Les 3 fractures

Publié le 09 avril 2021 par Eric Acouphene

Cet article vous présente la vision d'Otto Scharmer, enseignant chercheur au MIT. 
Le MIT, pour ceux qui ne connaissent pas, c'est le Massachusetts Institute of Technology, un institut de recherche américain et une université, spécialisé dans les domaines de la science et de la technologie.
Le U Lab du MIT, cofondé par Otto Scharmer, est un MOOC qui a produit l'émergence d'un écosystème global d'innovation sociétal et de renouveau individuel.
Cette vision va vous aider à mettre du sens dans les profondeurs des structures systémiques à l’œuvre dans les champs économique, social et sociétal, ainsi que sur les angles morts qui nous font obtenir des résultats collectifs dont plus personne ne souhaite.
« Imaginez un iceberg : 10% (visibles) se situent au-dessus du niveau de la mer, 90% sont en dessous. »
Si nous regardons la partie visible, nous constatons trois fractures : écologique, sociale et spirituelle.


credits : espace-sciences.org

La fracture écologique


J'entends par là une déconnexion entre nous-mêmes en tant qu'individus et les éléments naturels. Cela se voit de nombreuses manières : destruction des écosystèmes, raréfaction des ressources naturelles, diminution des volumes d'eau douce dans les fleuves et les nappes phréatiques, changement climatique et érosion des sols à l'œuvre dans le monde entier.
Si vous voulez mettre un chiffre sur cette séparation, le voici : 1,5. La manière dont fonctionne l'économie mondiale aujourd'hui consomme 1,5 fois plus vite nos ressources environnementales que les écosystèmes ne sont capables de les régénérer. Et nous savons que cela ne va pas changer du jour au lendemain et que nous devons nous atteler à améliorer la situation collectivement.
(Note du traducteur : c'est probablement pour cela que vous êtes sur ce MOOC !)

La fracture sociale


J'entends par là une déconnexion entre nous-mêmes et les autres. Celle-ci prend de nombreuses formes : polarisation sociale, fragmentation de la société, conflits, violence, inégalité et pauvreté. Aujourd'hui, les 50 personnes les plus riches du monde possèdent plus de la moitié de la richesse mondiale. Et à travers le monde entier, nous vivons dans une situation où le maintien de l'ordre est une fine couche fragile qui pourrait casser à tout moment. En fait, elle est en train de se fendre à une vitesse grandissante à la fois dans l'hémisphère sud et dans l'hémisphère nord.

La fracture spirituelle


J'entends par là une déconnexion entre nous-mêmes… et nous-mêmes : une division entre qui je suis aujourd'hui, mon moi actuel, et le moi que je pourrais être demain, mon moi essentiel. Si ces deux « moi » ne sont plus en interaction, ne sont plus en lien, que voyons-nous ? Un taux d'épuisement professionnel (note du traducteur : burn out en anglais), de dépressions et de suicides en augmentation constante. En 2010, dans le monde entier, le nombre de morts par suicide est supérieur au nombre total de morts dues aux guerres, aux meurtres ou aux catastrophes naturelles. Ainsi, malgré toute la violence actuelle dans le monde, plus de gens se sont violentés eux-mêmes en se suicidant qu'en étant tués par quelqu'un d'autre.
C'est ce nombre choquant que nous mettons en avant dans cette fracture, et bien que nous en parlions très peu dans les actualités, elle est aussi importante et signifiante que les deux autres divisions qui sont plus visibles.

Et les 90% restants ?


Nous avons donc ces trois divisions dans le monde. Il ne s'agit pas de problèmes nouveaux. Ils durent depuis plus de cent ans. Regardons au XXe siècle comment nous y avons fait face.
À l'échelle mondiale, nous avons mis en place une ou plusieurs organisations au sein des Nations Unies pour répondre à chacune de ces divisions.
Dans les gouvernements, nous avons créé un ou plusieurs ministères pour répondre à ces divisions.
Au sein des ONGs (organisation non gouvernementale), nous avons créé des secteurs pour répondre à une partie spécifique de chacune des divisions écologique, sociale et spirituelle.
Et au sein de nos systèmes éducatifs, nous avons un ou plusieurs départements dédiés à chacune d'entre elles.
Nous avons conservé une approche de type « silos », enfermée dans des réponses au niveau des symptômes, et non des causes profondes. Nous ne considérons pas ainsi les interdépendances entre ces divisions.
Mais qu'est-ce qui est présent en dessous de la ligne de flottaison de l'iceberg ? Quelles sont les racines, les 90% de l'iceberg que nous ne voyons pas ? Quelles sont les interactions systémiques enfouies que nos réponses ont ignorées ? En soignant les conséquences, et non les symptômes, ces derniers continuent d'émerger, encore et encore, malgré tous nos efforts.
Je pense qu'il existe trois forces :

  • la première est une séparation structurelle et systémique ;
  • la seconde est un changement nécessaire de conscience, de la manière dont nous pensons, et qui influence la manière dont nous agissons ;
  • la dernière, et la plus profonde, est en lien avec notre créativité, la source de qui nous sommes et de qui nous voulons être demain, qui a une grande influence sur les niveaux supérieurs.


Pour le premier niveau de profondeur, la fracture structurelle, voici différents éléments :

  • la bulle écologique : la fracture entre une planète aux ressources limitées et le paradigme de la croissance économique infinie ;
  • la bulle des revenus : la fracture entre les revenus des plus riches et ceux des plus pauvres. Selon Thomas Piketty, elle est due à l'accélération de l'écart entre la rétribution du capital et la croissance réelle sur le long terme. Cela se traduit par l'écart entre les plus riches, 0,1% de la population, et les 99,9% restant ;
  • la bulle financière : l'écart entre la finance et l'économie réelle. Aujourd'hui, la finance représente 98% des transactions financières, dégradant l'économie réelle plutôt que la servant.

Nous avons aussi quatre autres séparations structurelles qui sont toutes aussi importantes que les trois premières citées : séparations entre la bulle technologique et nos besoins réels, entre la bulle de leadership et la paralysie collective, entre la bulle de gouvernance et celles et ceux qui n'ont pas de voix, entre la bulle foncière et l'utilisation de la terre pour le bien commun de tou·te·s.
Mais répondre à chacune d'entre elles, ou même à toutes en même temps, n'atteint pas les deux derniers niveaux de fracture qui sont sous-jacents et qui sont bien plus importants.

Schéma récapitulatif
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