Mes yeux… partie 3 de 3

Par Anniedanielle

Le privé

En même temps que je faisais ces démarches avec l’hôpital, j’ai fait mes recherches et pris des rendez-vous d’évaluation (gratuits) dans deux cliniques privées de Montréal.

Je me disais que si je réussissais à avoir ma chirurgie de cross-linking au privé avant celle à l’hôpital, je n’allais pas perdre de temps. J’espérais seulement ne pas me retrouver à payer 3 500 $ pour ne sauver que 2 semaines.

J’ai eu rendez-vous à la première clinique très rapidement. On m’avait dit de prévoir quelques heures et des lunettes soleil car on mettrait les gouttes qui ouvrent les pupilles pour l’examen de la rétine.

Assez rapidement, une jeune fille est venue me chercher pour une série de tests. On est passées d’une machine à l’autre dans une grande salle. L’autoréfraction, la topographie, la pression, ils y sont tous passés!
Même le test avec la charte Snellen (les lettres au tableau) s’est fait en toute vitesse sur une machine dans cette salle.

Une Snellen chart vue par quelqu’un avec de l’ectasie

J’ai essayé d’expliquer ma situation à la technicienne (il m’est très difficile de faire certains tests puisque je vois flou et j’aimerais qu’elle comprenne que mes lunettes sont neuves, mais que les « vieilles » n’avaient même pas 6 mois), mais elle m’a fait comprendre qu’elle ne faisait que passer les examens.

Je n’ai rien

On m’a ensuite renvoyée dans la salle d’attente. Un opticien m’a appelée, examinée, et m’a annoncé que je n’avais pas d’ectasie.

Pardon?

Mais non, il a passé les résultats des tests en revue, et je n’ai rien.
…rien?

Ma vue baisse à la vitesse grand V depuis 15 mois, je suis maintenant en déficience visuelle, ça ne se corrige plus avec des lunettes, deux ophtalmologues et leurs résidents m’ont diagnostiqué cette ectasie (suspectée par une autre ophtalmo auparavant!), mon optométriste dit qu’elle VOIT la déformation, c’est d’ailleurs assez déformé pour qu’un verre de contact ne tienne plus sur mon oeil… mais je n’ai rien.
Bien sûr!

Devant mon incrédulité, il m’a dit que je pourrais retourner le lendemain pour avoir des tests supplémentaires, incluant un examen de la rétine (avec les gouttes pour agrandir la pupille) et que peut-être alors je verrais le chirurgien.

QUOI?! Que de frustrations en une seule phrase!
J’ai expliqué qu’on m’avait dit que cet examen aurait lieu le jour même. L’opticien m’a répondu : « Ah, à la réception, ils ne savent rien. »
Je n’ai pas que ça à faire, revenir! J’ai de la difficulté à me déplacer!
Il m’a répondu que, bon, d’accord, il allait voir ce qu’il pouvait faire.

Finalement, il m’a annoncé qu’on allait pouvoir me faire le test, mais comme je n’étais pas prévue à l’horaire, je risquais d’attendre TRÈS longtemps… alors va, j’ai décidé d’attendre.

L’optométriste m’a fait l’examen, m’a annoncé que mes rétines étaient normales (je le savais bien! Pensaient-ils qu’aucun des ophtalmologues vus en 15 mois n’avait testé ça?) et m’a annoncé, elle aussi, que je n’avais rien. Devant ma réaction et mes arguments, elle m’a dit que je pourrais peut-être rencontrer l’ophtalmologue pour en discuter.

J’espérais qu’il s’agissait d’un problème d’ignorance ou de manque d’expérience, et que l’ophtalmologue (le chirurgien), lui, verrait mon ectasie rien qu’à regarder, comme les autres.

Le chirurgien privé

J’ai donc dû me retourner à la clinique quelques jours plus tard afin de voir le médecin.
Qui m’a vu entre 2 chirurgies et n’en était pas du tout heureux.
On m’avait fait attendre un bon moment, mais quand il a été prêt, j’ai dû me dépêcher. Il était très clair que je le dérangeais et qu’il n’avait que très peu de temps à m’accorder.

Il m’a fait assoir à la table d’examen, a rapidement regardé mes yeux et a annoncé, lui aussi, que je n’avais rien.
Quand j’ai demandé ce qui expliquait ma perte de vision dans ce cas, selon lui, il a dit que c’était que ma myopie revenait soudainement suite au LASIK.

Ça m’a frappé que pour lui, c’était la myopie, alors que pour le doc en juillet 2017, c’était l’astigmatisme.
Clairement, quand ils ne trouvent pas, ils inventent.

J’ai essayé, au lieu d’argumenter, de demander ce qu’il me suggérait de faire.
Après tout, s’il croyait vraiment que je n’avais pas d’ectasie, j’avais quelque chose… je ne pouvais pas juste attendre de perdre la vue!
Si ma myopie progressait comme ça, fallait faire quelque chose, non?!

