(Anthologie permanente), traductions inédites de Michael Palmer par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé


Langue endormie

Un vent avait dégagé les choses, volé les choses. Avait balayé la cage d’escalier jusqu’au bas, il se faisait sombre et tard, un champ sombre à pois tourbillonnants. Masse des étoiles d’été, fenêtre brisée, toutes pages en allées, tous stylos, toutes amulettes et listes, toutes machines sauf une. Comment vas-tu lire dans le noir maintenant ? demandait le pyrographe. Où placeras-tu tes mains, comment tiendras-tu tes bras ? Clopiner comment, comment marcher de mur en mur ? Comment recueillir sur-le-champ les images ? Comment recentrer ses yeux, se passer un peigne dans les cheveux, fixer son regard sur l’objet manquant ? Comment écouter, où habiter ? Encore une fois encore, dit Khlebnikov. Et ce fut tout. Les choses étaient des années. Idée de lumière, de chair, de pensée. Choses volées.
Source : Michael Palmer (2005) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Tongue asleep

A wind had cleared things out, stolen things. Had swept down the stairwell, it was that dark and late, dark field with swirling dots. Mass of summer stars, window shattered, all pages gone, all pens, all amulets, lists, all machines but one. How will you now read in the dark? asked the pyrographer. Where will you place your hands, how hold your arms? How hobble, how step from wall to wall? How gather in images forthwith? How focus the eyes, draw a comb through your hair, fix your gaze on the missing thing? How listen, where dwell? Once more, once more, said Khlebnikov. And that was all. Things were years. Idea of light, of flesh, of thought. Stolen things.
Source : Michael Palmer (2005) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
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Pierre

Que faire de ce chien-loup en sa pleine lancée ?
Quoi de cette femme en robe technique
et l’œil d’ambre qui sert de guide féral
ainsi que témoin
de l’essaim neigeux ?
Qu’en est-il de la chanteuse revêtue de rouge
et figée à mi-chant
et la pierre, sa dislocation,
ou la voix hors-scène qui déclare,
Notez la libellule près de l’iris
mais ne posez de question sur le vol,
aucune question d’iridescence ?
Tout en ceci
et la menue promesse d’une manche,
la course de la navette, le tissage.
Que faire avec ceux-ci ?
Et quoi du siècle, l’avez-vous vu passer ?
Qu’en est-il de ce chien-loup dans ton dos ?
Source : Michael Palmer : Company of Moths, New Directions 2005. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Stone

What of that wolfhound at full stride?
What of the woman in technical dress
and the amber eye that serves as feral guide
and witness
to the snowy hive?
What of the singer robed in red
and frozen at mid-song
and the stone, its brokenness,
or the voice off-scene that says,
Note the dragonfly by the iris
but ask no questions of flight,
no questions of iridescence?
All of this
and the faint promise of a sleeve,
the shuttle’s course, the weave.
What of these?
What of that century, did you see it pass?
What of that wolfhound at your back?
Source : Michael Palmer : Company of Moths, New Directions 2005.
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et soupirs encore (autobiographie 15)

Une mer de minces meurtres, invisibilités, précis
parfums de nuit
dans son humidité
ses bordures de fleur
et inflexion
Une femme, chair de châtaigne, seins érigés, escalade une
   sorte de croix
Son compagnon, son double, son complice en cela
l’aide à se hisser avec sa langue à elle
Hors de l’opaque ils cisèlent une rose,
une fenêtre
Examinent la mathématique de la fente
Et se cuisent eux-mêmes dans le sel
que ce nous de petite confiance
puisse être sauvé
de l’aqueux et l’opaque
Ils écrivent un livre de savoir commun
un livre de maximes et proverbes
tel qu’un père
en lèguerait à un fils
Ai-je dit père et fils
alors que je pensais
perpétuelle fuite, loin du soleil
Ai-je dit fente
quand je pensais faute
salinité où j’entendais musicalité
opaque quand j’imaginais une barque
voguant droit vers la tempête
Bateau, petit bateau
à la voile de pierre,
Transportes-tu un alphabet
parmi les rats dans ton étreinte
un A-B-C-D de corps jumelés
La peau de cette ville est-elle tienne,
cité sur laquelle flotte une autre cité,
peau d’une machine rétinienne
mer salée d’invisibilités
Source : Michael Palmer : Company of Moths, New Directions 2005. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
and sighs again (autobiography 15)

A sea of small killings, invisibilities, precise
scents of night
in its wetness
its edges of bloom
and inflection
A woman, chestnut-fleshed, nipples erect, ascends a
kind of cross
Her companion, her double, her accomplice in this
helps her rise up with her tongue
Out of the dark they are fashioning a rose,
a window
They are examining the mathematics of the fold
They are baking themselves in salt
that we of little faith
may be saved
from the dampness and the dark
They are writing a book of common knowledge
a book of maxims and proverbs
such as a father
might pass on to a son
Did I say father and son
when I meant
farther and farther from the sun
Did I say fold
when I meant fault
salt when I meant song
dark when I meant a little bark
steering straight into the storm
Boat, little boat
with sail of stone,
Are you bearing an alphabet
among the rats in your hold,
an A-B-C-D of twinned bodies
Is the skin of this city your own,
city over which another city floats
skin of a retinal machine
salt sea of invisibilities
Source : Michael Palmer : Company of Moths, New Directions 2005.
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Rappelons deux beaux livres en français de Michael Palmer : Sun (POL 1996) traduit par Emmanuel Hocquard et Christine Michel, et Première Figure (Corti 2011) traduit par Eric Suchère et Virginie Poitrasson.
Michael Palmer dans Poezibao :
Bio-bibliographie
Bio-bibliographie
Extrait 1
Portrait-vidéo de Michael Palmer contenant sa lecture de deux poèmes (dédiés à Mahmoud Darwich et à Gozo Yoshimasu) avec les textes à lire en anglais
Une rare vidéo entre poésie et danse où la Compagnie Margaret Jenkins collabore avec Michael Palmer (depuis 40 ans en fait) dans laquelle les danseurs évoluent accompagnés par un texte en voix off du poète
Long entretien en anglais entre les poètes Michael Palmer et Rosmarie Waldrop pour la revue Bomb Magazine en 2016
Vidéo Double Change d’une lecture de Michael Palmer à Paris en 2011 (descendre le curseur interne sur le troisième petit écran)
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