Peut-on faire confiance aux produits bio : à qui profite le doute et la confusion ?

Publié le 11 juin 2019 par Bioaddict @bioaddict
"Tous les produits bio ne sont pas sans danger". 60 millions de consommateurs a publié mercredi 5 juin un hors-série spécial sur le bio qui fait polémique et surtout, qui sème le doute. Que faut-il en penser ? On fait le point. ¤¤ "Les dérives du bio pas cher", un magazine hors-série proposé par 60 Millions de consommateurs. N° 199 - juillet 2019

Les chiffres à connaître : (chiffres 2018 du secteur bio publiés par l'Agence Bio le 4 juin 2019)

Le marché alimentaire bio en France représente aujourd'hui près de 10 milliards d'euros (+15,7% depuis 2017).

49% des conconsommateurs achètent leurs produits bio en grande distribution (34% dans les magasins bio spécialisés, 12% via la vente directe). "Cette part de marché record résulte du développement, depuis 2017, des linéaires et des gammes bio en marque de distributeur comme en marque nationale" précise l'Agence bio. Les 3/4 du chiffre d'affaire réalisé par la grande distribution sont réalisés en hyper et supermarchés.

La consommation des produits alimentaires bio représente aujourd'hui 5% des achats alimentaires des ménages en France.


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Une chose est sûre, le succès du bio dérange de nombreux industriels qui ne proposent que des produits conventionnels (non bio) et perdent des parts de marché depuis plusieurs années. Alors ils se sont posés la question : comment récupérer les consommateurs ? Ils ont trouvé deux solutions : en semant le doute et la confusion pour instaurer une crise de confiance, et en créant leurs propres gammes bio (un peu selon leurs règles en exploitant les failles du label bio AB existant). L'objectif est double : faire revenir les consommateurs aux produits conventionnels, et pour ceux qui continueraient à consommer bio, tout faire pour qu'ils ne fassent pas/plus la différence entre le bio de qualité et le bio industriel qu'ils proposent. Et ça marche ! Le bio industriel est en train de sauver les grandes surfaces en crise et les marques en perte de vitesse. Les consommateurs reviennent dans les rayons des hyper et supermarchés parce qu'on leur propose du bio pas cher. Oui mais justement à quel prix réel ?

C'est bien ce sujet qu'aborde 60 millions de consommateurs dans son hors-série intitulé "Les dérives du bio pas cher". Christelle Pangrazzi, rédactrice en chef adjointe des hors-séries du magazine, a déclaré lors d'une interview pour France Info" On est à un tournant du bio ". Oui, c'est vrai. Pourquoi ? parce qu'on assiste à l'émergence fulgurante du bio industriel, dans le sens péjoratif du terme.

Il était sûr que le marché évoluerait dans ce sens vu l'explosion de la consommation : le bio de qualité d'un côté et le bio " pas cher " industriel de l'autre avec ses dérives (comme les tomates en hiver produites sous serres chauffées). Le marché bio vertueux depuis ses débuts, et tous ses acteurs qui oeuvrent depuis des années pour proposer des produits de qualité, doit aujourd'hui faire face à l'arrivée tout azimut d'industriels peu scrupuleux, attirés par cette nouvelle manne financière, qui ont des moyens colossaux pour influencer l'opinion publique avec la publicité (et beaucoup de greenwashing) et parfois la complicité de la presse (qui dépend en grande partie de la publicité) et même de certains scientifiques en finançant leurs études, qui, comme par hasard, vont dans leur sens...

Alors que se passe-t-il aujourd'hui ? il est venu le temps des amalgames... Définition : " un mélange d'éléments très différents ". Le moyen parfait pour commencer à semer le doute dans la tête des consommateurs.

Argument 1 : les produits bio ne sont pas diététiques.

Oui, et alors ? On trouve du saucisson bio, de la pâte à tartiner bio... des produits effectivement gras ou sucrés mais exempts de produits chimiques potentiellement toxiques. C'est bien ce qu'on leur demande, non ? et le nutri-score (qui n'évalue que l'aspect nutritionnel et ne prend pas en compte les additifs) a bien oeuvré pour semer la confusion. Un paquet de gâteaux non bio confectionnés à base de céréales arrosés de pesticides (toxiques pour la santé comme pour l'environnement) mais peu sucrés va être mieux noté qu'un paquet de gâteaux bio un peu plus sucré mais confectionnés sans pesticides. Encore une fois on confond tout : la toxicité des pesticides et du sucre pour la santé. Peut-on vraiment les mettre sur le même plan ? Et de plus, de quelle sucre parle-t-on ? En bio, le sucre blanc est sur liste noire car hyper raffiné.

Argument 2 : les produits bio sont quand même pollués.

