Jack Lang, entre culture, posture et imposture ?

Publié le 01 septembre 2019 par Sylvainrakotoarison

" La culture est proche d'une façon d'être, d'un coup de foudre, d'une fête toujours inachevée du bonheur. " (Jean d'Ormesson, "La Culture vivante", 2008).

Ce lundi 2 septembre 2019, c'est la rentrée scolaire. C'est aussi le 80 e anniversaire d'un ancien Ministre de l'Éducation nationale. Jack Lang n'est pas connu pour avoir été à l'Éducation mais pour avoir été le Ministre permanent de la Culture de François Mitterrand.
Pourquoi était-il à l'Éducation nationale en 2000 ? Pour une raison qu'il est intéressant à connaître. En 2001, Jean Tiberi, le dauphin de Jacques Chirac avait peu de chances d'être réélu maire de Paris et la désignation de Philippe Séguin comme candidat (lui, le maire d'Épinal) avait rendu les choses très compliquées au RPR. La division de la droite pouvait avantager la gauche, d'autant plus que le gouvernement socialiste de Lionel Jospin bénéficiait d'une popularité plutôt enviable. Les marches de l'hôtel de ville de Paris étaient accessibles au PS.
Or, à ce moment-là, Jack Lang avait quelques vues sur le sujet : il se voyait déjà le maire de Paris, supervisant tous les grands monuments dont il avait été l'ordonnateur des travaux comme ministre. Malgré ses louvoiements à Blois, ou, plus tard, dans le Pas-de-Calais et dans les Vosges, il n'était pas illégitime à vouloir la mairie de Paris. Personnalité politique nationale depuis une vingtaine d'années dont le nom était devenu synonyme de culture à la sauce bobo-parisienne, il avait même été à l'origine un élu parisien, d'abord simple conseiller du 3 e arrondissement de Paris entre mars 1977 et mars 1983, puis conseiller de Paris de mars 1983 à mars 1989 avant de quitter Paris pour Blois dont il fut élu maire de mars 1989 à mars 2000. Il gagna Blois d'ailleurs en conquérant puisqu'il a battu un maire historique, Pierre Sudreau, ancien résistant et ministre sous De Gaulle.
Évidemment, au PS parisien, personne n'en voulait. Les amitiés issues du 18 e arrondissement ont fait que Lionel Jospin a pu favoriser la candidature de Bertrand Delanoë (et par conséquent, son élection à la mairie de Paris) en désamorçant la bombe Lang : Lionel Jospin l'a alors nommé Ministre de l'Éducation nationale du 27 mars 2000 au 6 mai 2002. Un moyen comme un autre de revenir au pouvoir. La proposition était trop alléchante en compensation de l'abandon d'un combat pas forcément gagné par avance.
Jack Lang à l'Éducation nationale ne signifiait pas qu'il était bon en mathématiques, comme l'un des illustres postulants actuels à la mairie de Paris. Mauvais en calcul mental, ou plutôt, en divergence avec la vérité pour ne pas aller plus loin dans le flirt avec le mensonge ? Toujours est-il que lorsqu'il était le ministre adulé du mitterrandisme triomphant, au milieu des années 1980, invité de l'émission politique phare "L'Heure de Vérité" sur Antenne 2, Jack Lang a déclaré, à propos des institutions, que lui, il avait voté contre la Cinquième République au référendum du 28 septembre 1958. En face de lui, ses interlocuteurs journalistes, ni Alain Duhamel ni François-Henri de Virieu n'avaient fait le petit calcul : mais quel âge avait le jeune Jack Lang le 28 septembre 1958 ? 19 ans, mais à l'époque, la majorité pour pouvoir voter, c'était 21 ans. Il venait de montrer qu'il prenait ses interlocuteurs (distraits) pour des imbéciles. Il n'avait jamais voté contre à ce référendum car à l'époque, il n'avait pas le droit de vote.
Ces distorsions avec la vérité, avec la réalité, sont légions chez Jack Lang. Ce sont comme des déformations artistiques. L'essentiel était l'aplomb, le bluff, l'apparence. Sa capacité à convaincre était grande. Pourquoi ? Sans doute par son audace et son charisme. Le regard est profond. Encore aujourd'hui, il peut s'exprimer sur tous les sujets d'actualité. Cela en fait un compagnon idéal pour les médias en mal d'invités à la dernière minute.

