Chavirer de Lola LAFON

Par Lecturissime

En 1984 Cléo a treize ans et son rêve est de devenir danseuse de modern jazz. Venant d'une famille modeste, elle ne peut pas prétendre à de grandes écoles de danse, aussi, quand une femme l'aborde après un cours de danse pour lui proposer d'intégrer une mystérieuse Fondation qui financera son rêve, Cléo n'hésite pas. Elle est prête à passer les épreuves pour accéder au sésame qui lui permettra de quitter sa banlieue parisienne. Elle veut être "l'élue". Mais il s'agit en réalité d'un piège lié à des prédateurs sexuels, piège dans lequel elle va entrainer d'autres collégiennes. En connaissance de cause.

"Ce n'est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu'on dénonce: j'achète des objets dont je n'ignore pas qu'ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l'anniversaire d'un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N'avoir rien dit. Rien fait. Avoir dit oui parce qu'on ne savait pas dire non."

En 2019 la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation. Devenue danseuse notamment sur les plateaux de Drucker dans les années 1990, Cléo témoignera -t-elle ?

Les points de vue sur la jeune femme se multiplient, formant un portrait complexe. De qui est-elle réellement victime ? D'elle-même ? De cette organisation Galathée ? De son milieu social ne lui offrant aucun perspective ? De ses rêves ? Aurait-elle pu résister ?

"La célébration actuelle du courage, de la force, met mal à l'aise. Ce ne sont que "femmes puissantes "qui se sont "débrouillées seules" pour "s'en sortir". On les érige en icônes, ces femmes qui "ne se laissent pas faire", notre boulimie d'héroïsme est le propre d'une société de spectateurs rivés à leur siège, écrasés d'impuissance. Être fragile est devenu une insulte."

Dans la deuxième partie du roman, j'ai eu l'impression de perdre de vue Cléo, à cause de la construction qui choisit d'offrir une image diffractée de la jeune femme.

Malgré cette réticence, il n'en reste pas moins que "Chavirer" est un roman dense aux pistes de réflexion multiples.