Le style boche dans les salles de l'Achilleion

Publié le 14 décembre 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

     Quelques années après l'assassinat de sa chère épouse, l'empereur François-Joseph revendit l'Achilléion à l'empereur Guillaume II, en toutes choses l'antithèse parfaite de l'impératrice Elisabeth. Le matamoresque Guillaume II, qui détestait Heinrich Heine et toute son oeuvre, fit enlever la statue du poète préféré de l'impératrice, et fit installer un gigantesque Achille triomphant non loin de l'Achille blessé. 

     Sissi avait fait de l'Achilleion un lieu de retraite et de méditation suite à la mort de son fils, l'archiduc Rodolphe, Guillaume en fit un bastion avancé de son empire en méditerranée. Triste destinée du palais corfiote de l'impératrice.      En temps de guerre, les auteurs français ne manquèrent pas d'attaquer le mauvais goût du Boche, comme en témoigne cet article de Jean de Bonnefon, auteur à la plume élégante et vipérine, publié dans  Le Journal du 21 février 1916Les bazars munichois ont déshonoré CorfouLe style boche dans les salles de l'Achilléion

1. Un coin de la terrasse des Centaures. — 2. Le lit de l'impératrice. — 3. La statue de Mercure. — 4. Le bureau-pupitre du kaiser (le tabouret affecte la forme d'une selle). — 5. Le lit du kaiser. (Photos journal.)[On sait que les scellés ont été mis à l'Achilléion, propriété de J'empereur Guillaume à Corfou. Nous publions quelques intéressantes photographies inédites de cette résidence impériale. ]  Ils sont connus, ces jardins et ces façades dressés à Corfou par l'errante douleur d'Elisabeth, impératrice, achetés après l'assassinat de Genève par l'inquiétude errante de Guillaume. Mais l'empereur allemand a bouleversé les clairs logis, après avoir ruiné le monument de son ennemi posthume, Henri Heine. Voici les détériorantes restaurations photographiées avant la guerre, et inédites encore.    Par ordre médical, le lit du kaiser est en cuivre, avec toute l'horreur des ors chimiques et des volutes à la mode de Berlin. Ici le lit s'étale sur un tapis modern-style aux verts indécis, aux dessins lourds et compliqués, le tout dans une laine courte et pauvre. Les boiseries sont du style rococo, tandis que les cadres des fenêtres ont des prétentions anglaises.  La chambre de l'impératrice fut celle d'Elisabeth. Le lit a trois mètres de large sur deux mètres de long. Il est fait de coffres Renaissance aux sculptures assez délicates.    L'armoire à glace, qui hurle d'être là, est dans le style du lit, en faux vieux. Une petite table de nuit hygiénique à volets mécaniques complète l'inharmonie avec une chaise-longue, drapée de soie cerise sur un tapis jaune.    La salle de bains, réservée à LL. MM. est encombrée d'une Diane, copiée sur l'antique, massive chose de marbre sur un socle plus massif. La déesse contemple avec désespoir une baignoire « imitant » le marbre et un mur revêtu de faïences viennoises, le tout éclairé par une ampoule sur le modèle des wagons-lits.    Le triomphe de Munich s'étale dans le cabinet de l'empereur : le velours de coton bleu triomphe aux fenêtres qui versent la haute lumière du ciel, de la mer et des monts sur un bureau-pupitre d'architecte, sur un tabouret dont la base est dans le goût allemand du XVIIIe siècle, avec un siège en forme de selle de cavalerie prussienne. Une table ronde en bois blanc, laquée de couleurs violentes, est au milieu de la pièce. Les fauteuils sont en chêne clair, avec des crémaillères et des barres de cuivre, selon la mode américaine, dans les cercles pauvres.    La salle à manger est toute de martyre, y compris les sièges à L'antique, qui sont durs et froids.   Les terrasses et les jardins ont moins souffert du goût impérial ; seul, le buste antique d'Achille a disparu pour être remplacé par une copie en galvano d'un Mercure grec.    Heureusement, le vent soulève à travers les jardins les poussières séculaires sous des cieux identiques. La mémoire d'Ulysse, descendant ici au retour de Troie, fait oublier l'image de Guillaume II en pyjama vert et rose, à col de velours noir. Là, Napoléon, l'esprit ailleurs, l'esprit partout, regarda les côtes d'Albanie au temps où l'île de Corfou était française (1802-1814). Aux sentiers où Nausicaa cueillait dans l'air les écharpes du vent et réverbérait au flot l'éclat de ses yeux pers, aux mêmes sentiers Elisabeth fit le tour de son ennui solennel. L'histoire, avec le soleil, illumine la banalité des frontons modernes, des Centaures copiés et recopiés. Et le bleu du ciel sans rides condamne les couleurs du Munich, les formes de Vienne et de Berlin.JEAN DE BONNEFON.

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