La Vagabonde, de Colette

Par Etcetera
couverture du roman au Livre de Poche

Ayant été une grande lectrice de Colette vers l’âge de 20-25 ans, et fervente admiratrice de son style, je l’ai un peu perdue de vue par la suite, avec l’impression d’avoir déjà lu tous ses principaux livres et d’avoir assimilé les sucs essentiels de son œuvre…
Mais, plus de vingt ans après, j’ai eu envie d’y revenir, de goûter de nouveau ce style savoureux et sensible. Allais-je retrouver les mêmes impressions et le même plaisir qu’autrefois ou pas du tout ?
Parmi tous ses livres, j’ai choisi de relire La Vagabonde car il me semblait l’avoir adoré il y a vingt ans et ne plus me souvenir du tout de l’histoire. Ce serait donc une quasi redécouverte.

Mais venons-en à une brève présentation de l’intrigue de ce roman :

Renée Néré est une femme de trente-trois ans, bientôt trente-quatre, ce qui paraissait déjà un peu vieux au début du 20è siècle. Cette femme a divorcé trois ans plus tôt d’un grand peintre à la mode, Taillandy, qui la trompait, l’humiliait, et lui mentait sans vergogne. Depuis ce divorce, elle assimile l’amour et le mariage a de terribles épreuves, à des asservissements émaillés de hontes, de brimades et de souffrances, et elle se retranche dans un célibat protecteur. Pour subvenir à ses besoins, elle se produit comme mime et comédienne au music-hall, en duo avec son partenaire de scène et camarade, nommé Brague. Elle apprécie cette vie de liberté et de voyages au gré de ses tournées mais elle se sent parfois très seule. Bientôt, à l’issue de l’un de ses spectacles, elle fait la connaissance d’un homme jeune, riche et séduisant, très amoureux d’elle, qui tente de la conquérir. Mais, toujours traumatisée par les souvenirs de son mariage, Renée Néré fuit le contact de celui qu’elle appelle ironiquement « Le Grand Serin « . (…)

Mon Avis :

Ce roman est visiblement très autobiographique puisque, dans ces années 1905-1910, Colette venait, comme son héroïne, de divorcer d’un mari infidèle, le célèbre Willy, et elle  gagnait sa vie au music-hall. Par petites touches allusives, elle nous révèle quelques éléments de sa vie, comme son goût des amitiés masculines, son amour des animaux, de la nature, et surtout son caractère farouchement indépendant.
Ce roman illustre le grand dilemme des femmes émancipées au début du 20è siècle, qui devaient choisir entre l’amour-asservissement et la liberté-solitude, un choix pas vraiment réjouissant et sur lequel Colette semble tout à fait lucide. Dans les deux cas, l’esprit de sacrifice et d’abnégation semble l’emporter et Colette n’envisage à aucun moment la possibilité d’un amour qui respecterait sa liberté et ne chercherait pas à la ligoter – la connaissance des hommes de son époque et de leurs exigences vis-à-vis de leurs compagnes ne devait pas lui donner beaucoup d’illusions à ce sujet.
Roman féministe, sans aucun doute, mais qui reste dans les cadres assez sages de son époque. L’homme propose et la femme dispose : il courtise, exige, décide tandis qu’elle cède, temporise ou le fait gentiment patienter, mais l’expression franche de ses désirs personnels signifie pour la femme la rupture et l’isolement.
Certaines choses dans ce roman peuvent paraitre un peu surannées, comme la description de la vie d’artiste au music-hall, les relations entre eux, leurs dialogues argotiques, leurs petits caprices et scènes de colère, mais j’ai trouvé que ces épisodes ne manquaient pas de charme et ils m’ont fait voyager dans le temps, me transportant dans un tableau de Toulouse-Lautrec ou de Degas, comme si les personnages de La Goulue ou d’Yvette Guilbert se mettaient soudain à bouger et parler devant nos yeux.
Colette montre un art merveilleux dans la description de la nature, des objets quotidiens, et surtout des états d’âme de ses personnages, qui sont très pudiquement et joliment évoqués.
Un roman que j’ai eu grand plaisir à relire et qui ne m’a vraiment pas déçue !

Extrait page 164-165 :

– Heureuse ?
Je le regarde avec un sincère étonnement.
– Non, je ne serai pas heureuse. Je n’y songe même pas. Pourquoi serais-je heureuse ?
Hamond claque de la langue : c’est sa façon de me gronder. Il croit à un accès de neurasthénie.
– Allons, allons, Renée… Ca ne va donc pas aussi bien que je le croyais ?
– Mais si, Hamond, ça va ! Ca ne va que trop bien ! On commence, j’en ai peur, à s’adorer.
– Eh bien ?
– Eh bien ! vous trouvez qu’il y a de quoi me rendre heureuse ?
Hamond ne peut s’empêcher de sourire, et c’est à mon tour de mélancoliser :
– A quels tourments m’avez-vous de nouveau jetée, Hamond ? Car c’est vous, avouez-le, c’est vous… Des tourments, ajouté-je plus bas, que je n’échangerais pas pour les meilleures joies.
– Eh ! jette Hamond soulagé, au moins, vous voilà sauvée de ce passé, qui fermentait encore en vous! J’en avais assez, vraiment, de vous voir assombrie, défiante, repliée dans le souvenir et la crainte de Taillandy! Pardonnez-moi, Renée, mais j’aurais fait de bien vilaines choses pour vous doter d’un nouvel amour !
– Vraiment ! Pensez-vous qu’un « nouvel amour », comme vous dites, détruise le souvenir du premier, ou… le ressuscite ?
(…)