(Echos) Siegfried Plümper-Hüttenbrink, Annotations & Citations, 6, Quelques notes en écho à Hubert Lucot

Par Florence Trocmé

Annotations et citations* (5).
Quelques notes en écho à Hubert Lucot.

* Nombre d’écrivains hésitent à faire part de la méthode dont ils usent pour parvenir à écrire. Raymond Roussel s’y est risqué en s’expliquant à lui-même comment il en est venu à écrire certains de ses livres. Mais cela n’a pas fait avancer le Schmilblick, même si Marcel Bénabou a tenté en véritable oulipien de vouloir s’expliquer méthodiquement pourquoi il n’a écrit aucun de ses livres. Et on a tout lieu de supposer que la plupart de ceux qui se mêlent d’écrire, s’abstiennent de vouloir s’improviser en exégète de ce qu’ils ont trouvé à écrire. Ils préfèrent ne pas faire état d’une cuisine interne où tout entre magiquement en émulsion, mais qui risque de s’avérer après-coup plus qu’indigeste. S’ils en livrent parfois les ingrédients, ils préfèrent ne pas divulguer leur secret de fabrication. Car qui d’aventure l’ébruite, comme le fit Francis Ponge, a vite fait d’être pris pour un faiseur de mots, à moins de parvenir à faire parler une figue, fabriquer un pré ou dresser une table en recourant à des procédés langagiers.
* Si Hubert Lucot pratique comme Ponge une écriture de chantier où les mots sont mis à l’essai sous forme d’annotations quotidiennes, sa méthode de travail n’a rien de la procédure verbale que dresse la fabrique du pré pongien. On sait qu’il avait coutume d’écrire Sur le Motif, comme le signale le titre d’un de ses livres, et avec un sens suraigu de la notation. Un simple détail pouvait à ses yeux se transfigurer en trouvaille. Une scène de rue en plein Paris devenir une séquence de tournage filmique le renvoyant à sa prime enfance. Et tout me porte à croire qu’il dut partager avec Walter Benjamin non seulement l’art de la flânerie (devenu obsolète à l’ère du shoping) mais aussi une lecture micrologique du réel. Le moindre signe lui servant d’indice pour une piste de recherche. Florence Trocmé précise que pour ce faire, la méthode qu’il employait n’est pas sans faire songer à celle d’un photographe. "Il note sur le vif... à la volée". Et comme si une prise de note était l’équivalant d’une prise de vue. Suite à quoi, il duplique ce qu’il vient de consigner, en fait une photocopie, et sur laquelle il continuera à écrire en copiste, en tenant chronique de ces instants de vie que Jacqueline Risset disait visionner sous forme d’éclairs. Mais quant à son procédé de photocopiste, il semble ne pas vouloir en dire plus, sinon qu’écrire s’apparente à tous points de vue à l’acte de cadrer photographiquement et de laisser s’agencer des entre-aperçus par voie annotative. Dire ce que l’on voit, pour voir ce que l’on va dire, et ce à l’aide d’une sorte de caméra-stylo. Un de ses livres s’intitule du reste Recadrages.
* À tout hasard, on peut émettre un certain nombre d’hypothèses relativement à la méthode Lucot.
Si son procédé de duplication, dont il reconnait qu’il relève d’une "double écriture", ne serait pas comme la clef de voûte de son travail de copiste et de chroniqueur ? Si le passage par la photocopieuse n’a pas contribué à engendrer une écriture de chantier, et à faire d’Hubert Lucot dès Phanées les nuées, un scripteur, polygraphe de surcroît, mais aussi cartographe de ces instants de vie que Walter Benjamin aurait qualifiés tout comme lui d’ "instantanéités lointaines" et au filtre messianique desquelles ce qui date d’antan reste toujours une promesse d’avenir. 

Siegfried Plümper-Hüttenbrink
NDLR :
En parcourant Poezibao ou Le Flotoir, Siegfried Plümper-Hüttenbrink prend souvent des notes en les faisant graviter autour de certaines phrases lues. Dans ce nouveau projet, qui inaugure la rubrique (Échos), il se propose de consigner ces phrases et les notes qu’elles ont suscitées. Tentant ainsi de mettre l'accent sur ce travail d'investigation qu'est tout exercice de lecture. Une lecture labyrinthique, à pistes multiples, et qui puisse mettre en jeu quelque chose de ses propres hantises intimes, si tant est que lire revienne aussi à nouer des liens occultes et s'adonner à toutes sortes de transferts de pensées.