Hollywood, un instrument d’influence chinois ?

Publié le 13 novembre 2020 par Infoguerre

Hollywood s’est imposé comme « un véritable acteur des relations internationales »1 et est considéré comme un outil d’influence auprès du peuple américain et au-delà des frontières. La Chine, qui connaît une ascension fulgurante depuis la fin de la guerre froide, s’appuie sur l’exemple étasunien, jusqu’à parfois le dépasser, et investit massivement dans l’industrie cinématographique. Cette démarche n’est pas seulement commerciale. Elle a une lien direct avec les relais indirects de puissance que la Chine communiste cherche à développer sur la scène mondiale.

Le marché cinématographique chinois, une stratégie de développement fulgurante

Si le marché chinois se caractérise par de fortes barrières à l’entrée, celui du domaine culturel l’est tout autant. En 2009, à la suite d’une plainte des États-Unis, l’OMC la condamne pour « pratiques commerciales illicites ». En réponse à la condamnation, tout en continuant de garder le contrôle sur son marché, la Chine signe un accord en 2012. Un système de quotas est alors introduit permettant l’entrée annuelle 34 films étrangers. Une autre manière pour les blockbusters de le pénétrer est la coproduction entre les studios chinois et Hollywood.

Un film ne peut ainsi entrer sur leur marché que par 3 méthodes :

  • Entrer dans le quota de films étrangers.
  • Vendre des droits de diffusion à un tarif forfaitaire.
  • Coproduire des films avec des entreprises chinoises.

Ainsi le Parti Communiste de Chine (PCC), loin de subir l’accord signé avec l’OMC, devient peu à peu un acteur décisif de la production, mais aussi de la distribution hollywoodienne. Peu importe la méthode, la Chine joue un rôle de premier plan et garde la main. Chaque film nécessite l’accord du SAPPRF (State Administration of Press, Publication, Radio, Film and Television), un office de censure, et la majorité des recettes revient aux Chinois (de 50% à 75%). Le PCC se trouve gagnant dans tous les cas : enrichissement de talents, accumulation de savoir-faire, contrôle des diffusions et profiter des recettes pour alimenter les fonds du parti.

De leur côté, les entreprises chinoises, ne souhaitant pas laisser le monopole aux États-Unis, se lancent dans une frénésie de rachats et prises de participation dans l’Entertainment Américain. Wanda, acteur chinois du divertissement, devient alors le leader mondial de la distribution, en rachetant, entre autres, AMC et Carmike. Il prend aussi place dans la production avec Legendary Entertainment ou noue des alliances stratégiques comme celle avec Sony Pictures. Des sommes colossales sont investies ce qui permet à la Chine d’inverser le rapport de force en devenant un prescripteur important.

L’affirmation d’une stratégie d’influence culturelle

Pékin, dont la puissance ne cesse de croître, est conscient du potentiel des industries culturelles pour consolider son soft power. En 2007, Hu Jintao ancien président qui prédit les tensions politiques à venir, suggère de les surmonter par l’utilisation de la culture4. L’image de la Chine à l’international devient un moteur de sa politique étrangère, pour servir un dessein stratégique, d’influence et affirmer sa puissance. Outre l’économie, la politique, la technologie et les forces militaires, le rayonnement culturel devient alors l’un des outils pour affermir sa domination mondiale.

En incluant le soft power dans sa politique, en utilisant les capacités de la nation à influencer par la séduction plutôt que par la coercition ou l’argent, elle démontre que « Le dragon chinois, à l’aspect parfois menaçant, veut désormais s’affirmer comme un dragon bienveillant »6. Renforcer l’industrie cinématographique lui permet alors de jouer un rôle non équivoque sur la scène culturelle internationale. Et ce, jusqu’à en être le principal « instrument permettant non pas de devenir mais d’être reconnu comme une grande puissance »3.

L’industrie devenant de plus en plus compétitive, les dirigeants ne cachent pas leur volonté de promouvoir leur territoire et leur histoire. La déclaration, en 2013, du président de la China Film Co-production illustre le souhait de construire un empire en véhiculant des messages qui façonnent et influencent la société mondiale : « Nous avons un marché énorme et nous voulons le partager avec vous [mais] nous voulons des films qui investissent fortement dans la culture chinoise, pas un ou deux plans… Nous voulons voir des images chinoises positives. ».