Houlà, le doc ne l’a pas pris! Au lieu de voir une patiente inquiète qui cherchait à ne pas devenir aveugle, il voyait une patiente qui refuse son opinion!
Il a monté le ton, a commencé à reculer vers la porte pour indiquer clairement que l’entretien était terminé, se tournant vers l’optométriste (qui nous avait accompagné) comme pour lui demander de s’occuper de cette patiente contrariante.

À ma grande surprise, elle, qui n’avait pas du tout été accommodante jusqu’à ce moment-là, a suggéré (du bout des lèvres) qu’on m’envoie chez leur collègue optométriste, spécialiste en verres de contacts scléraux (faits pour corriger l’ectasie cornéenne).

Sa suggestion : si ces verres permettaient une correction à 20/20, ça signifierait que j’avais effectivement une ectasie et que la chirurgie CXL pourrait m’aider.

Le doc a acquiescé… mais a ajouté que ça ne signifierait pas automatiquement qu’il ferait le CXL. Il a dit « Si tu veux que je t’opère, tu vas m’envoyer ton dossier de l’hôpital avec les topographies qui montrent la progression, parce que s’il y a pas de progression, j’opère pas. »

Je dois avouer que ça m’a énormément surpris qu’un médecin du secteur privé ne soit pas plus vendeur que ça.
Une partie de moi était soulagée de voir que ce n’est pas parce qu’un patient paie qu’ils essaient absolument de pousser pour la chirurgie… mais je n’en revenais pas du manque de respect et de l’incompétence!

Rendue là, je savais que je n’irais pas à cette clinique pour mon CXL, car clairement le lien de confiance était rompu.
Mais je voulais aller voir l’optométriste spécialisé et essayer les lentilles.

Lentilles sclérales

J’ai eu de la chance et je l’ai vu dès le lendemain.
Lui aussi m’a fait passer une topographie et quelques autres examens.
Et il a tout de suite vu, rien qu’en examinant avec la lampe, la déformation de ma cornée.
Il m’a dit qu’il ne comprenait pas que l’ophtalmo du privé m’aie dit que je n’avais rien/que ce n’était pas de l’ectasie.

Je n’en avais pas douté une seconde, mais c’était bien d’avoir une confirmation de plus. D’après lui, la clinique privée ne se fiait qu’aux chiffres de la machine, sans se fier à rien d’autre. Sans non plus accepter la possibilité d’une erreur de la machine…

En effet, ils m’ont carrément dit que si la topographie de l’hôpital montrait une ectasie, mais pas la leur, pour eux ça signifierait que je n’en avais pas… et ont refusé de refaire le test quand j’ai suggéré que peut-être là était la source de la divergence d’opinion!

Nous avons donc fait le test ultime : j’ai essayé des verres scléraux, qui sont des verres rigides et très grands. Ils reposent directement sur le blanc de l’oeil (la sclère), et ce sont les larmes entre l’oeil et la lentille qui aident à l’ajustement de la vue.

Un verre de contact normal (en haut) et un scléral (en bas).

L’optométriste a ajusté les lentilles pour corriger la myopie dans sa grosse monture d’examen, et on a fait le test.
Je trouvais que je ne voyais pas bien, j’avais les yeux secs et je passais mon temps à demander des gouttes, parce que j’avais peur que le résultat soit : ça ne fonctionne pas.

Non pas parce que j’avais peur de ne plus avoir de diagnostic. Il était clair pour moi comme pour l’optométriste que j’avais bel et bien une ectasie cornéenne.

Par contre, ces lentilles sclérales sont la seule façon de corriger ma vision! Et avant le test, il m’avait expliqué que si ma déformation était plutôt à l’arrière de la cornée (du côté du cerveau, disons), la lentille ne pourrait pas aider… et la chirurgie non plus.
Mais si la déformation était sur le devant (du côté de l’oeil qu’on peut toucher), là ça pourrait aider.
Il avait aussi expliqué que, si ma déformation était au moins en partie à l’arrière, ça pourrait être pourquoi on la voit mal sur les topographies…

J’avais donc très (TRÈS) peur que ça ne fonctionne pas, parce que ça voudrait dire que la chirurgie serait inutile ET que je ne pourrais pas voir mieux, jamais… que ça progresserait jusqu’à ce que j’aie besoin d’une greffe de cornée…
Ce fut un pur moment de panique.

Heureusement, il m’a annoncé que malgré mon impression, avec les lentilles sclérales, j’avais pu voir à 20/20, de loin comme de proche!

En octobre 2018, ma vision était à 20/70
(avec des lunettes!)

Cet optométriste spécialisé m’a donc fait un papier qu’il a envoyé directement à la clinique privée, expliquant que le test avait été concluant, que j’avais bel et bien une ectasie cornéenne et qu’il suggérait la chirurgie CXL le plus vite possible.

Tant pis pour le privé

Je vous laisse deviner?
Je n’ai pas eu de nouvelles de la clinique.

J’ai appelé le lendemain. On m’a dit à la réception que le papier avait été remis à l’optométriste et on a pris mon message. On m’a dit qu’on me rappellerait le lendemain au plus tard.

