Entrepreneuriat féminin : Mademoiselle Biloba avant et après le confinement

Publié le 31 juillet 2020 par Lespulpeuses

Il y a un avant et un après confinement. Ce n’est pas Pauline Dehecq, fondatrice de la boutique et atelier Mademoiselle Biloba à Lille qui dira le contraire. À travers son témoignage, elle apporte un éclairage sur l’impact du confinement dans la vie des commerçants des grandes villes.

Avant le confinement, comment as-tu géré l’entreprise Mademoiselle Biloba ?

Pauline : Je faisais des grosses journées, mais ça a bien évolué. Pendant trois ans, je n’ai pas pris de week-end. Mon seul jour de repos était le dimanche. Ce n’était pas possible d’avoir plus de temps, car la boutique est ouverte le samedi, et dès le lundi, beaucoup de choses sont à gérer.

Ce rythme de travail n’était pas un choix. J’avais de nombreuses activités à gérer : les ateliers, la boutique… Mon mari m’a rejoint dans l’entreprise depuis maintenant un an. A partir de là, j’ai délégué certaines choses, et j’ai recruté une vendeuse en boutique il y a un an et demi. Désormais, je suis en back office. Je gère les achats, les réseaux sociaux, la communication, les réponses aux mails. Et depuis un an, j’ai mes week-ends ! C’est assez récent, car j’ai publié un livre aussi, donc je n’avais pas de jours de repos du tout l’année dernière. 

Trouver un rythme était-il simple ?

Non, ce n’était pas simple, car j’étais prise dans un cycle infernal, vicieux. En tant qu’entrepreneuse, si on ne travaille pas, l’entreprise ne tourne pas. Aujourd’hui, j’ai pris du recul. Quand on est fatigués, on ne peut pas lutter. Ça ne sert à rien de s’épuiser. Au début, ce n’est pas un équilibre simple car on fait tout : le ménage, la stratégie, et les choses plus opérationnelles… Il faut tout faire en même temps. J’avoue être addict au travail. J’ai tendance à ne pas connaître mes limites et je suis capable de les dépasser.

On n’a pas le choix, dès qu’on lance l’entreprise, on est assassinés par les charges et les taxes. Avant de pouvoir se dégager un euro pour soi, il faut en faire des heures ! Il faut sortir du chiffre et se remonter les manches. Comme je suis un peu perfectionniste, j’aime que les choses soient bien faites, et contrôler le développement de mon entreprise. Si je ne me contente que de faire l’opérationnel, ça ne me satisfait pas.

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Comment s’est passé le confinement ?

Le magasin était fermé mais nous avons un site internet depuis septembre. Nous avons décidé de livrer à travers le site internet et les ateliers étaient en stand-by. Le site s’est bien développé même si ça n’a pas compensé la perte due au confinement.

Quand les gens me disaient “profites-en pour prendre du temps pour soi”, je n’ai pas pu. C’est stressant, quand on a une boite qui risque de fermer, et peu d’aides de l’Etat, peu de choses mises en place, c’est une période stressante… On ne sait pas ou on va et on peut tout perdre. Il faut encore plus travailler et se faire connaître.

Nous avons  pu prendre plus de temps pour bosser l’e-shop, c’est l’avantage. Les gens étaient vachement réceptifs à notre discours. Beaucoup d’entre eux se sont posé des questions. C’était une bonne opportunité pour leur répondre. C’était long mais on a pu avancer malgré tout.

Les gens continuent-ils à consommer responsablement?

Certains ont pris le temps de se renseigner, de lire, donc ça a permis de sensibiliser des personnes, qui consomment bio etc… Mais ça ne concerne pas toute la société. On est un peu biaisés, car on rencontre beaucoup de monde dans la boutique qui consomme déjà de manière responsable. Il y a un intérêt croissant, c’est certain.

Votre activité est-elle revenue à la normale ?

La boutique est désormais ouverte. Dans l’atelier, les gens sont côtes à côtes, donc on a préféré attendre de savoir la date de réouverture pour les restaurants. A part le gel hydroalcoolique et les masques à l’entrée, il n’y avait pas besoin de beaucoup de préparation. Nous limitons le nombre de personnes en boutique. Nous accueillons moitié moins de clients en atelier.

Quel impact a eu le confinement sur votre vie aujourd’hui ?

J’ai travaillé moins pendant le confinement, et j’ai pris conscience de l’importance de prendre du temps pour soi. Mais au delà de ça, le confinement n’a pas changé beaucoup de choses. Je devais être une semaine en vacances pendant le confinement, et ça a été annulé, comme mon voyage de noces en août… Être une cheffe d’entreprise c’est avoir des obligations que ça incombe ; je n’ai pas d’autre choix que de redoubler d’efforts.

Arrivez-vous à déconnecter et prendre du temps pour vous ?

Avec les réseaux sociaux, les gens ont l’impression que quand on répond via les réseaux, ce n’est pas du travail. Il faut être présent tout le temps, tout de suite… C’est un bon moyen pour se faire connaître mais ça peut être très chronophage. Pendant le confinement, à défaut de pouvoir appeler, les gens ont envoyé des messages via les réseaux sociaux en quantité astronomique. J’ai du mal à séparer le travail de la vie privée, alors que j’ai besoin de déconnecter de temps en temps.

C’est difficile. J’ai l’impression que la moindre minute de perdue, c’est la catastrophe. En vacances, c’est plus simple. J’ai toujours réussi à en prendre, à l’étranger. Avec le mauvais réseau, je n’étais pas tentée de répondre aux messages ! C’est bien de changer de lieu, pour penser à autre chose. Au retour, on est plus performant. Mais ça demande aussi de l’expérience. Au début, je ne me rendais pas compte des heures réalisées. Je pouvais travailler 70 heures par semaine. Il faut savoir écouter son corps et se recentrer sur soi-même.

Quelle est ta vision de l’entrepreneuriat ?

La société prône beaucoup l’entrepreneuriat, et l’idée de se donner du mal pour réussir. On dirait que c’est le seul modèle de réussite possible. Mais parfois, quand on aime bien faire et qu’on a une grosse capacité de travail, on accepte tout au nom de sa boîte. Ce n’est pas très judicieux. Il faut savoir dire non, et faire le tri dans les projets.

Quand j’ai lancé mon entreprise, j’avais beaucoup de propositions à droite et à gauche. Autant de possibilités de diverger ! Mais ça ne répond pas à l’ADN de mon projet. Maintenant, je refuse 90% des choses qu’on me demande. Je reste concentrée sur mes projets en cours. Sinon, c’est le meilleur moyen de n’avancer nulle part. J’appelle ça le phénomène de la tentation de l’objet brillant. Quand on est entrepreneur, on aime lancer beaucoup de projets. C’est hyper tentant car on va apprendre de nouvelles choses, mais ça vous éloigne du projet de base, qui paraît plus ennuyeux. Il faut être constant, persévérant. C’est avec l’expérience qu’on se rend compte de ça.

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