Montfaucon, terrifiant gibet des rois

Par Plumehistoire

C'était un horrible profil sur le ciel que celui de ce monument ; la nuit surtout, quand il y avait un peu de lune sur ces crânes blancs, ou quand la bise du soir froissait chaînes et squelettes, et remuait tout cela dans l'ombre

(Victor Hugo - Notre-Dame de Paris)

Le gibet de Montfaucon, silhouette isolée sur sa butte exhalant la mort, hante les imaginaires depuis son édification au XIIe siècle jusqu'à aujourd'hui, plus de trois siècles après sa destruction totale !

De l'exécution à l'exhibition

Au Moyen-Âge, les espaces parisiens dédiés aux exécutions sont légions. Noyades, décapitations, buchers ou écartèlements sont pratiqués sur les Pont-Neuf et Saint-Michel, aux portes Saint-Jacques et Saint-Denis, dans les cours du Châtelet et du Palais de Justice, sur le parvis de Notre-Dame, dans le marché aux Pourceaux pour les hérétiques, au pilori des Halles, ou encore sur la place de Grève puis sur la place Maubert.

On distingue lieu de l'exécution à proprement parler et site où les cadavres sont offerts aux regards pendant plusieurs jours, voire plusieurs années jusqu'à la décomposition du squelette : le Moyen-Âge raffole de ces expositions macabres visant à décourager tous ceux qui auraient pour ambition de commettre un quelconque méfait... Les constructions dédiées à ces spectacles sinistres sont baptisées " fourches patibulaires ". Elles sont généralement composées de piliers en haut desquels on accroche les suppliciés. Le nombre de ces piliers varie en fonction de la qualité des seigneurs qui les possèdent : huit pour les ducs, six pour les comtes, quatre pour les barons, deux pour les gentilshommes justiciers... Et oui, mettre à mort est un privilège ! Bien entendu, le roi seul peut édifier autant de piliers qu'il le souhaite. Ces fourches patibulaires sont aussi utilisées comme lieu d'exécution par pendaison et servent alors de gibets.

Le gibet de Montfaucon constitue, durant plusieurs siècles, le plus important gibet royal où s'exerce l'implacable Justice de Paris et le lieu d'exposition des cadavres par excellence : jusqu'à cinquante, voire soixante à la fois ! Lors de son édification au XIIe siècle environ, le gibet est situé bien en dehors de Paris, sur le terrain d'un certain comte " Falcon " ou " Fulco ". Il s'élève sur une butte à l'extrémité du faubourg Saint-Martin, quartier qui ne sera englobé à l'agglomération parisienne qu'à la fin du XVIIe siècle. Rapidement surnommé " Mont Falcon " puis " Montfaucon ", le gibet reste à l'extérieur des murailles élevées un peu plus tard par Charles V autour de la capitale. Son emplacement correspond à peu près aujourd'hui à celui de l'hôpital Saint-Louis dans le 10 e arrondissement.

Un charnier dissuasif

L'architecture du gibet, d'abord en bois, évolue au cours des siècles. Au XVe siècle, il s'élève à près de quinze mètres au-dessus du sol, reposant sur un socle en pierre. Seize gros piliers carrés sont reliés entre eux sur deux voire trois niveaux, par de solides poutres de bois. On hisse les suppliciés jusqu'en haut grâce à des échelles pour aller les accrocher sur les poutres à l'aide de chaînes de fer.

Le dessous de ce lugubre édifice était occupé par un vaste souterrain où l'on jetait les cadavres décrochés pour faire place aux nouveaux suppliciés, les lambeaux humains tombés du gibet, et encore les corps des criminels exécutés dans la ville.

( Montfaucon, son gibet, sa voierie...)

Ce centre évidé où repose un amoncellement de restes humains se transforme en charnier de choix pour les sorciers qui peuplent les bas-fonds de la capitale : à la nuit tombée, ils subtilisent os et autres organes pour leurs mixtures douteuses... Prédations qui posent un réel problème, à tel point qu'en 1407, le Parlement investit le Prévôt de Paris d'une mission bien particulière, celle " de poursuivre activement les individus qui dépouillaient les gibets des charognes de ceux qui y avaient été pendus. " On entoure le gibet d'une enceinte fermée par une grosse porte.

La puanteur qui se dégage de cet amas de cadavres devient parfois insoutenable. Lorsque Louise de Savoie, mère du roi François I er, décède au château de Saint-Maur en 1532, le monarque ordonne que l'on dégarnisse les potences placées sur le trajet du convoi funéraire. Les cadavres et les morceaux de corps en décomposition sont déplacés et enterrés dans des cimetières, assurant un cheminement plus... respirable à la multitude venue suivre le convoi jusqu'à Notre-Dame de Paris !

Quoi qu'il en soit, Montfaucon reste l'incarnation même de la justice royale, qui lance un avertissement limpide aux voyageurs de passage avant leur entrée dans Paris : effet dissuasif garanti !

De plus d'une lieue à la ronde on découvrait cette sinistre colonnade, ce temple de la mort, qui, isolé et dominant une partie de la ville et des campagnes environnantes, était le plus ancien et le plus superbe gibet du royaume.

( Montfaucon, son gibet, sa voirie...)

