Thomas Bernhard – Mon bout de monde

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Des milliers de fois le même regard
À travers la fenêtre dans mon bout de monde
Un pommier dans sa pâle verdure
Et au-dessus des milliers de bourgeons,
Ainsi appuyé au ciel,
Un ruban de nuages très étendu…
Les cris des enfants dans l’après-midi,
Comme si le monde n’était qu’enfance ;
Une voiture roule, un vieux se tient debout
Et attend que sa journée passe,
Légère, de la cheminée sur le toit,
Notre fumée suit les nuages…
Un oiseau chante, et deux et trois,
Le papillon s’envole rapidement,
Les poules mangent, les coqs chantent,
Oh oui, seuls des étrangers passent
Sous le soleil, d’année en année
Devant notre vieille maison.
Le linge flotte sur la corde
Et là-bas un homme rêve du bonheur,
Dans la cave pleure un pauvre hère,
Il ne peut plus chanter de chansons…
Il en est à peu près ainsi le jour,
Et chaque nouveau coup de cloche
Porte, mille fois, le même regard,
À travers la fenêtre dans mon bout de monde…

*

Mein Weltenstück

Vieltausendmal derselbe Blick
Durchs Fenster in mein Weltenstück
Ein Apfelbaum im blassen Grün
Und drüber tausendfaches Blühn,
So an den Himmel angelehnt,
Ein Wolkenband, weit ausgedehnt …
Der Kinder Nachmittagsgeschrei,
Als ob die Welt nur Kindheit sei;
Ein Wagen fährt, ein Alter steht
Und wartet bis sein Tag vergeht,
Leicht aus dem Schornstein auf dem Dach
Schwebt unser Rauch den Wolken nach …
Ein Vogel singt, und zwei und drei,
Der Schmetterling fliegt rasch vorbei,
Die Hühner fressen, Hähne krähn,
Ja lauter fremde Menschen gehn
Im Sonnenschein, jahrein, jahraus
Vorbei an unserem alten Haus.
Die Wäsche flattert auf dem Strick
Und drüber träumt ein Mensch vom Glück,
Im Keller weint ein armer Mann,
Weil er kein Lied mehr singen kann …
So ist es ungefähr bei Tag,
Und jeder neue Glockenschlag
Bringt tausendmal denselben Blick,
Durchs Fenster in mein Weltenstück …

***

Thomas Bernhard (1931-1989)Sur la terre comme en enfer (Orphée / La Différence, 2012) – Traduit de l’allemand par Susanne Hommel.