La civilisation des poissons rouges

Publié le 02 août 2019 par Serdj

Internet nous a tous rendus accro à la dopamine.

L'internaute moyen zappe au bout de 8 secondes. Ce qui est une seconde de plus que la mémoire alléguée du poisson rouge dans un bocal. Nous sommes tous devenus des poissons rouges !

Et pourquoi ? Parce que le modèle économique choisi par les grands acteurs d'internet (Facebook, Google, Youtube...) repose sur le temps de présence sur le site. Lorsque le web commença à se répandre, vers le milieu des années 90, on aurait pu avoir d'autres modèles : abonnements, services à la demande... mais le modèle qui s'imposa repose sur la publicité, donc sur le temps. Et voila pourquoi tous les services tentent de nous capturer du temps, en nous rendant accrocs à la dopamine, l'hormone du plaisir immédiat. Nous gaspillons ainsi notre précieux temps à des choses stupides comme jouer à Candy Crush Saga, répondre à des quizz, commenter des photos de vacances de personnes dont nous ignorons tout, twitter des phrases à l'emporte pièce, ou liker des lolcats.

Les gadgets connectés qui nous entourent nous donnent l'illusion que nous avons accès à une mémoire illimitée, mais du coup nous perdons progressivement l'aptitude à mémoriser sur le long terme, en triant ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Nous cherchons des satisfactions immédiates, des récompenses rapides que nos cerveau shootés à la dopamine exigent toujours plus.

Pire, bien que tous les médecins aient signalé le danger d'un exposition précoce aux écrans (avant 3 ans, c'est dangereux !), de plus en plus de très jeunes enfants sont devenus accrocs à la tablette ou au portable, à un âge ou les interactions avec des adultes sont absolument nécessaires, et sont donc hélas en voie de désocialisation rapide. J'ai frémi hier en écoutant une interview d'une mère dont le bébé, à 3 ans, ne peut même plus manger sans sa tablette. Déjà beaucoup d'adolescents ont peur de quitter leur portable plus d'une demi-heure. Nos gadgets de communication sont en réalité des machines à non-communication.

Cette désocialisation massive est hélas relayée par des politiques publiques à courte vue telles que les lois anti-tabacs et anti-alcool qui ont engendrés la fermeture massive des cafés, lieux pourtant de socialisation populaire s'il en est. C'est flagrant en Irlande, mais aussi en France. Nous nous replions sur nous-même et sur nos machines à (non)communiquer.

Conséquence ? nous perdons le goût de l'effort intellectuel, qui suscite un plaisir réel mais différé. Nous devenons des illettrés parce que nous ne lisons plus de livres, ni même des longs articles sur le web.  L'orthographe part en couilles, de même que la richesse du vocabulaire de notre langue. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Nous perdons le goût de communiquer pour de vrai, de débattre. Nous perdons l'empathie. Les images terribles diffusées par nos médias ne nous touchent plus. C'est ainsi pourtant que démarrent les guerres...

Les informations partielles, les fake news relayées servilement par des abrutis, engendrent déjà des dégâts irréversibles, des violences, des émeutes et des morts, mais aussi, plus subtilement, la perte de confiance généralisée envers les autorités et les politiques. Alors que le vrai rôle de la politique, c'est pourtant cet arbitrage éclairé entre le court terme et le long terme, dont nous avons plus que jamais besoin...

Encore pire : nous n'avons plus assez de recul, et plus le goût de l'effort nécessaire pour comprendre un monde pourtant de plus en plus complexe. Nous somme en train de créer une génération d'idiots décérébrés qui seront la proie rêvée des grands trusts du consumérisme libéral. Et comme d'habitude, ce sont les classes populaires qui seront les plus touchées. Elles voteront de plus en plus massivement pour un populisme qu'elles croient comprendre, sans se rendre compte que cela les conduit encore plus sûrement à leur perte.

Ce n'est que le début :

Nous sommes en train de créer une génération d'idiots, mais la génération qui suivra celle-la sera une génération d'esclaves. D'ici dix ans, les assistants personnels à base d'IA remplaceront nos tablettes et nos ordis, et nous les laisseront passivement nous dicter ce que nous devons faire. Le pire esclavage, c'est celui qui est librement consenti par la victime, parce qu'elle ne s'en rend même pas compte.

Bien sûr, tout le monde ne sera pas concerné, ni asservi en même temps. Certains tireront leur épingle du jeu. D'autres seront les maître du jeu...


Nous fonçons tout droit vers la civilisation des poissons rouges... et des requins.

Des solutions ?

Il y en a pourtant : interdire la publicité sur le net (quoi ? Si !), mieux éduquer les parents aux dangers des écrans, légiférer sur les droits et devoirs respectifs des humains et des IA. Taxer le travail des robots, créer uniquement des IA amicales; etc...


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