Rappelons son itinéraire politique : proche de François Mitterrand, il fut le monsieur culture du PS à partir de 1977, directeur de la campagne du PS aux élections européennes de 1979. Résultat, après la victoire de la gauche, il fut nommé Ministre de la Culture du 22 mai 1981 au 20 mars 1986 (sous Pierre Mauroy et Laurent Fabius, avec seulement le titre de ministre délégué de juillet 1984 à décembre 1984), puis, après la réélection de François Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication du 13 mai 1988 au 2 avril 1992 (sous Michel Rocard, où il est aussi nommé aux Grands Travaux et au Bicentenaire de juin 1988 à mai 1991, et sous Édith Cresson). Il fut aussi porte-parole du gouvernement du 17 mai 1991 au 2 avril 1992. Il a atteint le sommet de sa gloire comme numéro deux du gouvernement, Ministre d'État, Ministre de l'Éducation nationale et de la Culture du 4 avril 1992 au 29 mars 1993 (sous Pierre Bérégovoy), collègue de Bernard Tapie. Il est enfin redevenu Ministre de l'Éducation nationale sous Lionel Jospin, comme indiqué plus haut.
Combien Jack Lang a-t-il coûté aux Français ? Entre l'Opéra de la Bastille, le Grand Louvre, les Colonnes de Buren, la Grande Arche de la Défense et la Très Grande Bibliothèque, l'argent du contribuable a coulé à flots continus. L'avance sur recettes pour la production cinématographique... Tout n'était pas à bannir dans ses idées. La créativité fut sans doute son vrai atout, et aussi son carnet d'adresses. Il mettait tout son réseau culturel au profit de la conquête et reconquête électorales de François Mitterrand. La Fête de la Musique était une bonne idée. La Fête du Cinéma aussi. Mais qui a profité des Grands Travaux ? L'Opéra de la Bastille était en principe un "opéra populaire" : combien d'ouvriers parmi les spectateurs des ballets ou opéras depuis trente ans ?
Des mandats électifs, Jack Lang en a eu beaucoup. Député du Loir-et-Cher de mars 1986 à juin 1988, puis d'avril 1993 à décembre 1993, puis de juin 1997 à mars 2000. Il se parachuta au Pas-de-Calais pour être sûr d'être réélu député de juin 2002 à juin 2012, puis fut battu dans les Vosges, son département de naissance (il est né à Mirecourt), en juin 2012. Il fut aussi élu député européen de juin 1994 à juin 1997 (mandat de rattrapage).
Localement aussi, il fut élu souvent. À Paris, comme je l'ai indiqué plus haut mais aussi dans d'autres endroits : maire de Blois de mars 1989 à mars 2000 (conseiller municipal jusqu'à mars 2001), il fut élu également conseiller général de Blois de mars 1992 à juin 1993 et conseiller régional, d'abord de la région Centre en mars 1992 (mais déjà touché par le cumul), puis vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, chargé des universités et de la recherche, de mars 2004 à mars 2010. Comme on le voit, tout mandat était bon à prendre, sait-on jamais ce que demain sera fait.
Le scandale, c'est que Jack Lang, malgré son échec législatif de juin 2012, n'a pas pris sa retraite malgré ses 72 ans (il était pourtant dans le gouvernement qui a baissé l'âge de la retraite à 60 ans). Après avoir été "ambassadeur itinérant contre la piraterie" d'août 2012 à janvier 2013, il fut en effet nommé par François Hollande au prestigieux poste de président de l'Institut du Monde Arabe (IMA) le 25 janvier 2013 et l'est toujours à maintenant 80 ans ! Rappelons que, parmi ses prédécesseurs, il y a eu Pierre Guidoni, Edgard Pisani, Camille Cabana, Yves Guéna, Dominique Baudis et Renaud Muselier, ce dernier tenté par la conquête de la mairie de Marseille en 2020.
Jack Lang est d'abord un comédien, et un bon comédien, très emphatique (au service commandé de François Mitterrand). Il a suivi pendant trois ans les cours d'art dramatique à Nancy (où il a rencontré sa future femme, l'une de leurs deux filles a eu Jean-Pierre Mocky pour beau-père). Il a fait partie des créateurs du Festival de théâtre universitaire de Nancy qu'il présida de 1963 à 1973 et qui a eu un écho plus que régional. Il fut aussi le directeur du Théâtre Chaillot de 1972 à 1974 (mais viré par le ministre Michel Guy) et un membre du Conseil du développement culturel de 1971 à 1973, présidé par Pierre Emmanuel (parmi les autres membres, Alfred Grosser, Claude Santelli, Iannis Xenakis, François Billetdoux, etc.). Mais sa spécialité, ce n'était pas vraiment le théâtre ni la culture, c'était plutôt le droit.
En fait, Jack Lang n'a pas eu la carrière politique qu'il aurait voulu. Il ne voulait pas être réduit au seul Ministère de la Culture. C'était bien d'un point de vue médiatique, d'autant plus que ses successeurs, en particulier François Léotard, ont eu du mal à convaincre le petit milieu de la culture que Djack n'était plus leur ministre ! Il voulait être pris au sérieux politiquement, pas resté un rigolo. Préposé à l'encanaillement. Sa vraie ambition, il l'a exprimée au début de l'année 1995.
À l'époque, le PS était en pleine déconfiture électorale après deux désastres : les élections législatives de mars 1993 et les élections européennes de juin 1994. Résultat, Jacques Delors, malgré des sondages élogieux, a renoncé à se présenter à l'élection présidentielle de 1995, craignant de n'avoir aucune majorité parlementaire (ce qui signifiait qu'il n'avait pas bien compris les institutions de la Cinquième République). Le PS a dû se choisir un candidat en catastrophe avec une primaire fermée (seuls, les adhérents votaient). Furent candidats Lionel Jospin (qui avait failli renoncer à toute vie politique), Henri Emmanuelli (le premier secrétaire du PS) ...et Jack Lang ! Faute de moyens et d'appuis internes, ce dernier abandonna rapidement la course, mais aurait-on pu l'imaginer être élu en 1995 Président de la République ? Petits frissons dans le dos.
Lui, il attendait surtout d'être nommé un jour Ministre de la Justice. Après tout, d'une famille originaire de Nancy, il a fait ses études à Nancy et à Paris, à la Faculté de droit de Nancy et au CUEP (aussi à la faculté de droit de l'Université Paris). Il a soutenu sa thèse de doctorat en droit en janvier 1967 sur "L'État et le théâtre" et trois ans plus tard, fut reçu agrégé de droit public et de sciences politiques. Il fut nommé maître de conférences à l'Université de Nancy II en 1971, puis professeur de droit internationale en 1976. Il fut même le doyen de la faculté de droit et d'économie de Nancy de 1977 à 1980. Et il fut ensuite promu à l'Université Paris X-Nanterre en 1981, lieu plus conforme à ses ambitions.
Au titre de juriste, il a été nommé en 2007, par Nicolas Sarkozy, membre du Comité Balladur chargé de faire des propositions pour sa réforme des institutions. Cette nomination l'a fait sortir du bureau national du PS. Sa voix comme député a été cruciale dans l'adoption de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 puisqu'elle est passée seulement à deux voix près.
Autre rêve caché : il aurait aussi voulu être Ministre des Affaires étrangères. Il avait été président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 17 juin 1997 au 20 août 2000, succédant à l'ancien Président de la République Valéry Giscard d'Estaing. En 2007, il aurait pu être le chef de la diplomatie française de Nicolas Sarkozy si Bernard Kouchner avait refusé. Officiellement, il a toujours refusé d'être débauché par la droite. Il a été toutefois l'émissaire spécial de Nicolas Sarkozy lors d'un voyage à Cuba le 25 février 2009 et lors d'un voyage en Corée du Nord le 1 er octobre 2009.

