(Anthologie permanente), Edward Kamau Brathwaite, traductions inédites de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé


Sunsum 1

Ainsi pour mon hachis
de coeur, veines à sou
venirs, je porte ce
passé que j’empruntai ; l’his
toire saigne
derrière mes yeux évidés ;
sur mon dos humide
sèche le soleil du demain ;
accueille ici ton frère
geint ma langue courbée
piégée encore. Et je reviens
arpentant ces brûlis
de rues, avec douleur lou
voyant au cerveau, masque en bois
dans cette forêt, pailles
plus épines, fouil
lant limon de l’en
clos où ma mère
enterra le fin vers
engendreur qui pou
ssa entre mon cœur
et son chagrin. Quelque
part sous le gravier
le noir cordeau de la naissance
s’agrippe toujours à la terrestre
chaleur scintillante, tension de joyaux, tiss
erands chants de l’araignée :
Anansi Kwaku qui luit
en l’obscurité
et capture nos peurs souterraines.
Mais mon espoir de nègre bêche
qui fracasse la pierre
reçoit mutité en re
tour pour écho.
Commencements échoués
ici dans ce ghetto.
Les doigts fermes de l’ombre me
démasquent ; mon cordon
ombilical hurle.
Source : Edward Kamau Brathwaite : The Arrivants, Oxford University Press 1973. Traduit de l’anglais (caribéen) par Jean-René Lassalle.
Sunsum 1

So for my hacked
heart, veins’ mem-
ories, I wear this
past I borrowed; his
tory bleeds
behind my hollowed eyes;
on my wet back
tomorrow’s sunlight dries;
welcome your brother now
my trapped curled tongue
still cries. And I return,
walking these burnt-
out streets, brain limp-
ing pain, masked
in this wood, straw
and thorns, seek-
ing the dirt of the com-
pound where my mother
buried the thin breed-
ing worm that grew
from my heart
to her sorrow. Some-
where under gravel
that black chord of birth
still clings to the earth’s
warmth of glints, jewels’ pressures, spin-
ning songs of the spider:
Kwaku Ananse who gleams
in the darkness
and captures our underground fears.
But my spade’s hope,
shattering stone,
receives dumbness back
for its echo.
Beginnings end here
in this ghetto.
Firm fingers of shadow un-
mask me; my navel
string screams.
Source : Edward Kamau Brathwaite : The Arrivants, Oxford University Press 1973.
--------------------
Sunsum 2

Entendez-vous
pouvez-vous m’entendre,
tissure du sang,
torve saillance
de joue, os en
duit de souffle, yeux
dont je me souviens si bien ?
Pourquoi notre or, le solaire sang
sunsum, protégé des termites, céda
t-il sous le fusil blanc 
du pillage, brillante tête de
pont friquée, triche à promptes balles ?
Pourquoi le tabouret
sacré que tu nous donnas
Anokyé,
ne nous sauva de cet orgueil,
des bibles de tribus étrangères,
du dieu chrétien affamé
dévorant le bien de notre arbre ;
chair de la chair de mes frères
déchirée pour nourrir bateaux,
dans la mer du profit ?
trop fiers ?
trop sonores
avec nos blanches dents
louangeuses ?
trop riches ?
trop extérieurs ?
trop prêts 
aux cérémonies anciennes ?
Les années demeurent
silencieuses : la poussière
n’apprend rien en écoutant ;
pieds retournent à la pierre,
douleur du cheminement ; sans-
logis banni qui trébuche sur l’obscur.
Disparus les craquements de bran
ches, la fumée bleue de cuisson giff
lant ma colère des routes, sueurs des
sous-bois. Mes sœurs sucent le silence.
Frères ne remarquent plus rien.
Mon tabouret, versé de côté, ou
blie lentement la calme press
ion de ma forme et présence :
les crocs noirs des termites, sur trois
cents ans s’activant,
ont patiemment ruiné mon art.
Source : Edward Kamau Brathwaite : The Arrivants, Oxford University Press 1973. Traduit de l’anglais (caribéen) par Jean-René Lassalle.

