Mauvaise Foi Musicale

Publié le 10 avril 2021 par Hunterjones

La lutte, en arts, entre celui ou ceux qui investissent des sous et qui veulent en faire davantage, et les artistes qui ne tiennent que créer selon leurs envies est très connue. Ça existe dans presque toutes les formes d'art. Il arrive donc que, afin d'écoeurer les bonzes qui ne veulent que du fric, certains artistes fassent acte de très mauvaise foi dans leurs interprétations ou encore dans leur produit fini livré et enregistré en studio.

Parfois, ce sont les artistes eux-mêmes, entre eux, qui peinent à cacher l'animosité existante dans le band. On a pas eu de vidéos montrant les membres de The Police se battre, mais il était facile de les voir à bout de nerfs les uns des autres. Je ne veux pas vous parler simplement d'acrimonie entre artistes. Mais bien de gestes de mauvaise foi.


J'ai trouvé un peu de tout, dans la musique dite "populaire", mot qui justement, est bien souvent au coeur du contentieux. Vous voulez du populaire, on veut du bon. Ça se débat. Parfois trop publiquement. 

Voici 10 cas où la mauvaise foi était au rendez-vous dans la musique populaire, par ordre de parution.

 The Mama's & The Papas. Novembre 1967.


À l'automne de 1967, la formation californienne a vécu toutes sortes de frictions. Michelle Phillips a commis quelques infidélités, mais ce n'était rien par rapport aux milliards de rockeurs masculins qui faisaient de même (et continuent de le faire). Elle avait été virée, mais on l'avait réintégrée. Quand Ed Sullivan les invite à son show si populaire de fin de soirée, il exige qu'ils offrent leur plus gros succès, déjà vieux de deux ans. Le band, qui vient de lancer un nouveau single, aurait préféré tenter de mousser la publicité autour de celui-ci. Ils auraient aussi voulu chanter en direct sur scène, mais il n'en est pas question. C'est Sullivan le patron et quand les artistes jouent en direct, ça n'est jamais bon pour lui. Il voudra leur plus gros hit et du lip-sync. Du confortable. Pré-digéré. Michelle et John rendront la suite plus inconfortable. Afin de manifester leur désaccord avec les décisions du con, Michelle épluche une banane et la mange en direct, tenant son micro de l'autre, montrant bien qu'elle ne chante pas du tout. Une fois assise, elle échange avec John qui se penche vers elle et ils causent de choses qui ne sont PAS la chanson qu'on entend. Michelle en "oublie" son micro, se lève et termine la chanson avec sa banane et un gros ballon, et aucun micro au bec. Personne ne semble s'inquiéter que John Phillips n'a jamais été, lui-même, près d'un micro. Pas plus qu'il n'en porte un sur lui. 

The Rolling Stones. Décembre 1967.


Lors de l'enregistrement de Their Satanic Majesties, On offre (pour la dernière fois) pleine liberté à Brian Jones. Par le fait même, on reste démocratique envers les autres contributions des membres du groupe. Dans un esprit tout à fait hippie, chacun invite plusieurs de ses amis, et beaucoup trop de monde erre en studio. De l'avis de plusieurs, il s'agira d'un album très inégal que les Stones eux-mêmes n'aiment pas. En tout cas Mick & Keef. Le tandem maudit a tenté de mettre à la porte le baseman Bill Wyman presque toute leur carrière. Pour le moment, ils ne font que le rejeter. Wyman n'est donc pas inclus dans les communications quand on annule une session d'enregistrement. Il se pointe au studio et le producteur Glyn Johns lui dit que tant qu'à avoir conduit 45 minutes pour s'y rendre, aussi bien y faire quelque chose. Wyman tricote un morceau où il sera aidé au refrain par Steve Marriott et Ronnie Lane des Small Faces, qui enregistraient avec Johns. Mick & Keef en seront ravis, mais ne pourront s'empêcher, à la production finale, d'y inclure, à la toute fin, l'enregistrement des ronflements de Wyman, qui s'était endormi en studio, lors d'une session précédente. Quand on sait qu'ils ont vraiment tenté de le pousser à quitter le groupe maintes et maintes fois, cet acte de mauvaise foi envers lui n'était ni le premier, ni le dernier. 
McCartney/Lennon. 1968, 1971.

