(Note de lecture), Marik Froidefond, Oyats, par Ludovic Degroote

Par Florence Trocmé

Cinq parties, chacune ouverte par un dessin de Titus-Carmel, constituent ce premier livre de poésie de Marik Froidefond, Oyats – plante vivace à la fois fixe et mobile qui compose et recompose les dunes, au gré des courants et du vent, comme un recueil de poèmes traverserait et fixerait des moments de la vie. Les deux premières parties sont ouvertes sur l’extérieur (la Mongolie, un monastère italien), les deux dernières plus personnelles et intimes (l’enfance, l’amour). Au centre, un poème seul, sans chercher à faire transition, glisse des « déserts et tous les continents » à un amour décliné au passé : « (...) c’est dans le grand vent que je me reconstitue // loin de toi » (p. 65). Si les deux premières parties comportent des éléments descriptifs que les motifs des lieux justifient, ils ne s’y bornent pas ; le regard porté sur les mongols dessine des paysages multiples - humain, ethnique, géographique, etc.  – qui proposent une image de l’auteure, par un mélange de termes savants et d’incisions lyriques modérées. On retrouve cette modération au cours du recueil, de façon croissante, avec une écriture dont le lexique et la stylistique se simplifient encore à mesure que l’on approche de l’intime. L’évocation détaillée du « claustro do silencio », dans son architecture comme dans ses détails, devient une sorte de miroir, forme et fond : les vers justifiés de certains poèmes les géométrisent, le silence que porte le lieu libère autant l’imaginaire de la poétesse avec les gisants qu’une interrogation sur sa propre présence qui pousserait à « oublier l’impatience d’exister » (p. 48). Le titre de la quatrième partie, « Les grandes salaisons », rappelle la conservation, ici celle de la mémoire ; à un premier ensemble au beau titre, « Laisses d’enfance », succédera « Et le mal » : la joie possible de certains souvenirs personnels s’efface : « car la suite de l’histoire est dangereuse » (p. 84) ; « effondrement » et « naufrage » (p. 86) ouvrent à la maladie et à la mort avec une pudeur que renforcent des images sans effets dramatisants, nourrissant ce lyrisme modéré, et donc maîtrisé, mentionné plus haut. « L’invention du poumon », qui clôt le livre, touche à un amour fini ou qu’il a fallu finir, dans la complexité d’un passé vivant et d’un présent qui doit s’en préserver, ainsi que le porte un vers qui aurait voulu disparaître entre ses parenthèses, « (je ne cherche rien dans ce poème sauf à dénouer ma gorge) » (p. 109). Le poème développe cette trace ambiguë entre passion et raison: « je guette aujourd’hui / les mots neufs qui pourraient / préparer l’oubli » (p. 112). Autant de paysages intérieurs que modèle et remodèle une écriture poétique comme les oyats font des dunes.
Ludovic Degroote
Marik Froidefond, Oyats, L’Atelier contemporain, 2019, 128 p., 20 €, sur le site de l’éditeur.