Une autre fin (8)

Publié le 29 mai 2020 par Nicolas Esse @nicolasesse

(Le fil de l’histoire dans la catégorie « Une autre fin » sur la barre de droite)

J’étais comme eux.
J’aurais dû être comme eux.
Je n’avais jamais rien connu d’autre que des arbres en pots, des fleurs fatiguées et des champs hors sol éclairés au néon. Des trous. Des cavernes. Des boyaux. Et toujours le métro. J’aurais dû être heureux. Mais je savais bien qu’il y avait autre chose. Un ciel. Une lumière. C’était il y a longtemps. J’avais cinq ou six ans. C’était du temps de ma mère, cette femme blonde qui me tenait par la main. Elle m’emmenait partout, ma mère, sa main dans la mienne, partout. Un jour, nous sommes entrés dans ce hall immense, je n’avais jamais vu de plafond aussi haut. J’ai cru que j’avais enfin vu le ciel.

– Regarde, le ciel, maman !

Elle m’a attrapé et je me suis envolé au-dessus de sa tête, tout au bout de ses longs bras.

– Le ciel, Paul. Regarde ! Aujourd’hui, il est un peu voilé. C’est la brume, le matin. En automne, c’est toujours comme ça.
– Est-ce qu’on verra bientôt le soleil ?
– Pas aujourd’hui, Paul. Aujourd’hui, le soleil n’est pas là.
– Alors demain, on reviendra demain ?
– Demain ou après-demain, Paul.

Nous sommes revenus plusieurs fois dans le grand hall. Le ciel était toujours couvert et l’automne toujours là. Suspendu au bout des bras de ma mère, je tendais le cou, je plissais les yeux, à l’affût de la moindre déchirure dans le tissu des nuages. Ce plafond gris uniforme, un jour ce plafond allait bouger. J’en étais sûr.
Ensuite ma mère me reposait sur le sol.
Un jour elle a cessé de me porter.
J’étais trop devenu trop lourd ou c’est elle qui n’avait plus la force de me soulever, de me lancer vers ce ciel gris qui n’existait pas.