« Cassandra Darke » où l’art du feuilleton à l’ancienne en album

Par Hectorvadair @hectorvadair

Retour de lecture sur cet album incontournable du début d’année.
Posy Simmonds nous ravit de nombreux bijoux, depuis 2000 en France, grâce à la bande dessinée qui l’a vraiment révélée ici cette année-là : « Gemma Bovery » (Denoël Graphic) suivi de « Tamara Drewe » (2008). Deux album adaptés au cinéma, dans le désordre dira t-on, en en 2010, pour le plus récent alors (« Tamara Drewe »), par Stephen Frears, et en 2014 pour le plus ancien « Gemma Bovery », par Anne Fontaine (et avec dans le rôle titre à chaque fois : Gemma Artyerton).
Elle pratique ce médium cependant depuis au moins 1977 et son premier album en anglais, tournant en dérision le lectorat intellectuel de gauche du journal the Guardian, bien qu’elle ait commencé le dessin de presse en 1962 (1). Tout en prenant la suite de ses précédentes œuvres appréciées, et déjà citées, mettant en relation des quadragénaires évoluant dans un milieu un peu bobo, mais surfant sur son recueil de planches
« Literary Life  : scènes de la vie littéraire », paru en 2014, décrivant de manière assez acide mais avec beaucoup d’humour son expérience du milieu littéraire, elle propose avec « Cassandra Darke » une approche policière du même milieu.
Cassandra Darke n’est pas une vieille fille qui, comme souvent dans ces cas là, vit avec ses petites habitudes et ses idées arrêtées sur tout, car elle a été mariée durant quelques années. Malgré ou à cause du diagnostique Alzheimer de son mari, intervenu après leur divorce, elle continue à gérer la galerie d’art londonienne qu’elle a monté auparavant avec lui, s’occupant de tout, l’ami ayant repris l’affaire n’étant jamais sur place. De quoi se laisser tenter et jouer avec le feu, en vendant plusieurs copies de reproductions signées par exemple. Un jeu qui pourrait bien la conduire en prison. Le plus inquiétant cependant réside plutôt dans le petit appartement qu’elle a loué à la fille de cet ami : Nicky, afin de l’aider dans ses études artistiques. Cette dernière n’a malheureusement pas eu les fréquentations idéales, et le tourbillon dans lequel elle s’est fourrée, avec un copain d’un soir, va ricocher sur la vieille dame…

Le Style narratif de Posy Simmonds destabilisera certainement les amateurs de bande dessinée dite
« classique », avec système de gaufrier. L'auteure pratique en effet un genre davantage lié à l’illustration, issu de son expérience « journalistique », car, malgré des phylactères nombreux, parfois utilisés sur plusieurs pages d’affilé, ce sont aussi de nombreux pavés de textes qui ornent les pages, qui sont elles-même coupées par de grande illustrations couleur ou des têtes de chapitre, donnant cette impression de feuilleton. Au delà d’une histoire superbement ficelée, que n’aurait pas reniée une Agatha Christie, c’est donc bien ce traitement de mise en page et narratif qui fait le sel des ouvrages de l’auteure. Les sentiments sont justes, la société examinée et rendue avec beaucoup de réalisme, et Posy Simmonds laisse transparaitre ce qui doit être sa vision personnelle de notre société : une société où l’on peut vivre tout à la fois avec ses traditions, ses coutumes, ses habitudes, et ne pas renier l’air du temps qui flotte à nos côtés. De fait, Posy Simmonds parvient magnifiquement à célébrer la modernité dans la nostalgie. Associé à une écriture juste et poétique, c’est une vraie marque de fabrique.
Un thriller magnifiquement enjoué.
FG

Dessin de presse © Posy Simmonds


(1) On pourra se ravir de ses nombreuses illustrations et courts récits dans la superbe et première monographie, parue à l’occasion de l’exposition qui était consacrée à l’auteure lors du Pulp festival 2019 à la Ferme du buisson :
« So British ! : l’art de Posy Simmonds » par Paul Gravet (Denoël Graphic 2019)
« Cassandra Darke » par Posy Simmonds Éditions Denoël Graphic (21 €) - ISBN : 9782207142813