Elles dessinent des histoires dans la neige

Publié le 25 janvier 2020 par Detoursdesmondes


Je vous arrête tout de suite… loin de moi l’idée de retranscrire ici les plus de trois heures de conférence de notre ami Anthony Meyer sur l’art Eskimo qu’il a réitérées afin de satisfaire une grande partie des membres de Détours des Mondes présents les 22 et 23 janvier derniers…
Nous attendons donc avec impatience 😜 la sortie de son ouvrage sur le sujet car il a produit une formidable synthèse qui n’existe pas encore dans nos bibliothèques : l’approche de l’art Eskimo est récente, les découvertes des objets anciens ne datant que de l’entre-deux guerres.
Sa présentation a notamment fait un tour d’horizon des cultures Ekven, Koniag-Aleut, Okvik, Dorset, Punuk, Ipiutak et Thule. La sculpture eskimo, souvent en ivoire, qu’il a abordée, touche à la représentation humaine, animalière mais aussi se retrouve dans des objets fonctionnels étranges pour nous et souvent très raffinés.
Ainsi ne peut-on être qu’émerveillé devant le travail de ce contrepoids de harpon (photo ci-dessus) comprenant des motifs délicatement incisés incorporant des esprits d’animaux utilisés pour attirer le gibier vers le chasseur, ajoutant ainsi de la force à l’arme ; et ému par cette madone qui pourrait nous remémorer quelques vierges auvergnates…
Je pourrai multiplier les exemples… mais avec souvent une méconnaissance des pratiques : nous ne sommes qu’au début des recherches sur ces arts des cultures multiples qui ont peuplé la Sibérie, l’Alaska, le Nord du Canada, le Groenland ; et c’est aussi ce qui est passionnant !
Le titre de mon article est tiré de l’utilisation de cet objet (photo ci-dessous). Il s’agit d’un couteau à histoires, c'est un jouet traditionnel de fille utilisé pour dessiner des images dans la neige : des vêtements, des personnes, des maisons, des animaux et des événements, et celles-ci illustrent une histoire. Les couteaux étaient transmis de mère à fille.


On peut être encore surpris par les figurines incisées de lignes. Les recherches actuelles ont mis à jour l’importance du tatouage dans ces cultures. Ainsi, sur le visage du personnage ci-dessous, on sait maintenant que ces lignes sont la marque d’un grand chasseur de baleines : deux points sont réalisés à l’aiguille à chaque prise de ce cétacé ! Qu’il ait été la marque de prestige, de statut, le tatouage fut aussi employé comme prophylactique… mais de tout cela on ignore encore beaucoup.
(cf. Recherches de Lars Krutak)
.
Quoiqu’il en soit ces objets sortis d’une terre glacée plongée dans une nuit quasi-éternelle nous touchent par leur esthétique, leur expressivité (à vous faire peur comme les figures effrayantes de tupilak ou vous émouvoir comme le petit adorant (cf. 2 photos ci-dessous)), leur intelligence des formes et probablement aussi parce qu’ils nous renvoient aux confins de notre humanité avec des formes préhistoriques qui nous sont familières. Enfin et surtout, et au-delà des explications fonctionnelles, laissons nous simplement porter par leur vent de poésie !

Un grand merci à Anthony Meyer pour son “introduction” à l’art Eskimo.
Retrouver son site.
Quelques uns de ses objets montrés dans les présentations à retrouver dans ses catalogues
Frieze Masters 2012 
Frieze Masters 2013
TEFAF 2012
TEFAF 2013
TEFAF 2014
BASEL 2017
TEFAF 2019

Photo 1 : Objet ailé Ekven © Metropolitan M. 1975.311
Photo 2 : Madone Okvik © University of Alaska- M. of the North.
Photo 3 : Couteau à histoires © Bonhams 2006.
Photo 4 : Figure Okvik © Rock Foundation.
Photo 5 : Tupilak © Smithsonian E432435.
Photo 6 : Adorant Paleo-Eskimo © Menil Collection.