La France qui taxe et la France qui paye

Publié le 13 septembre 2019 par H16

En décembre 2015, par les bons soins d’un de mes lecteurs, Nasier Ockham que je remercie au passage, nous pouvions bénéficier d’une analyse factorielle des correspondances (AFC) des résultats de vote des régionales.

Pour rappel, l’AFC est une analyse statistique non dirigée permettant de trouver de façon systématique les corrélations (ou leur absence) entre les agrégats qui se dégagent des différentes dimensions de données qu’on lui fournit.

L’analyse de l’époque avait largement montré que la France semblait se découper en deux populations caractérisées essentiellement par leur localisation géographique, l’une des grandes villes, des métropoles et leurs banlieues et l’autre des villes moyennes et des campagnes, et que la représentation politique ne semblait plus s’occuper que de l’une de ces populations sans sembler être capable de s’occuper de l’autre, cantonnée alors à un vote de rejet ou un non-vote.

Dans une France qui se voudrait apaisée et qui a grand besoin de cohésion sociale, ce constat picotait quelque peu.

Depuis, de nouvelles élections, les européennes de mai dernier, ont eu lieu et on dispose maintenant de l’ensemble des votes par cantons de façon assez précise, mon aimable lecteur m’a gentiment proposé de réitérer l’opération d’analyse automatique avec ce nouveau paquet de données fraîches. Ce billet est l’occasion de vous livrer notre analyse.

En pratique, les férus de chiffres et ceux qui voudront éplucher les détails techniques auront tout intérêt à lire le PDF ci-joint. Le billet suivant se contente d’en faire un résumé synthétique et de dresser les conclusions que je pense fort éclairantes sur l’état du pays.

Le premier constat de cette nouvelle analyse, c’est qu’elle confirme les données de la précédente : l’opposition urbain-rural reste une structure majeure du vote observé ; deux dimensions de l’AFC permettent d’expliquer plus de 75% du vote observé. Si l’on choisit un axe horizontal pour la première dimension, on verra sur la gauche des cantons et départements correspondants à ceux qui sont plutôt opposés à la politique actuelle du gouvernement, alors que s’étaleront sur la droite ceux qui y sont plutôt favorables. De la même façon, verticalement, on trouvera plutôt des cantons de la France conservatrice (droite traditionnelle, pour schématiser) vers le haut, et les cantons de banlieues vers le bas.

Graphiquement, cela donne ceci :

Conformément à cette répartition spatiale dans ces deux dimensions, on peut raisonnablement libeller les axes comme proposé sur la figure ci-dessus. En ajoutant les deux diagonales, on complète les autres tendances observées. Au final, on obtient une « France de Bobos » qui s’oppose à la « France Matraquée », une « France conservatrice » opposée à une « France en otage », celle des banlieues pourries. Entre la « France matraquée » et la « France conservatrice », on trouve une « France du rejet », qui s’oppose à une « France urbaine », laquelle relie la « France en otage » à celle des bobos et des quartiers chics. La dernière diagonale apparaît comme l’archétype du système Macron, qui s’oppose à la France des revenus modestes, qu’on pourrait libeller « France déclassée ».

Au vu de ce graphique, on peut assez facilement noter que c’est la France urbaine qui a dominé le vote européen. La gauche traditionnelle est en pratique maintenant complètement éparpillée le long de l’arc de cercle figuré sur le graphique, avec LFI tout à gauche de l’arc, RLRM de l’autre côté et les partis EEES et EECO au long de cet arc, comme le montre le graphique suivant (avec les libellés des partis) :

Autant la démonisation du Rassemblement National (RN) est une stratégie d’éclatement de la droite qui semble avoir assez bien fonctionné, autant l’analyse statistique montre que l’emphase actuelle du discours écologique des marcheurs macroniens n’est pas autre chose qu’une stratégie d’éclatement de la gauche… Et qu’elle fonctionne pour le moment pas trop mal.

L’analyse statistique permet aussi de montrer que la gauche actuelle représente moins les ouvriers que les employés et les professions intellectuelles supérieures ou intermédiaires. Dans cette optique, les partis « néo-écolos » (du socialisme écologique) ne répondent plus du tout à une logique de lutte des classes ouvrière, mais sont en fait une logique d’urbains qui fantasment la nature et l’écologie, et survivent au biberon d’un étatisme omniprésent.

L’autre point important soulevé par l’analyse réalisée est celui de la formation d’un groupe finalement pas si hétéroclite des Français qui rejettent le système.

Par ceux-là, on entend aussi bien ceux qui votent Rassemblement National (PLP en l’occurrence pour ces européennes) que ceux qui votent blancs, nuls ou s’abstiennent carrément. Car oui, ces trois derniers groupes d’électeurs sont statistiquement très proche du PLP : contrairement aux images d’Épinal des médias qui présentent le vote RN quasi-exclusivement comme un vote de racistes et de xénophobes, il s’agit avant tout d’un vote de rejet des autres partis : cet ensemble est statistiquement plus proche des abstentionnistes où dominent les ouvriers, que de LFI qui est censé se préoccuper du sort de ces derniers. Autrement dit, il apparaît statistiquement que l’opinion des ouvriers est davantage le rejet du système, que l’adhésion au discours de LFI.

Or, et c’est à mon avis crucial pour comprendre ce qui se passe sociétalement en France actuellement, ce « groupe du rejet » est largement majoritaire dans l’opinion puisqu’il représente 63% des opinions.

Oui, vous avez bien lu : le rejet, qui était déjà important lors des précédents élections et qui, en 2015, était déjà visible dans la précédente analyse que nous vous avions fournie ici, est encore plus massif. Depuis, Hollande est parti, Macron est arrivé, et les Gilets Jaunes sont passés et l’analyse réalisée ici montre que la situation sociale française s’est largement dégradée.

Dans un prochain billet, nous reviendrons sur ce qu’on peut dire de plus sur ce rejet et sur ce qu’il entraîne mécaniquement pour la base électorale sur laquelle s’assoient la plupart des politiciens, et, par extension, l’État français. Mais indépendamment de cette étude plus poussée, on comprend déjà que ces statistiques illustrent le gouffre maintenant béant entre une caste favorisée, minoritaire mais qui seule trouve une représentation pertinente dans les différentes institutions de l’État, et le reste du peuple qui n’est plus effectivement représenté mais qu’on continue de ponctionner sans vergogne.

On imagine mal que cette situation va pouvoir perdurer encore longtemps.


Fichiers de l’analyse :
Fichier original du vote des européennes sur le site gouvernemental
– Dataset RData AFC européennes utilisable dans R ; pour information, les colonnes 1-58 sont les données démographiques (il y a tout, la parité H/F, les tranches d’ages, etc) ; les colonnes 59-73 sont les votes au 2ème tour des régionales de 2015 (voir le billet de 2015) ; enfin les colonnes 74-114 sont les votes au 2ème tour des européennes de 2019 (voir ce billet pour les sigles et nom des variables).
– Résultats bruts
– script R de base

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