julian SCHNABEL (1951) Ethnic Type #14 (1984) 1.452.500$ 15/11/2017 Christie’s New York

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A New York comme à Londres, l’accélération des records est manifeste pour ce jeune marché nourri d’Afrique. Par ailleurs, les acheteurs ne sont pas seulement des Occidentaux. Les sociétés de ventes enregistrent des enchères depuis le continent africain, notamment depuis Johannesbourg, Lagos et Accra.

En France, les seuils de prix obtenus pour les artistes contemporains africains sont bien moins élevés qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Néanmoins, la tendance à la hausse est tout aussi palpable. Citons, à titre d’exemple, les deux records d’adjudications obtenus pour le peintre congolais MOKE, au cours de l’année 2017: 51.000$ pour Bar nocturne et 38.000$ pour Classe des femmes, deux œuvres respectivement vendues chez Cornette de Saint Cyr à Paris, en avril et en décembre 2017. Ce peintre essentiel de l’école de Kinshasa demeure, tout comme Chéri SAMBA et Chéri CHÉRIN (1955) très loin des niveaux de prix des artistes américains ou britanniques issus de la diaspora. Son marché ne s’en consolide pas moins.

Record également pour le photographe sénégalais Omar Victor DIOP, qui puise son inspiration dans l’art occidental ou chez des photographes de mode comme Richard AVEDON. Révélé aux rencontres de Bamako en 2011, ce digne héritier des grands portraitistes africains Seydou KEITA et Malick SIDIBÉ, mène une carrière éclatante depuis la révélation de sa série Diaspora (2014) où il incarne des personnages de la diaspora africaine. C’est justement une œuvre issue de cette série, vendue 25.000$ le 30 décembre 2017, qui tient son record (Omar Ibn Said; Série Diaspora, vente thématique Paris#Marrakech: African spirit d’Artcurial). La cote de l’artiste prendrait une autre dimension si ses oeuvres gagnaient les places de marché anglo-saxonnes. Pour l’heure, elles sont réservées au marché parisien, un marché gourmand où toutes les oeuvres de Diop trouvent preneurs.

Entre le patient travail de revalorisation de l’art contemporain africain en France et l’enthousiasme rencontré aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour les artistes issus de la diaspora, le marché international s’ouvre indéniablement. Il révèle une puissance jamais atteinte jusqu’alors, avec les 21,1m$ emportés pour une œuvre de Kerry James MARSHALL, un record absolu pour un artiste afro-américain vivant, qui ne peut que renforcer l’optimisme et l’engagement futur des maisons de ventes.