Sunsum 2

Can you hear
can you hear me,
blood’s tissue,
curving issue
of cheek, bone
wrapped with breath, eyes
I remember so well?
Why did our gold, the sun’s
sunsum, safe against termites, crack
under the white gun
of plunder, bright bridge-
head of money, quick bullet’s bribe?
Why did the god’s
stool you gave us,
Anokye,
not save us from pride,
foreign tribes’ bibles,
the Christian god’s hunger
eating the good of our tree;
flesh of my brothers’ flesh
torn to feed ships,
profit’s sea?
too proud?
too loud
in our white teeth
of praises?
too rich?
too external?
too ready
with old ceremonial?
The years remain
silent: the dust learns nothing
with listening;
feet return to the stone,
pain of pathway: home-
less departer who stumbles on dark.
No longer here the wood crack-
ing, blue cooking smoke snap-
ping my anger of roads, sweat-
ing thickets. My sisters sip silence.
Brothers no longer notice.
My stool, tilted sideways, for-
gets slowly the slow press-
ing shape of my presence:
the termites’ dark teeth, three
hundred years working,
have patiently ruined my art.
Source : Edward Kamau Brathwaite : The Arrivants, Oxford University Press 1973.
----------------------
Bermudes

marine au midi en avion des amériques

   D’abord la sombre meer
commence doucement à respirer dans le vert
dans la lumière et le vert clair
jusqu’à en bleu vertébrer
des côtes dessus les eaux. le rêve
et ces côtes couleur d’eau sont branchies
du premier poisson qui respira
la première terre l’originaire œ-il
-île
jusqu’à ce qu’arrive ce qui ne devrait être ici
sur les eaux
blanches
empreintes de sable depuis le fond de l’océan
mènent à la fine route d’Éleuthéra
longues & minces marchant sur les eaux
jusqu’à buter sur une pierre noire
une sombre
kabbale voilée entourant de spires
vénérantes des pétoncles d’eau verte
qui se rétractent en souples
pierreries le premier gigantesque poisson
sorti de la création
avec ses côtes et veines esquisse
d’une queue & profonds canaux interstitiels
où grandiront crêtes & monts
& villages & couchants azur indigo d’oz
en lapis-lazuli & sel blanc délinéant ses bordures ondulées
& se tendant en mille langues. lieues
de molles labiales flottantes. comme un amour pellucide
sur l’eau. ce poisson
par l’air de tant démêle tant
& dix mille ans plus tard voici les arbres
la brillante lumière solaire & la pluie attentive & les blanches rues
& les maisons & les gens musardant & discutant dessus les eaux & à travers
son bleu écho
& pensant aux chevaux & maisons & là peu après midi sont de vastes et ob
-longues flaques comme une éclaboussure
lactée & une grande araignée qui s’étire le long du pâle fond vitrifiant de
l’eau. puis cette formidable planète qui avance ascendante vers nous
hors du silence & dérivant & bénédiction des eaux
Source : Edward Kamau Brathwaite : Born to Slow Horses, Wesleyan University Press 2005. Traduit de l’anglais (caribéen) par Jean-René Lassalle.
Bermudas

marine to noon on AméricasAirplane
First the dark meer
begins to breathe gently into green
into light & light green
until there are like blue
ribs upon the water. dreaming
and the ribs of water’s colour are the gills
of the first fish breathing
the first land the first eye
-lann
until there is what shd not be here
on the water
white
footsteps of sand from the bottom of the ocean
become the thin road to Eleuthera
long & thin upon the water walking
until there is suddenly a black stone
a dark
veil kabala surrounding by whorls
of worship green water scallops
folding into themselves like soft
jewels the first huge fish
out of creation
w/ribs veins glimpse
of a tail & deep channels in between
where they will be mountains & ridges
& villages & ozure indigo sunsets
of lapis lazuli & white salt marking its finely corrugated edges
& stretching out into thousands of tongues. miles
of soft drifting labials. like pellucid love
on the water. this fish
from the air of so many so many untangles
& 10 thousand years later there are trees
glistening sunlight & listening rain & white streets
& houses & people walkin bout & talkn to each other on the water & across
its blue echo
& thinking of horses & houses & now soon after midday there are great ob
-long blotches like a stain
of milk & a great spider spreading itself along the pale glazing bottom of
the water. and this great planet passing upwards towards us
out this silence & drifting & blessing of the water
Source : Edward Kamau Brathwaite : Born to Slow Horses, Wesleyan University Press 2005.
Choix et traductions inédites de Jean-René Lassalle.
Lire cette présentation d’Edward Kamau Brathwaite