Le travail de mémoire de Gregory Buchakjian

Par Artbruxelles

Au sous-sol de la Fondation Boghossian, une exposition sidérante de l’artiste multidisciplinaire et historien de l’art libanais sur les “Habitats abandonnés de Beyrouth“.

Un travail gargantuesque de plusieurs années (doublé d’un doctorat à la Sorbonne) consistant en un travail d’inventaire de 750 immeubles, maisons et d’hôtels en ruine. Les photos exposées montrent ces lieux sans vie. Vous y verrez des endroits vidés, d’autres contenant encore des objets du quotidien abandonnés par la fuite immédiate de leurs propriétaires. Parmi ces lieux, le monde végétal a aussi pris le dessus. Des lianes telles des reines-grimpantes envahissent sans complexe l’espace. Arrêtez-vous un instant. Imaginez ces départs traumatiques.

Pour ne jamais oublier ce que cette ville et ses habitants ont subis en guerre, en conflit, en crise économique et social (dont la plus récente dure depuis le mois d’octobre), Buchakjian photographie autant qu’il peut les extérieurs comme les intérieurs (interdits au public). Un acte de résistance courageux pour entretenir la mémoire collective et se souvenir des rires, des naissances, des disputes, des pleurs, des repas de familles dans ces bâtiments désormais fantomatiques. Date de démolitions ? Quand les promoteurs immobiliers jugeront qu’il s’agit du “bon“ moment.

( diapo ci-dessous)

Cliquer pour visualiser le diaporama.

Un travail de restitution et de dignité

Mais la fabuleuse démarche d’inventaire et d’archivage ne s’arrête pas la ! De 2012 à 2015 Buchakjian récupère,  avec l’écrivaine libanaise Valérie Cachard, objets et documents laissés sur place par les habitants. Ce sont au total 700 d’entre eux qui seront nettoyés, numérisés et classés. C’est dans une vidéo,  de neuf minutes environ, que l’on découvre nos deux acolytes tenir dans leur mains gantées objets, lettres, cartes postales, posters, passeports, magazines. Des gestes rappelant la même délicatesse et préciosité que ceux des restaurateurs de musée. C’est avec lenteur, qu’ils les déposent un par un au sol, avec une certaine décence de la distance.

Dans un long et magnifique travelling la camera survole ces morceaux de vies arrachées, humiliées, à qui les deux artistes redonnent une dignité. A la fin de la vidéo, une information capitale et terriblement émouvante : toute personne qui reconnaîtrait l’un de ses objets pourra venir le réclamer. Car c’est bien aussi l’un des buts de Gregory Buchakjian, restituer aux ayants-droits un bout de leur vie.

Une démarche artistique nécessaire, humaniste et élégiaque. A voir, comme une urgence.

Fondation Boghossian,

Gregory Buchakjian,  “Habitats abandonnés de Beyrouth“.

Jusqu’au 5 janvier