Le bon air

Par Richard Le Menn

Un art de l'élégance peut être appelé celui de l'enveloppement. Il est hérité de l'Antiquité et de l'usage des habits drapés, et occupe une grande importance dans la manière française. Ce qu'on enveloppe ici, c'est le bon air, l'air sain, un zéphyr de plaisir, une brise bienfaisante mêlée d'une lumière pétillante, faisant frisonner de bien-être et dans laquelle l'âme se pâme, se source, jouit pleinement du moment. C'est un art du drapé, de l'étoffe aussi, douce, belle, propre, et de la propreté bien sûr, non seulement de l'habit, mais du corps et de l'esprit surtout. Il s'agit d'un talent du mouvement, à la manière d'une nage dans un lac d'ambroisie ou d'une danse parmi les étoiles des neuf sphères célestes, mais simplement ici et maintenant dans l'air du temps qui se déploie toujours changeant et pourtant distillant des instants d'éternité. L'air est impalpable, mais porte avec lui miasmes ou douces voluptés. De même le fait l'air de l'âme, produit des mouvements de l'esprit. L'esprit lui aussi bat, comme le coeur ; il respire. Autrefois, être du bel air consiste non seulement à être dans le vent, comme on dit déjà, mais aussi d'avoir de l'esprit, de la finesse. Il s'agit d'une capacité à distiller autour de soi un air sain, un confort crépitant doucement de joie, une atmosphère belle et bonne, un climat non pollué, non entravé.

Dans la mode française, certains merveilleux et élégants connaissent ce ton du bel air. Ils savent non seulement le reconnaître, le sentir, l'apprécier, mais aussi le garder, l'envelopper dans le mouvement : le doux froissement de leurs étoffes, la finesse de leurs dentelles, l'odeur exquise de la propreté, les ondulations chaloupées de leurs bijoux, boucles de cheveux, passements, etc.

Ci-dessus à gauche, détail du frontispice de la première partie d'Histoire d'Hypolite, comte de Duglas de la baronne d'Aulnoy (1651 - 1705) dans une édition de 1699.

Ci-dessous : Illustrations d'une édition du XVIIIe siècle d'Abdeker ou l'Art de conserver la beauté, tome I. Décontraction et beauté obligent...

Pour finir cet article et faire le lien avec le précédent, ci-dessous une chromolithographie avec un élégant, de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe, portant un long manteau, genre gâteuse, que les gommeux apprécient. Il s'agit d'une publicité du grand magasin parisien de vêtements : " Maison de la Belle Jardinière ". La légende indique : " Je l'ai choisie ample, large, parce que j'ai horreur de la gêne dans l'existence. "