Quand Paul se rend compte que John ne porte vraiment pas beaucoup d'attention à son fils Julian, qu'il a eu avec Cynthia (mais John est maintenant avec Yoko) ça brise le coeur de Paul. Il écrit donc Hey Jude pour lui. En sachant très bien que ce qu'il pense est "Hey Jules", tout le reste s'applique à lui. John, grand naïf devant l'éternel, ne s'en rend pas compte tout de suite. Un an après, quand ils enregistrent ce qui sera l'album Let It Be, Paul signe Get Back.  Où le refrain pourrait s'appliquer à Yoko Ono qu'il trouve emmerdante et envahissante. La chanson était à l'origine une moquerie anti-immigration qui voulait rire des lois anti-migratoires britanniques et qui invitait les immigrés à rester dans leur pays d'origine. De l'ironie bien entendu. Mais conscient que personne ne saisirait le second degré, Paul a changé la visée, qui pouvait rester une flèche mais redirigée vers Yoko. Du moins, le refrain s'appliquait sur ce qu'il pensait. Quand les Fab Four se sont finalement séparés, John a pris conscience de l'hypocrisie McCartienne et ne l'a jamais digérée. Quand McCartney lance son album solo Ram, sur la pochette, il tient les cornes d'un bélier. Et les textes de son album son encore vicieux envers Lennon. John voudra se moquer de lui en prenant la même pose, dans les photos de son album Imagine, mais le faisant avec un cochon. Il signe aussi une chanson pleine de fiel où il est clairement en vendetta vis-à-vis Macca chantant, entre autres, "The only good thing you did was yesterday". 

Elvis Costello Saturday Night Live, 1977.


Declan Patrick Aloyisus McManus de son vrai nom, est un homme têtu. C'est ce qui a fait son succès. Il fonce partout, sans compromis. Quand il est invité à l'émission populaire du samedi soir de New York, où les performances sont filmées en direct, les producteurs avaient été clairs, il ne faut pas jouer sa chanson Radio, Radio, qui est une critique des diffuseurs radio. L'émission veut rester en bons termes avec les diffuseurs radios. Ça n'en prend pas plus pour Costello pour commencer Less Than Zero, l'arrêter, et demander au band (dans le coup, c'est certain) de jouer Radio, Radio à la place. C'était de bonne guerre. The Sex Pistols devaient être les invités mais ont eu un problème de visa aux douanes. Costello a été un remplacement de dernière minute et pour le remercier, on lui ordonnait des contraintes. Il a fait cela dans le pur esprit punk des Sex Pistols. Pensez vous que les Sex Pistols auraient écouté quelconque directives? vraiment? Il a été banni de SNL quelques années avant d'être pardonné, il y a quelques années. I just love Elvis.  

Marvin Gaye, Here, My Dear, 1978.


Celui-là, c'est peut-être un acte de bonne foi. Enfin, vous déciderez. Marvin est en conflit avec son épouse depuis deux ans. Elle le poursuit car ils sont séparés et il ne paie pas ce qu'il devrait lui payer. Gaye, qui doit deux albums à son étiquette de disque, choisit alors d'enregistrer un album double dont le thème sera presqu'entièrement son divorce. Et dont les recettes sont promises à son ex de toute manière. L'excellent album Here, My Dear, a un titre qui ne pourrait pas être plus explicite. La pochette montre même Marvin habillé en esclave au temps des Grecs. La chanson titre, Anna's Song, When Did You Stop Loving Me, When Did I Stop Loving You?AngerYou Can Leave But It's Gonna Cost You sont assez équivoques. Tout le monde s'entendait pour dire que Marvin était dans un drôle d'état d'esprit. Leaving you means paying forever chante-t-il. Anna Gordy, d'abord outrée et pensant le poursuivre pour invasion de son intimité, mais qui en récoltait les sous, a fini par beaucoup aimer l'album. Qui est excellent, je le répète, du moelleux en pleine ère disco, c'était baveux. Il est extraordinairement transparent et criant d'honnêteté, parfois crasse (Why do I have to pay attorney fee's?"). Et comme c'est de la bonne musique, le public n'a jamais aimé l'effort. Un peu beaucoup ciblé, avouons-le. 