Mais de quoi parle-t-on ? L'étude de 60 Millions de consommateurs - qui a analysé 130 produits alimentaires bio - parle de traces de " polluants " (PCB et dioxines) parce que " les animaux broutent en extérieur " mais précise qu' " on reste sous les seuils réglementaires ". Donc attention ! On ne parle pas ici de contamination. La vraie contamination - potentiellement très toxique pour la santé - est bien celle du lait et des oeufs en conventionnel due à ce que l'on donne à manger aux animaux et qui se retrouve dans la nourriture ensuite ! Il faut savoir que les animaux élevés en bio ne reçoivent aucun aliment ayant été produits à l'aide d'engrais ou de pesticides chimiques, ni d'aliments contenant des OGM, comme les tourteaux de soja importés d'outre Atlantique. Le mode d'élevage et l'alimentation des troupeaux en bio garantit ainsi un lait sans trace de résidus chimiques ni d'organisme génétiquement modifié, reconnus comme cancérogènes et perturbateurs endocriniens.

Et encore je ne parle pas des conditions de " détention " des animaux en conventionnel dans les usines : poules en cage, " ferme des mille vaches " qui ne voient jamais un brin d'herbe de leur vie. Il semblerait selon 60 Millions de consommateurs qu'il faudrait mieux que les animaux ne sortent pas de l'usine pour éviter les polluants extérieurs ?! on parle sérieusement là ?!

Argument 3 : tous les produits bio ne sont pas éthiques (définition : qui respectent certaines valeurs morales).

Oui, c'est vrai. La démarche de commerce équitable par exemple n'est pas automatique en agriculture biologique (notez cependant que plus de la moitié des produits du commerce équitable sont labellisés Agriculture Biologique). Mais ce sont là encore deux choses différentes. Des techniques de productions écologiques d'un côté, et le développement d'une économie responsable, sociale et solidaire de l'autre. Mais libre au consommateur de préférer des réseaux de distribution bio (comme Biocoop) et marques bio (et elles sont nombreuses!) qui mettent l'éthique au coeur de leur charte plutôt que d'autres.

Argument 4 : tous les produits bio ne sont pas écologiques.

C'est vrai. Une tomate produite en France sous serre chauffée est responsable de 8 fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'une tomate produite en France en saison, et de 4 fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'une tomate espagnole importée ! Mais pour proposer du bio pas cher toute l'année (car il y a encore des consommateurs qui veulent manger des tomates à Noël!), il y en a qui sont prêts à tout.

Et maintenant, que va-t-il se passer ?

Le fait est que, selon les derniers chiffres de l'Agence Bio, le poids de la grande distribution dans le marché bio se renforce : elle commercialise désormais la moitié des produits bio vendus en France, alors que jusqu'à l'an passé, les commerces spécialisés bio étaient en tête. Et leur seul objectif est de proposer des produits bio pas chers, peu importe comment. Claude Gruffat, alors président de Biocoop, alertait déjà en 2017 sur les risques de l'émergence d'une bio industrielle. Il expliquait lors d'une interview pour Bioaddict.fr : " le risque d'une bio industrielle, hors sol, de faibles qualités nutritives, est bien réel. De la bio à bas prix peut être proposée quand l'aspect social et environnemental est dégradé. Si on reprend le modèle conventionnel en bio, on aura les mêmes effets et les mêmes conséquences qu'avec l'agriculture conventionnelle. "

Je vous invite à lire son interview ici : Claude Gruffat : "Le risque d'une bio industrielle est bien réel"

Les règles du jeu vont changer

On peut maintenant s'attendre à une évolution de la réglementation du label bio dans les prochaines années. En bien ? en mal ? difficile de savoir... Les industriels ont tout intérêt à plutôt tirer le label vers le bas pour faciliter la production et la vente des produits. Le nouveau règlement bio européen adopté en mai 2018 entrera en vigueur au 1er janvier 2021. "Une série de règlements d'application viendront le compléter dans quelques semaines mais les nouvelles orientations pourraient entraîner un recul du niveau d'exigence" prévient le Synabio (le syndicat des professionnels du secteur bio) dans un communiqué publié le 15 mai dernier. Mais si c'est le cas, pas de panique ! D'autres labels plus exigeants seront alors créés et mis en avant par les entreprises et marques vertueuses et engagées pour aider le consommateurs à s'y retrouver. Elles y travaillent déjà. En attendant, choisir de consommer des produits bio, de saison, issus majoritairement de filières françaises, reste le meilleur moyen de protéger sa santé, l'environnement, et de contribuer au développement d'une économie durable en France.

Une Tribune de Christina Vieira, Directrice de la Rédaction de Bioaddict.fr