Pont de Monvert

Publié le 17 septembre 2019 par Alexcessif

Le pitch: Retour sur rando GR 70 en autonomie: une tente, un duvet, un poncho, une brosse à dent, un slip pour la semaine et basta, pas plus de 6 kilos sur les épaules, se laver en clandestin dans des campings où je ne dormais pas, bouffer au hasard des commerçants itinérants, marcher jusqu'à épuisement et dormir à la belle. J'ignorais que j'allais attirer l'attention des autres randonneurs (une surtout) all inclusive avec gite réservé et transport des bagages par la malle poste de l'ami Stevenson
Je tourne à gauche à l’angle de la rue où quatre ans plus tôt une porte dérobée s’ouvrait sur une officine, puis, aussitôt à droite, j’entame la montée abrupte à la sortie du Pont de Montvert. Un portillon s’ouvre sur l’enclos des ânes, un autre le referme et je grimpe. Coming out ? Allez ! J’atteignis le belvédère surplombant le village assez vite. Je grimpe sur un rocher détachant ma silhouette en contre jour et j’agite les bras comme ça pour rien. Tu es partie sans te retourner, « tu avais un dîner » et tu ne pouvais me voir alors je te le dis. C’était un au revoir invisible et puéril Mes poumons sont plein d’air. « —Normal, me dirais-tu » à ceci prés que j’ai pris cher au cardio ! Quelques minutes plus tôt, tu emplissais la chaise et l'espace devant moi pendant que ma bière se réchauffait et que le plat du jour refroidissait. C'était drôle, je m' alimentais de tes silences pendant que tu buvais mes paroles mais je n'osais manger devant toi pendant cette heure de délice, deux peut-être, je n'ai pas vu le temps passer. Tu vas te faire inviter à dîner ce soir ou plus tard si ce n’est déjà fait alors que tu as rallumé les étoiles de mon bivouac sur la Cham de l’Hermet et quelque part dans ma tête. J’avais tout paramétré dés l’entrée du village. Azimut l’épicerie, quelques provisions, un tour dans le pédiluve du Tarnon et en route pour de nouvelles aventures.
Ben non ! La plage et son affluence ne m’ont pas tenté, le bar si, la terrasse oui, la table non. A peine installé des conversations de portable m’ont dérangés. J’ai changé de table et d’orientation ce qui me plaçait dans la bonne perspective et tu es venue.
La longue chaîne du hasard, autrement plus surprenante que ce que j'ignore à ce stade du récit notre R1 du 7/8 de dans 7 jours et H : 7.08 de ce matin ou chacun pensa à l'autre mystérieusement unis par la pensée au-delà de la distance. Un truc à faire basculer des esprits faibles de la science dans la croyance, Notre encontre est indexée sur le même taux de probabilités que l’apparition de la vie sur terre et la théorie de l’évolution. Tu es venue pile poil alors que je ne t’attendais pas ou plus et cette séquence aléatoire débuta bien plus tôt. Reprenons depuis le début… le dix neuf Avril 1954 et le lendemain vingt Avril 1965 … nan, je déconne ! Nous avons fait une étape de Monastier/Gazeille à Landos d’un format identique qui ne correspond pas à celui du guide. Le hasard, qui s’était pris les pieds dans le tapis a réinitialisé le programme pendant que tu marchais entre Le Luc et La Bastide, je sautais l’étape en récupérant ma voiture. Voilà ! Les marionnettes ingénues, qui ne demandaient rien mais n’en espéraient pas tant, sont mise en espace dans l’unité de lieu et de temps. Nous allons nous effleurer. Je t'ai salué évitant la bise comme tout le monde, à cause de cette barbe dont je ne voulais pas t'imposer la dureté, puis tu m'as distancé, mystérieusement intriguée comme tu me le diras plus tard  dans la montée vers les éoliennes. De la Mourade, Au Bleymard nous nous sommes perdu à cause de la même déviation mais pas retrouvé pour autant. Tu dormais aux Alpiers et moi vers la station du Mont Lozère. Le lendemain nous nous sommes aperçus. Puis, tu es partie en courant tandis que je m’arrêtais au bar avec des randonneurs qui attendaient le bus et mes pieds pour déstocker leurs pansements sur mes ampoules. Un café plus tard, j’ai couru aussi et j’ai fait une longue pause au sommet. J’ai déjeuné au village du Finiel, grâce à l’épicier itinérant, d’un melon en compagnie d’une poule intéressée par mes pelures et des deux australiennes attentives à mes douleurs « — do you want a medecine ? » Une agricultrice m’a réveillé car elle avait besoin de son champ et un tracteur comme argument. Restait cinq kilomètres à franchir ainsi que le ru sur le pont du Rieumalet. Florac. Nous dormions dans des lits séparés de quelques mètres, toi à l’hôtel du Parc tandis que je choisissais la Maison du