Al Berto – Fantômes

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

On a frappé à la porte
Tu n’as pas ouvert
Tu convoquais à ce moment la blancheur des dés prêts à être lancés
Et le corbeau de Monsieur Poe
Ainsi que la noirceur maléfique des mères de Melville
Et les pas autour du marcheur éthiopien
Et les femmes de la Patagonie qui sont assises en fin de journée au bord d’insondables glaciers.
Tu suivais avec extase le parcours de celui qui achetait des revues, du tabac, des souvenirs,
Et voyait les trains s’enfuir dans la gare de Munich.
Mais la rue dans laquelle je te retrouve et je te perds,
Garçon auquel on a oublié de dire que tu avais encore du papier, bon à être froissé entre les dents.
C’est vrai, on a frappé à la porte mais tu ne pouvais pas ouvrir,
Dans cette maison où seule survit la mémoire trouble des poèmes aimés,
Plus personne, plus rien,
Par-delà le mur de boue et la boîte à chaussure remplie de syllabes précieuses,
Et une petite table avec un albatros empaillé pour surveiller ton âme.
Dans un coin de la pièce, la cigarette continue de brûler,
Au bout des doigts de ton portrait caché,
Derrière le canapé,
Tourné vers le mur,
Comme toi couvert de moisissures, de craintes et d’ennui.

***

Al Berto (1948-1997) – Traduit du portugais par ?