Festval DANCE 2019. Les mondes hallucinés de Marie Chouinard.

Publié le 20 mai 2019 par Luc-Henri Roger @munichandco
Le Festival Dance 2019 a invité la célèbre chorégraphe canadienne à présenter deux de ses chorégraphies qui ont fait date dans l'histoire de la danse contemporaine, deux ballets en un acte : le premier, intitulé Les 24 préludes de Chopin, fut créé au Festival TanzWochen de Vienne en juillet 1999, le second, qui a pour nom Mouvements, fut créé à partir de l'oeuvre éponyme de Henri Michaux au festival international de danse ImPulsTanz, à Vienne, en 2011. Ce second ballet inclut un solo créé à  Montréal en 2005. L'occasion pour le public munichois de découvrir l'univers très personnel des ballets conçus par Marie Chouinard.

Crédit photographique : Marie Chouinard


LES 24 PRÉLUDES DE CHOPIN (45')
Marie Chouinard, au départ des 24 Préludes de l’opus 28 de Frédéric Chopin, chorégraphie une pièce d’ensemble qui fait corps avec la musique, composée de solos, de duos, de trios et de mouvements d’ensemble pour un ballet qui exige une précision et une virtuosité inouïes de la part des danseuses et des danseurs dont on perçoit à tout moment la concentration extrême. Le travail des interprètes est soutenu et comme sculpté par les lumières d'Axel Morgenthaler. Si l'expression est classique, elle est à la fois détonante de contemporanéité, comme les chevelures très travaillées, post punk, qu'arborent les exécutants, crêtes d'iroquois et cornes de cheveux tire-bouchonnées qui participent d'une esthétique délirante. La chorégraphie exige un travail intense d'expression émotionnelle, toute la gamme des émotions défile, à l'exception notable du bonheur qui semble curieusement absent du monde intérieur tout en lignes de tensions que semble vouloir représenter Marie Chouinard. Si la chorégraphie commence par des vibrations rapides du jeu aérien des mains qui semblent donner à voir des oiseaux prêts à prendre leur envol, elle présente ensuite une série de jeux de domination et de contraintes, avec en figure centrale une danseuse d'apparence plus âgée qui semble la maîtresse du jeu. La brutalité de l'exercice du pouvoir s'impose, et si des danseurs courent les bras ouverts comme dans l'espoir d'une affection, ils ne rencontrent le plus souvent que la contrainte. L'envol espéré de la première scène n'aura pas lieu dans cet univers plutôt désespérant. Et lorsque la danseuse maîtresse cherche enfin à donner libre cours à  sa créativité personnelle, elle est bientôt remise dans le rang  par un groupe qui vient l'entourer et la remet au pas pour l'emporter dans son anonymat bêlant, ce qui tente peut-être à démontrer que l'exercice de la domination n'est pas libérateur.
Une chorégraphie qui, malgré la beauté et la perfection de son exécution, ne manque pas de remettre le public en question et de le mettre mal à l'aise.

© Sylvie Ann Paré


HENRI MICHAUX : MOUVEMENTS (35')
C'est en 1980 que Marie Chouinard découvrit le livre Mouvements, publié en 1951, du poète et peintre Henri Michaux (1899-1984). Un livre qui comporte 64 pages de dessins à l'encre de Chine, un poème de 15 pages et une postface.  Dans Passages, Michaux écrivait : « J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie. » Michaux semble vouloir dans ses dessins rendre le mouvement de sa réalité intérieure complexe, bouleversée, en recherche, torturée ou hallucinée, le mouvement de sa pensée et de ses émotions qui s'exprime dans le corps, dans les modalités de son fonctionnement comme dans ses attitudes au sein d'un environnement souvent hostile.

© Sylvie Ann Paré

Dans sa chorégraphie, Marie Chouinard donne un lecture littérale du livre de Michaux dont les images défilent projetées en fond de scène. Les noirs dessins de Michaux s'inscrivent sur des pages blanches et forment la partition de la chorégraphie, des dessins que les danseurs, vêtus de noir, s'efforcent de reproduire sur le tapis blanc de la scène tant dans leur dimension formelle qu'émotionnelle, souvent seuls, parfois en groupes quand la complexité du dessin y incite. Et le poème de Michaux sera dit par la danseuse principale (la maîtresse domina de la première partie) qui le crie, partiellement recouverte du tapis de sol sous lequel est s'est allongée, une danseuse qui excelle tant dans la danse que dans l'interprétation du poème. 
Si la reproduction humaine des dessins est l'oeuvre des danseurs qui les décryptent, l'interprétation est laissée au public qui se prend vite au jeu, fasciné qu'il est par le processus mis en oeuvre par la chorégraphe. Le puissance du spectacle est encore amplifiée par la brutalité industrielle des sons lancinants de Louis Dufort. On sort sonnés, comme hypnotisés par ce spectacle fantasmagorique qui donne vie aux noirceurs du monde de Henri Michaux, qui n'est pas sans rappeler, sous une forme contemporaine, les créations cauchemardesques des toiles de Jérôme Bosch
Luc Roger