Randonneurs, déserte de … randonneurs. J’avais cédé aux sirènes de la douche et tu pensais que j’avais lâché l’affaire à la bifurcation du Signal du Bougès. J’ai un peu traîné sur la place déserte à l’écart des allées très fréquentées devant la préfecture car je la jugeai peu propice pour une autre rencontre où tu n’avais aucune chance de me résister. C’était ma seule nuit en ville et tu n’es pas sortie. Le hasard devait prendre un peu de repos éreinté de n’avoir pas chômé les jours précédents. Il avait encore du taf les jours d’après. Longeant la Mimente je suis parvenu à Cassagnas Gare avec l’idée que c’était mort et je me suis approché, oserais-je dire « par hasard » du gite pour gratter un bout de pain. Tu connais la suite. Je te laisse former l’image du mec zen et fébrile choppant les derniers rayons de soleil sur mon panneau solaire portatif entre deux sapins pour te joindre une dernière fois volontairement sans l’aide de cet incontrôlable putain de hasard. De la chronique de nos intersections, comptabilisant ironiquement toutes ces variables, je me suis emplis et émerveillé de la délicatesse de leur répétition. Sans le verbaliser y compris subliminalement, je me suis pris à aimer discrètement une passante dont je ne voulais rien savoir et pourtant tout connaître. De la Bastide Puy Laurent jusqu’à Saint Jean du Gard s’est installé dans la douceur une histoire que j’ai tenté de verrouiller avec un désir très loin d’égaler celui que je ressens désormais. A ce stade, plus le temps ni l’envie d’installer une relation durable et, conclure avec ou sans sexualité, me convenais. Je ne pouvais pas perdre car, sans intimité, je t’oublierais et avec, j’étais plus fort pour t’oublier. La meilleure, sans doute la seule, façon d’exister réside dans la connivence de deux êtres où chacun s’emplit d’énergie en s’aimant par la chair puisque, nous l’avons appris, ce n’est jamais seulement physique. « S’aimant », je ne te parle pas de cette maladie mentale qui fait de nous des marionnettes béates et prêtes à tout. Passé cinquante piges nous en savons un peu plus sur le sentiment que l’on ne nomme plus pour l’avoir déclamé et l’on ne dit rien de ce truc que l’on commence à percevoir. Un genou à terre, vaincu de la nécessité de s’y soumettre et en jouir sans plus jamais le prononcer. Ce n’est pas dans la poitrine que « ça » se passe, c’est dans la tête et c’est bien plus prometteur et plus fort quand on ne s’y attend pas ou plus. Bien sûr, il y a des signes physiologiques dans la poitrine et ailleurs qui me feraient jaillir dans le mur des initiatives à la croix de Saint Pierre, Murat, Paris, où tu voudras. Halte là, j’ai fait le job ! Je laisse venir en toute confiance. J’en crèverai si rien n’advient de nous. De toute façon c’est programmé et je ne veux rien savoir de demain. Je sais que nous ne perdons pas, nous apprenons et, rien, de toi, c’est déjà tout. De la meilleure façon, par mon initiative et ta réserve, cette histoire s’est terminée au bout du GR. Nous sommes déjà autrement dans la surprise, la curiosité et la découverte. Vers un autre chemin indispensable ou subsidiaire où personne n’a rien à craindre, de demain et de l’autre, puisque nous sommes invulnérables.
D'où vient la vie? Et toi, moi, nous, dans tout ça ? Quelques atomes de carbone et de l'eau à température stable, attendons quelques millions d'années, puisque nous avons la vie devant nous, et ceux qui marchent debout vont bien finir par s'aimer ...
Une chaîne carbonée complexe dans un solvant maintenu à la bonne température le temps nécessaire. Quelques millions d’années plus tard, un homme, ou Lucy, qui pour l’instant n’est qu’un semi aquatique même pas mammifère, sort de l’eau en rampant. Des nageoires vont devenir des ailes ou des pattes, puis des mains avec le pouce en opposition pour tenir un silex, un tournevis, une fourchette, un archet. Des millions d’années alors que désormais il suffit d’entrer dans un Monsieur Bricolage, chez Geneviève Lethu, Jan Bartos ou une boutique Mont Blanc pour concentrer ces millions d’années d’évolution en quelques secondes, opérer un transfert de propriétés d’un coup de CB et acquérir la technologie qui va du caillou à l’outil, du boyau de chat à l’archet de violon et du calame au stylo. Il reste à s’interroger sur ce miracle, ou cette conséquence, de l’apparition de la vie sur terre soit une bonne chose et résoudre l’aporie qu’elle soit bonne pour la terre ou pour la vie elle-même
"A la poursuite de Stevenson" Phalène de Lamparo-Saint Jean du Gard-Juillet 2019