D’une offensive de charme à une propagande mondiale

Peu à peu, grâce à sa position internationale privilégiée, la Chine atteint un autre stade du soft power. L’industrie cinématographique devient un monopole d’état contrôlé de bout en bout : production, distribution et exploitation. Le contrôle de l’Entertainment, sous l’égide du gouvernement par le biais du SAPPRF, s’illustre à travers la régulation existante (renforcée par Xi Jinping) mais aussi les « requêtes » assimilables à des ordres. Ces dernières concernent les costumes, castings, lieux de tournages mais aussi les dialogues et les scènes. Les coproductions soigneusement sélectionnées et « travaillées », permettent à la Chine d’imposer un alliage de pudeur, culture chinoise et narratif politique qui est extrêmement contrôlé afin d’instiller une image positive aux États-Unis et au reste du monde.

Selon Ying Zhu, « Les censeurs chinois peuvent agir en tant que police mondiale du cinéma sur la manière dont la Chine peut être représentée, comment le gouvernement chinois peut être représenté dans les films hollywoodiens« . D’une stratégie de Soft Power, la Chine semble finalement employer celle du Sharp Power. Ce concept qui allie image positive, puissance économique (voire miliaire) s’applique à Pékin par ses tentatives de manipulation de l’opinion publique. En imposant sa vision du monde par la menace, la manipulation ou les sanctions économiques les relations entre la Chine et Hollywood deviennent plus acérées, s’apparentant à une guerre de l’information.

Utilisation du cinéma pour faire passer des messages accommodants sur la Chine

Le premier cas d’influence intervient en 1997, lorsque deux films représentant une image « trop bienveillante » du Dalaï-lama, ont été interdits en Chine. A la suite de quoi, en raison de l’enjeu commercial que représente la Chine, l’industrie cinématographique Américaine a commencé à changer sa stratégie en amont, afin de complaire au gouvernement et ne pas risquer de le froisser. La Chine réussit un coup de maître, celui de faire produire et diffuser par les nations qui étaient subissaient leurs opérations de séduction, sans intervention ni actes de propagande, un discours favorable qui provoque à son tour l’adhésion d’autres nations. D’une propagande explicite, on voit finalement germer une autocensure de la part des parties prenantes, faisant d’Hollywood un agent d’influence américain dont le rôle est de dépeindre la Chine sous un jour positif.

Ce parfait contrôle et l’enjeu économique qu’il représente permettent au gouvernement chinois de s’assurer qu’aucun film ne montre un aspect négatif de sa nation. Que cela soit dans les co-productions ou les blockbusters étrangers, l’image de la Chine se doit d’être positive. Parmi les exemples de diktat Pékinois on retrouve notamment :

  • « Red Dawn» dans lequel les envahisseurs, initialement chinois, s’avèrent finalement être nord-coréens tout comme les responsables de la contagion dans « World War-Z »
  • « Top-gun» dans lequel les drapeaux japonais et taiwanais de la veste d’un pilote disparaissent de l’image.

La recherche d’une légitimité culturelle universelle

Les exemples les plus apodictiques restent les productions de « Pixels » et de « Robocop ». En effet, lors de la cyberattaque de Sony Pictures7, des échanges entre les dirigeants de ces films ont été révélés. Ces derniers mettent en exergue l’oubli de la libre expression du cinéaste, au profit des financements, dans le but de ne pas heurter les sensibilités chinoises. On peut y lire de la part de O’Dell, dirigeant international de Sony  :

« La réalité de la situation est que la Chine ne diffusera probablement jamais le film sans le censurer … La Chine ne ferait jamais la même chose et ne voudrait en aucun cas promouvoir cette idée. De plus, le ton politique du film est quelque chose avec lequel ils ne se sentiraient pas à l’aise. » ou encore « La censure nous harcèle vraiment sur Robocop … essayant de couper la plus vitale des scènes … J’espère y arriver en raccourcissant un peu la scène. Ne pensez pas que nous pouvons prendre position là-dessus de tout façon, trop d’argent en jeu, croisons les doigts. ».

Dernièrement, la collaboration bilatérale pour le film « Mulan », a-t-elle aussi été identifiée comme emplie de symboles de l’appareil de censure chinois. Dans ce long métrage, le gouvernement chinois semble de nouveau jouer de son influence, jusqu’à tourner dans une province proche des camps d’internement du Xinjiang, sélectionner une actrice qui soutient publiquement la répression policière de Hong-Kong et même remercier dans le générique des instances du gouvernement, de propagande chinoise, de sécurité publique, et du Parti communiste chinois du Xinjiang.

Mathilde Duval

 

 

[1] Benezet et Courmont, 2007.

[2] Nye, 2009.

[3] Meng, 2007.

[4] Hu Jintao et Wen Jiabao, XVIIe congrés du PCC, 2007.

[5] Kurlantzick, 2007.

[6] Courmont, 2009.

[7] Sony cyberattaques, Wikileaks 2014.

 

Sources en ligne : Japan Times, Courrier international, scmp, Geoconfluences, Reuters, uscc.gov, NY post, Financial times.

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