The Clash, Rock The Casbah. 1982.


Pour avoir lu sur le band, je sais qu'à ce stade de leur évolution, ensemble, Joe Strummer et Mick Jones ne s'entendent plus tellement facilement. Topper Headon, batteur du band, est le ciment qui lie tout le monde ensemble, mais il est de plus en plus invalide parce que sous l'emprise de bien des drogues. La tension devient grimpante entre Strummer, qui chante pas mal de morceaux, et Jones qui compose beaucoup, mais chante assez peu. Ce n'est pas nécessairement le beef entre les deux, mais Jones verse vers l'amour grand public tandis que Strummer voudrait faire de la musique sans compromis. En 1982, c'est Headon qui compose la musique de Rock The Casbah, mais Strummer qui en compose les mots et qui la chante. Ils voulaient le texte, politique. Jones ne se sent pas 100% impliqué quand on choisit de tourner un clip pour promouvoir le single. Il est même très marabout le jour du tournage. Au point qu'il ne voudra pas qu'on lui voit la face. Il porte presque tout le clip un chapeau de camouflage voilé. Strummer n'a plus de patience pour Jones qui est constamment en retard dans leur rendez-vous. Et l'attitude de Jones ce jour-là, l'irrite grandement. Strummer se donne beaucoup et vers la fin du clip, sans consulter Jones sur le sujet, il lui arrache le chapeau de la tête. Jones reste professionnel à l'image, mais, pour avoir lu là-dessus dans un livre sur le band, il était furax.  Headon est expulsé du band dès 1982 pour ses excès de drogues, Jones, un an après. Alors qu'il avait fondé le band. 

Neil Young, 1982, 1983


Sans vraiment le crier sur les toits, Neil passe beaucoup de temps à suivre des sessions d'adaptation sociale en compagnie de son fils, gravement atteint de paralysie cérébrale au point de ne pas pouvoir parler. Neil a 1 million de dollar par album sous l'étiquette de David Geffen et le contrôle total sur le produit. Il connait Geffen depuis Crosby, Stills, Nash & Young. L'album de 1982 comprend 9 chansons dont 6 utilisant un vocoder, transformant terriblement sa voix. Il avait tout enregistré avec son band Crazy Horse, mais refait tout en studio en plaçant des synthés et ce terrible vocoder. Il confessera plus tard que c'était dans le but de tenter de communiquer avec son fils, autrement. L'album est invendable et une catastrophe commerciale et critique. Geffen lui suggère de retourner au bon vieux rock'n roll. Neil honorera l'idée sur l'album suivant dans le style du vieux rock'n roll des années 50., un album rockabilly où il compose 4 morceaux et en reprend 6 autres d'autres artistes. Geffen l'accuse de volontairement vouloir tromper tout le monde et de faire de l'anti commercial et du tout à fait contre ce qu'il faisait auparavant. Il le poursuit en cours pour mauvaise foi. Mais Young contre-poursuit son ancien gérant (Geffen, pour CSNY). Les deux finissent par tout laisser tomber et s'entendre autrement. Même si s'entendre autrement était le noeud du problème... 