La semaine suivante, je n’avais toujours pas eu d’appel.
J’ai envoyé un courriel à l’optométriste de la clinique et demandé pourquoi je n’avais pas eu de réponse.

Elle m’a appelé et m’a dit que l’ophtalmologue n’était pas convaincu par l’essai des lentilles et n’allait pas m’opérer.
Pas convaincu!? Il se prend pour qui?
Et ils attendaient quoi pour m’aviser?

Je ne saurai jamais si c’était vraiment de l’incompétence ou si, au fond, mon syndrome d’Ehlers-Danlos lui faisait peur… mais avec une telle attitude, j’étais heureuse de ne pas mettre mes yeux entre ses mains.

J’ai annulé mon évaluation à l’autre clinique privée, car le temps d’obtenir le rendez-vous, j’ai vu l’ophtalmologiste de l’hôpital.
En plus, s’ils décidaient de m’opérer, ça n’irait pas avant janvier, alors ça n’irait pas plus vite.

Nouvel ophtalmologue

J’ai finalement vu le nouvel ophtalmologiste en décembre 2018.

Je l’ai aimé dès son entrée dans la salle d’examen.
Jeune (j’ai appris plus tard qu’il a exactement mon âge!), dynamique et surtout, très sympathique.
Tellement sympathique en fait que je me suis d’abord demandé s’il en rajoutait à cause de ma plainte!

Mais bien vite j’ai constaté que non, entre autres quand une infirmière est passée dans le bureau et que j’ai pu voir qu’il était tout aussi gentil avec elle.

Il m’a fait passer tous les tests à nouveau, m’expliquant qu’il voulait s’assurer de ne rien manquer.
Il s’est dit désolé du délai et, me mettant la main sur le bras, m’assurant que lui n’allait pas me laisser tomber et allait tout faire pour m’aider. J’aimais aussi le fait qu’il adresse quelques mots à ma mère ici et là, qui m’accompagnait.

Une fois tous les examens passés, il m’a dit que son hypothèse/diagnostic était que mon ectasie n’était pas une ectasie post-LASIK, car dans ces cas-là, la déformation était centrale (dans la zone qui avait été amincie lors de la chirurgie au laser), ce qui n’était pas mon cas.
Ce n’était pas un kératocône non plus, car la déformation était récente, et la progression, fulgurante, mais encore là, ne respectait pas le pattern.

Son avis, c’est que mon ectasie (car il s’agit bien d’une ectasie), est causée par mon syndrome d’Ehlers-Danlos, possiblement « aidée » par la chirurgie au laser, qui aura affaibli ma cornée… mais surtout, elle est périphérique.
À la limite de ce qui est mesuré sur les topographies, ce qui explique qu’on voit peu de progression dans les examens…
Il a testé l’épaisseur de ma cornée manuellement, et ça confirmait sa théorie.

J’ai beaucoup apprécié son attitude, non seulement sa gentillesse et sa compréhension, mais aussi son respect et son ouverture.
Il m’expliquait son hypothèse et ses idées comme à un collègue et non comme à une personne qui ne pourrait rien comprendre.
J’ai aussi vraiment apprécié qu’il regarde l’ensemble du tableau, l’historique et les symptômes, et pas uniquement les chiffres d’une machine ou « la façon dont c’est supposé être ».
Il a regardé tout ça, et a clairement trouvé la bonne explication!

Diagnostic numéro trois (final!)

Le diagnostic est donc « ectasie cornéenne périphérique idiopathique » (parce qu’on n’est pas certains de la cause… et je suis le seul cas de sa connaissance).

La mauvaise nouvelle, c’était que la chirurgie de cross-linking (CXL) se fait principalement sur la partie centrale de la cornée.
Il y avait donc un grand risque que la chirurgie ne m’aide même pas.

Le médecin m’a alors dit qu’il voulait, comme l’ophtalmologiste en octobre, discuter avec des collègues et faire quelques recherches avant de me revoir et de décider pour la chirurgie.
Il ne voulait pas faire de chirurgie pour rien ni créer plus de problèmes vu le SED.

Quand il m’a dit ça, j’ai un peu paniqué.
Je lui ai rappelé que, la dernière fois qu’on m’avait dit ça, je n’ai plus eu de nouvelles jusqu’à ce que je fasse une plainte officielle!
Il m’a encore une fois mis la main sur le bras, m’a regardé dans les yeux, m’a dit qu’il comprenait tout à fait mon inquiétude, mais qu’il me promettait que ça ne se produirait pas.

La demande de suivi était pour le mois suivant (en janvier 2019) et il m’a donné le numéro de téléphone de la clinique en me disant d’appeler début janvier si on ne m’avait pas encore donné de date, et d’insister jusqu’à ce qu’on me donne le rendez-vous.

L’ophtalmo m’a aussi précisé que si on allait de l’avant avec la chirurgie, il pourrait faire ça très vite, le mois suivant. Donc ça me rassurait.

Je ne pouvais pas savoir s’il allait tenir parole, mais son attitude donnait confiance… et je n’avais pas trop le choix.