Joëlle Gardes, Dans le silence des mots

Par Angèle Paoli

Joëlle Gardes, Dans le silence des mots, Poésie, Collection Accents graves/Accents aigus, Éditions de l’Amandier, 2008.



TOUT RESTE À DIRE

  C'est sans doute dans la scansion du recueil, au plus secret de son rythme intérieur, que se lit la beauté sobre de la poésie de Joëlle Gardes. Triptyque, Dans le silence des mots combine sans rupture poétique de la prose et poésie dans une même tonalité, une même unité de langage et de sens. Mélancolique et chaude, une même voix scande les affleurements de la souffrance, sur la crête des vagues et du temps.

  Au centre du recueil, Paysages intimes ― errances / vagabondages en « des scènes désertes où nous n'avons pas de rôle à jouer » ― cède « au vent qui rend fou » le soin « de dire la fureur cachée /de réveiller ceux qui se défont dans la tendresse des choses ». La voix qui parle, voix lucide et triste, s'attache à faire surgir « sous le sourire la pluie des larmes ». Et à dire, derrière les décors de pierre rose et d'oliviers ― « éclats de vie » et de couleurs ― la vacuité d'un présent sans attache.

  De part et d'autre du panneau central, deux volets latéraux : Dans le silence des mots et Le soleil ni la mort. C'est dans le premier volet que se dit le plus explicitement l'importance accordée au rythme. Et à la scansion. La scansion « classique » du vers sert d’assise architectonique à l'organisation du recueil. Sept textes intitulés « scansion » jalonnent Dans le silence des mots et alternent avec les poèmes numérotés ― de 1 à 5 / de 1 à 3 / de 1 à 4. Et l'on progresse, sans tension ni rupture, du désir exprimé d'effacement de toute émotion (« dans le silence des mots ») à la peur du « silence éternel », du bonheur passé dans l'insouciance et le rire au « désespoir inconsolable » d'une femme meurtrie, livrée à l’abandon. Et l’on progresse jusqu’au « tout reste à dire » qui scelle l'agonie.

  Pourtant, tout au long des poèmes, quelque chose filtre de cette émotion qui résiste à se dire. Une émotion gémelle, celle de la lectrice que je suis, gagne en force le silence des mots qui résistent ou se trompent. Disparaissent sous le poids des clichés qui figent ou celui de l'oubli qui efface. « L'écriture est sans empreinte », dit la voix. Elle est pourtant la seule issue. « Jour après jour l'écriture dessine la seule continuité/la seule nécessité. »

Le deuxième volet du triptyque, Le soleil ni la mort, est construit selon le même principe (informulé) de scansion. Une scansion, silencieuse, soumise à la bienheureuse fusion des contraires. Scansion en creux, intériorisée. Un diminuando qui tend à l'effacement. Soleil et mort mêlent uniment leur voix. L'inconsolable, celle que jadis l'odeur du pin ou le claquement du volet suffisaient à apaiser, s’étonne un matin du « grand vide que le monde ne demande qu'à remplir ».

  « Le temps est entré en elle et c'est déjà celui de la mort ».

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



JOËLLE GARDES


Source

Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Joëlle Gardes, Jardin sous le givre (note de lecture) ;
- (sur Terres de femmes) Joëlle Gardes/"Les arcanes subtils d'une relation triangulaire" (La Mort dans nos poumons) + bibliographie ;
- (sur Terres de femmes) Joëlle Gardes/Ostinato e chiaroscuro (Ruines) ;
- (sur Terres de femmes) 31 mai 1887/Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint-John Perse, Les rivages de l'exil, biographie) ;
- (sur Terres de femmes) Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes) ;
- (sur Terres de femmes) 7 mai 1748/Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Olympes de Gouges. Une vie comme un roman de Joëlle Gardes) ;
- (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) Portrait de Joëlle Gardes (+ extrait de Oiseaux de Saint-John Perse).



Retour au répertoire de juillet 2008
Retour à l' index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes