Francesca Melandri : Eva dort traduit par Danièle Valin

Publié le 04 septembre 2019 par Nathpass
Je cherchais une auteure après l'amie prodigieuse pour me susurrer encore l'Italie et avec cette scénariste écrivain historienne dans ses recherches documentaires  je reprends ce fil de l'addictif et j'ai retrouvé aussi grâce à ce livre le goût intact de lire dans les trains régionaux qui ne courent pas mais qui avancent au fil des pages. Je n'avais jamais entendu parler du Tyrol du Sud du Haut Adige mais en plus et comme dans son précédent roman Plus haut que la mer, dont j'ai parlé ici les personnages féminins y sont très forts mais pas seulement...

Extraits
p 81-82
 Elle avait déjà vu aussi des lèvres étirées, sous des yeux d'où s'échappait  un éclat presque enfantin : quand les émotions deviennent difficiles, les gens de la montagne serrent les dents, mais plus haut souvent le regard limpide semble demander qu'on les délivre d'un si grand silence.
p 162-163
C'était peut-être précisément ce goût de l'absolu, filtrant de son regard, qui avait poussé Fraü Mayer à renoncer à une famille et à se vouer au bien-être de ses clients comme au culte d'un dieu unique. Malgré le nombreux personnel aux étages en salle et en cuisine aucun détail de la gestion de l'hôtel ne lui échappait...
... Le seul détail qui échappait à son contrôle était la mort.
p 172
Magnano avait commencé à tisser une toile fine et très délicate de négociations et de compromis pour obtenir cette autonomie provinciale... qui seule pouvait résoudre l'impasse du Haut-Adige et éviter le scénario le plus atroce : une guerre ethnique.
... Magnano s'était persuadé que seul le dialogue, la recherche d'un compromis, la difficile mais honnête confrontation entre des positions même très différentes, sont des moyens supérieurs à toute absolument toute, forme de violence.
p183
Gerda s'arrêta sur le seuil. Les premiers clients s'installaient  autour des tables. Des couples, des hommes seuls, des personnes âgées. Les hommes déplaçaient avec une sobre galanterie les chaises pour les dames, qui s'asseyaient en admirant le panorama avec bienveillance, comme s'il était leur propriété. Le contraste entre ces gestes sereins et l'angoisse qui  l'oppressait étourdit Gerda.
p 202
Je ne suis pas redevenue croyante. Je n'ai pas brusquement retrouvé une foi dont je ne sens pas le manque, pas même grâce à un prêtre inspiré. Mais je m'unis spontanément à ceux qui m'entourent, ici dans cette chapelle si laide. Eux aussi, comme moi, des enfants de père inconnu.
p 247
Alors, Eva a quitté la main de Maria, les jeux avec Ulli les bras de Ruthi, elle se serait quitté elle-même aussi pour courir plus vite, et elle ne trébuchait jamais pour ne pas perdre stupidement du temps à se relever. Mais pendant des jours, elle courait pour rien : les portes du car s'ouvraient comme une promesse, mais ceux qui en descendaient étaient des gens inutiles qui n'étaient pas sa mère. Puis chaque fois, en automne et au printemps, durant toutes ces années, juste au moment où commençait à se former dans le coeur d'Eva un vide mélancolique, un gris qui étreignait toute pensée, voilà que sur les marches de la portière apparaissaient deux jambes longues, un visage d'une beauté toujours étonnante quoique familière, deux bras robustes qui la soulevaient et la serraient, et l'odeur, l'odeur, l'odeur, mammifère du bonheur. Gerda était revenue.
p 306
« Notre amour est plus grand que nous »
Ulli s'était mis à parler comme une boîte de chocolats.
p 310
Je ne sais pourquoi je repense au jour où je lui ai dit que je voulais partir pour l'Australie et où elle m'a répondu qu'elle allait enfin voir des kangourous, ce qu'elle souhaitait depuis toujours.
Une minute. C'était moi qui partait pour l'Australie. Pas elle.
Et nous ne sommes pas une seule et même chose.
à suivre.....