Rien n’arrête les oiseaux

Publié le 10 avril 2021 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Qu’elles parlent d’amour, de haine, de chaussure gauche ou de microbiologie, les huit nouvelles de ce recueil jouent à ouvrir des brèches dans le quotidien, pour y laisser filtrer le vent grisant de l’imaginaire.

Des histoires comme des bulles de savon qui volent à la dérive dans notre quotidien.

Le premier recueil de François Salmon s’intitulait Rien n’est rouge, voici maintenant Rien n’arrête les oiseaux. Il me faut l’avouer, j’ai du mal à me souvenir des nouvelles précises mais pas de l’impression générale que les recueils me donnent, et le premier de François Salmon m’avait laissé une impression réjouissante. Celui-ci est tout aussi jubilatoire ! Son titre ne correspond à aucun des neuf textes du livre : à chaque lecteur d’en chercher une interprétation personnelle.

Parmi toutes les nouvelles que j’ai particulièrement appréciées :

La première, Le nom des courants d’air, où un homme qui cultive tranquillement son jardin loin du monde se laisse bousculer par une inconnue tombée du ciel à qui il prescrit, pour la guérir, des potions littéraires.

« Il entreprit alors de lui faire la lecture. Deux chapitres de Rabelais, d’abord, pour tonifier le sang, et puis Dostoïevski (pour la tension), une tirade d’Andromaque (rien de tel que l’alexandrin classique quand il s’agit de soutenir le rythme cardiaque). Il ajouta dix sonnets de Verlaine, comme du linge frais sur une peau meurtrie et termina par deux nouvelles macabres de Jean Ray car, il le savait bien, les plus puissants remèdes tirent toujours leur vigueur de poisons virulents. »

Des amours observe des couples soudain en rupture dans différents pays du monde : la chute nous permettra de comprendre le pourquoi de ces séparations.

Sur le champignon met en scène la concurrence entre deux microbiologistes invités à un congrès scientifique.

« Quelle recrue dans ce cénacle très masculin, on pouvait difficilement l’ignorer. Avec ses grands yeux bleus-je-veux, ses talons aiguilles et son chemisier rouge déboutonné jusque-là, elle semblait tombée d’un de ces assortiments de petits chaperons apéritifs qu’on trouve près du comptoir dans les night-shops pour méchants loups. »

Les lois de la pesanteur, à la fin délicieusement fantastique et fantaisiste.

Dans Les listes de Mathilde, une institutrice retraitée et veuve relit (relie) le fil de sa vie à travers ses carnets de listes, qu’elle a tenues chaque jour depuis son adolescence pour endiguer sa peur de l’inconnu, de l’imprévu. La vieille dame parviendra-t-elle à retrouver la spontanéité des amours de jeunesse malgré tout ce temps passé à cocher des cases ?

« Elle pourrait s’arrêter là, refermer le carnet, reposer le couvercle, mais il semble qu’elle n’en n’a pas encore son compte, de ce vieux chagrin séché entre les pages. Elle reprend par le début, explore à présent les jours d’avant la chute, voudrait trouver dans les derniers moments partagés un parfum d’absolu. Elle aimerait que l’amour transpire à travers les mots. Mais non. Les jours qui ont précédé le départ de Martin furent des jours ordinaires, et l’amour, elle le sait, avait laissé la place aux lois de l’habitude, à l’usure, aux griefs. Tout un chapelet de vieilles fatigues, des neuvaines de petites haines quotidiennes, infiniment ressassées. »

« La dernière liste qu’elle a rédigée aux côtés de son homme, tandis qu’adossé à son oreiller, il terminait sans doute les mots croisés du Journal, immuable rituel du coucher contre lequel elle a tant lutté – un journal dans le lit, ça n’était pas propre. Elle se dit qu’aujourd’hui c’était ça,  l’image de leurs vieux jours : chacun noircissait ses propres cases sur ses propres feuillets. Ils traçaient des vies parallèles qu’ils ne prenaient plus la peine d’épier par-dessus l’épaule de l’autre. »

Un truc incroyable raconte les aventures incroyables d’un homme à qui il arrive sans cesse des « trucs incroyables » et qui en a fait son métier : « modèle littéraire vivant » pour écrivains en panne d’inspiration.

« Après avoir tenté vainement d’exercer diverses professions ordinaires, pour lesquelles il s’était rapidement confirmé qu’il n’avait aucune compétence, après s’être donc fait renvoyer d’une brasserie, d’un bureau de comptabilité, du guichet d’un cinéma et d’une entreprise de plafonnage, il s’était résigné à gagner sa vie en pratiquant la seule chose pour laquelle il était doué : s’attirer des emmerdes et des péripéties. Notons tout de même que ce don très particulier n’aurait jamais été de nature à générer un salaire s’il n’avait existé sur terre une autre catégorie d’êtres pourvus d’un seul talent – mais cyniques, ceux-là, sans scrupules, prêts à vendre père et mère pour une bonne histoire : les écrivains en mal d’inspiration. »

« Pour tout dire il se méfie des gens qui lisent. Oui, les lecteurs l’agacent, avec leurs airs entendus, leurs lunettes, la façon grossière dont ils s’absentent de toutes les sociétés, se retranchent dans un prétendu monde intérieur. Et ce halo de superbe dont ils se nimbent dans les parcs et les métros, comme si la fréquentation des romans les élevait à une forme d’ aristocratie joliment surannée. Vraiment, lui qui ne lit pas, il enrage de ce mépris discret que lui réserve le cénacle des bibliophages, alors qu’ils ne sont eux-mêmes qu’un petit peuple frileux qui se protège de la vraie vie derrière des paravents de papier. »

La dernière nouvelle, A pieds joints, la plus longue, qui fait un clin d’oeil cocasse à un personnage d’une autre nouvelle, réussit à réconcilier un Juif et un Iranien grâce à une marchande de chaussures.

Comme on peut le lire dans les extraits, François Salmon aborde de nombreux thèmes, qui se rattachent sans doute au principal : celui de l’amour, jamais une bluette ou une romance indigeste, non, l’amour inattendu, exigeant, l’amour finissant, l’amour en allé, enfoui sous les couches de l’habitude, l’amour qui réconcilie, ou encore l’amitié, un autre nom de l’amour. Les personnages qu’il croque sont tout à la fois drôles et touchants, des gens ordinaires, avec leurs petits grains de folie, leurs manies, leur solitude, leur désir. Cerise sur le gâteau (autre clin d’oeil), François Salmon a beaucoup d’humour, un humour subtil, et il écrit bien, avec des images, des références, des trouvailles et de la légèreté. Comme les oiseaux.

J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à cette lecture qui m’a donné le sourire !

Rien que pour le plaisir, un dernier extrait de la nouvelle Oedipe comédie : « « Vous avez tué votre père ? Parfait. C’est un bon début. Vous connaissez la suite, je pense. Quand vous aurez réussi à coucher avec votre mère, revenez me trouver. Je vous expliquerai la procédure la plus simple pour vous crever les yeux. »
Quel panache, ce psy ! Quel sens de la formule ! »

François SALMON, Rien n’arrête les oiseaux, Editions Luce Wilquin, Collection Euphémie, 2017

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