La valse des condamnés

Les condamnés exécutés sur le site même de Montfaucon sont acheminés à cheval, en charrettes et parfois à pied depuis la capitale, les mains liées. Une pause salutaire leur ait accordée au couvent des Filles-Dieu, à l'emplacement actuel du passage du Caire rue Saint-Denis. On offre alors aux prisonnier leur dernier repas : trois morceaux de pain béni et un verre de vin. Si les victuailles sont englouties avec appétit, on estime que c'est de bon augure pour le salut de leur âme ! Le cortège reprend ensuite sa marche jusqu'à Montfaucon. Quant aux cadavres des condamnés exécutés dans Paris, ils sont acheminés jusqu'au au gibet entassés dans des charrettes.

L'exposition de cadavres nus est tout à fait impensable. Les bourreaux ont donc la délicatesse d'envelopper leurs victimes dans des sacs de toile ou de cuir avant de les pendre par les aisselles. Vision d'horreur que ces dizaines de cadavres décharnés, balancés par le vent dans leurs vêtements d'infortune, dans le couinement des chaînes de fer...

Ce rituel prive les condamnés du privilège du repos en terre sainte, et les déshonore par l'ostension publique de leurs dépouilles.

( Le corps du condamné et le tissu urbain)

De célèbres personnalités sont pendues à Montfaucon : Enguerrand de Marigny, grand chambellan et premier ministre de Philippe le Bel, accusé d'avoir pillé les finances, en 1315 ; Girard Gueste, ministre des finances de Philippe le Long, accusé par son successeur, Charles le Bel, de détournement d'argent, meurt sous la torture avant d'être trainé dans les rues de Paris puis suspendu à Montfaucon ; Charles le Bel fait encore pendre en 1328 son principal trésorier Pierre Remi, en 1331 Macé de Marches en charge du trésor royal et en 1333 René de Siran, maître des monnaies ; en 1409 on accroche au gibet le corps de Jean de Montaigu, grand-maître de France sous Charles VI, accusé de sorcellerie et d'empoisonnements mais surtout jalousé pour sa fortune prodigieuse... ; en 1481 on attache quelques jours au gibet Olivier-le-Dain, comte de Meulan, conseiller intime de Louis XI, surnommé le Diable par la population qui l'exècre ; Jacques de Baume Sablançai, surintendant des finances de François Ier est pendu en 1527 ; le corps sans tête du célèbre amiral de Coligny, chef de file des protestants sauvagement assassiné par les catholiques pendant la Saint-Barthélemy en 1572, reste longtemps suspendu au gibet par les pieds avant que son cousin François de Montmorency ne subtilise ses restes ! La liste de seigneurs, petits bourgeois et voleurs de bas étage dont les cadavres sont ainsi offerts en spectacles à Montfaucon est infinie. Les erreurs judiciaires et les exécutions gratuites sont innombrables !

Ne semblait-il pas qu'autour de ses ruines ont vit errer les ombres d'une foule d'innocents, venant réclamer une tardive et stérile réhabilitation au lieu où ils avaient payé de leur tête la haute faveur à laquelle la fortune les avait élevés ?

( Des anciennes fourches patibulaires de Montfaucon)

L'exquise particularité du gibet de Montfaucon est de servir à un autre type de supplice plus rare mais très prisé : l'enterrement vivant des femmes. Des traces subsistent de ces tortures : une dénommée Marion de La Court, conduite à Montfaucon le 20 janvier 1392, confirme devant la fosse ouverte ses confessions passées et y ajoute une liste de vols impressionnants de façon à " décharger son âme plus sereinement et grande conscience et repentance de ses péchés " avant d'être enterrée vive. Au XVe siècle, Jeannette la Bonne Valette, Marion Bonnecoste, Ermine Valancienne ou encore Louise Chaussier, sont enfouies dans la fosse creusée en contrebas du gibet en punition de leurs " démérites ". En 1460, une certaine Perrette Mauger, " voleuse et recéleuse de profession " doit " souffrir mort et être enfouie toute vive devant le gibet " : elle tente d'échapper à cette torture en prétextant une grossesse mais le diagnostic est infirmé et elle est aussitôt amenée jusqu'à la fosse...

De Montfaucon aux Buttes-Chaumont

Au milieu du XVIIe siècle, le gibet de Montfaucon, mal entretenu, cesse pratiquement de servir. On tient tout de même de temps à autre à pendre quelques cadavres à deux ou trois poutres vermoulues qui tiennent encore debout par miracle. Il faut néanmoins attendre l'année 1760 pour voir le gibet entièrement détruit.

À partir du milieu du XVIIe siècle, le site de Montfaucon, plus au sud de l'emplacement où s'élevait le gibet, devient un lieu de dépôt des immondices de Paris, en un siècle où la saleté de Paris fait peur et où l'hygiène publique devient un problème que le pouvoir royal tente de résoudre à expédiant à l'extérieur de la capitale les déchets qui ne cessent d'augmenter. Le lieu est ensuite transformé en centre d'équarrissage, toujours dans un souci de limiter les risques de maladie et de contagion qu'entraîne la croissance exponentielle des boucheries à Paris.

Une ordonnance de 1849 supprime Montfaucon pour aménager sur ce terrain maudit des jardins publics fort agréables : mandaté par Napoléon III, le baron Haussmann fait ainsi édifier les jardins des Buttes-Chaumont, aujourd'hui espace réputé de la vie parisienne !

Sources

Le gibet de Montfaucon : étude sur le vieux Paris de Firmin Maillard

Montfaucon : son gibet, sa voirie, son écorcherie de Perrot

♦ Condamner à mort au Moyen Âge de Claude Gauvard

♦ Mourir sur l'échafaud de Freddy Joris

La voirie de Montfaucon, illustration d'une politique d'hygiène publique de Jean-Michel Poughon

Le corps du condamné et le tissu urbain de Veronika Novák

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