Opportuniste, Jack Lang ? Peut-être pas, même si au PS, sans courant, sans réseau (comme Robert Badinter par exemple), il avait peu sa place. Il a soutenu Ségolène Royal à l'élection présidentielle de 2007, il a soutenu Martine Aubry au congrès de Reims en 2008 (elle fut élue première secrétaire), il a soutenu Dominique Strauss-Kahn à la primaire socialiste en 2011 puis, après "l'affaire du Sofitel", il a soutenu François Hollande en 2012 (qui fut élu).
Auteur d'environ vingt-cinq ouvrages (plusieurs coécrits) sur notamment Nelson Mandala, Laurent le Magnifique, François Mitterrand, Michel-Ange, François Ier, etc., Jack Lang est aussi connu pour avoir un rapport avec l'argent très particulier. En clair, il n'a jamais d'argent sur lui, ce qui oblige son entourage à payer à sa place, à tel point que dans les années 1990, il a découvert très tardivement le principe de la carte bancaire ! On ne s'étonnera donc pas que, selon certains journalistes, il se serait fait offrir des costumes pour une coquette somme de presque 200 000 euros. Après tout, contrairement à François Fillon, il n'était candidat à aucune élection présidentielle, il pouvait bien accepter un peu de luxe...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (31 août 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Un débat télévisé avec Jack Lang sur France 2 le 17 novembre 2011.
Jack Lang.
Robert Badinter.
Jean-Pierre Chevènement.
Bernard Tapie.
Pierre Bérégovoy.
François Mitterrand.
Pierre Mauroy.
Laurent Fabius.
Lionel Jospin.
Michel Rocard.
Jacques Delors.
Gaston Defferre.
Roland Dumas.
Henri Emmanuelli.
Alain Savary.
Le parti socialiste.

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