Talk Talk Laughing Stock, 1990,1991


Mark Hollis et son band aiment tricoter de la musique à leur goût. It's My Life avait été très bon vendeur, Colour of Spring, meilleur encore. Spirit of Eden, plus court et moins grand public, déjà un peu ailleurs. La maison de disque insiste pour un clip pour It's My Life, la chanson la plus vendable. Hollis ne vit pas bien avec l'idée de vendre de l'image au delà de la musique. Pendant tout le clip, il refuse de chanter, ni même de bouger et ne fait que rester debout dans le zoo de Londres. Sa bouche ne s'ouvre tant pas sur la musique qu'on choisit de la dessiner avec de l'animation. La compagnie de disque insiste et les force à tourner une seconde version, par dessus la première, où Hollis et ses comparses exagèreront l'intensité du lip sync. Hollis sera toujours plus ou moins de bonne foi en clip. Sur ce qui sera le dernier album du groupe, la maison de disque souhaite un album hyper vendeur. Mais Hollis vise la douceur et la pureté du son. Il veut de l'ambiance, pas faire faire du fric aux autres. L'album s'appellera Laughing Stock. Conscient qu'il ne vendra pas tant que ça. Qui voudrait acheter un album qu'on annonce comme risible d'emblée? Il est doux et minimaliste. C'est selon. Hollis faisait pour selon. Pas pour tous.  

Prince, 1993, 1994


Prince s'est organisé toute sa vie pour contrôler pas mal tous les aspects de son carré de jeu. Sur certains albums, il jouait de tous les instruments et faisait absolument tout. Ça a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Il vient un moment, au début des années 90, où la compagnie de disque Warner n'en fait pas assez aux yeux de Prince, pour tenter de vendre ce qu'il produit. Ils sont dans un tel conflit sur le sujet que Prince refuse de s'identifier comme tel et deviendra un symbole. Ou The Artist Formerly Known As Prince, The Love Symbol et plus pompeusement The Artist. Il s'écrit même le mot "slave" sur la joue pendant un bout de temps. Son impact ne sera plus jamais le même. Niché, peut-être, mais jamais aussi majeur mondialement qu'entre 1980 et 1993. À l'aube des années 2000, il reprend son nom de Prince.  
Alt-J, 2014

Le trio de Leeds, en Angleterre, n'est intéressé que par la création musicale. Ils s'y prennent bien et habilement. Ce qu'ils font est très intéressant. Bien que beaux garçons, ils ne sont pas extrêmement porté sur le concept du clip les représentant. D'ailleurs ils ne sont jamais sur leurs propres pochettes. Quand la chanson Left Hand Free est utilisée dans la série Suits, de Netflix, l'intérêt autour du groupe devient plus insistant. La chanson sera utilisée dans l'univers collant de Marvel, dans une série britannique, un commercial de Dr Pepper et au début d'une autre série de Netflix. La compagnie de disque insiste pour qu'un clip soit tourné, L'intérêt est de plus en plus grand . Le groupe se trouvait déjà assez pute comme ça avec cette chanson. La formation offre des images de jeunes ayant du plaisir dans une rivière de la Guadeloupe, suivi d'une fin de soirée. Il y a même un passage dans un garage. Rien à voir avec rien. La compagnie de disque n'est pas satisfaite et exige un nouveau clip, plus grand public. On y était presque selon eux, avec ses jeunes qui s'amusent dans l'eau. On offre alors des jeunes qui s'amusent dans l'eau. Dès le premier plan, (qui me fait beaucoup rire) on sent la mauvaise foi. La fin du clip est mortellement comique. Et confirme le désintérêt de Joe Newman, Thom Sonny Green et Gus Unger-Hamilton. Ce qui les intéresse, c'est la zizik. Pas le marketing. 


Je me reconnais un peu dans certains gestes de mauvaise foi, ici. 

Oui, oui, je suis de ceux qui pensent que l'argent est un outil, jamais un but. 

Et comme je ne fréquente pas mon garage et n'ai pas de coffre-à-outils...