Le sacrifice du souffle

Publié le 27 novembre 2019 par Anargala


apāne juhvati prāṇaṃ prāṇe 'pānaṃ tathāpare /
prāṇāpānagatī ruddhvā prāṇāyāmaparāyaṇāḥ //

Bhagavad Gîtâ, IV, 29


"Certains offrent l'expir dans l'inspir,
d'autres l'inspir dans l'expir.
Abolissant l'expir et l'inspir,
ils se dévouent à l'affinage du souffle."
Le plus simple est de se donner au silence à la fin d'un expir.
L'expir comme un "om" silencieux propulse l'attention dans le silence.
Quand on est distrait, on recommence.
Ce silence est d'abord savouré dans ces intervalles.
Puis ces mouvements du souffle ne sont plus perçus comme des interruptions du silence.
Puis ces mouvements du souffle sont vécus comme des mouvements du silence.
Une seule réalité mouvante. Aucune séparation.
Les mouvements du souffle sont les supports intimes des expériences mentales.
L'expir est Shiva, le silence, la mort, la connaissance, un mouvement vers le réel, un geste d'acceptation, de lucidité. Il est l'état de sommeil profond, l'unité pure de la conscience pure, sans réflexion.
L'inspir est Shakti, le ressenti, la naissance, l'amour, un abandon dans la source, un recoulement au centre, l'expérience de l'unité avec tout. Il est l'état de veille, la multiplicité de la conscience en tant que pouvoir de réflexion.
Je suis conscience, ce pouvoir de se réaliser de ces deux manières, comme unité, comme multiplicité, comme forme, comme absence de forme. 
Dans ce silence simple (sans aucune dualité, sans idée d'unité, indicible), il y a comme un éveil. 
Dans cet intervalle qui n'est "ni le jour, ni la nuit", dans cette égalité, le yoga s'éveille, car "le yoga est égalité". Un feu s'allume, pour ainsi dire. C'est le souffle vertical, ou ascendant, à l'image de la flamme d'une bougie. Les nœuds fondent peu à peu, même si le feu s'allume en un instant. 
Tout s'ouvre. Se mêle à l'espace, mais un espace vivant. Le souffle est alors spatial. La respiration continue, car elle est naturelle. Le jour, la nuit. La vie, la mort. Mais le jour est vécu comme extase créatrice. La nuit comme repos. Un mouvement et un repos. Une harmonie des contraires. Je suis le mystère qui se réalise ainsi, à travers cette respiration de la forme à l'absence de forme. "Je suis" est cet acte infini, insaisissable. Ni identification à la forme (pas juste l'état de veille, Shakti), ni rejet de la forme (pas juste l'état de sommeil profond, Shiva).
Juste plonger dans ce silence. Sans rien forcer. Net, clair, sans but, précis, sur un expir comme sur une vague. Un, entier.
Le mystère se reconnaît de soi-même, au-delà de toute expérience, source de toutes les expériences, vie de toutes les expériences.