(Anthologie permanente) Walter Benjamin, Sonnette | Sonnets

Par Florence Trocmé


Les éditions walden n propose en un petit volume très élégant des sonnets de Walter Benjamin, en édition bilingue. Traduction et postface de Michel Métayer. Avec un essai d’Antonia Birnbaum. Fidèle à sa méthode, Poezibao propose aujourd’hui des extraits du livre, proposant au lecteur le contact direct avec les textes et dans l’attente, peut-être, d’une note sur ce livre.
Walter Benjamin a écrit soixante-treize sonnets à la suite du suicide à dix-neuf ans de son ami Fritz Heinle en 1914
Poezibao dédie ce choix, ces poèmes de deuil, à la mémoire de Bernard Noël qui vient de disparaître, ce 12 avril 2021.

Fritz Heinle était poète, et le seul de tous
avec qui je n’eus pas de rencontre « dans la vie », mais dans sa poésie.
Il est mort à dix-neuf ans, on ne pouvait le rencontrer autrement.
Walter Benjamin

Un jour du souvenir et de l'oubli
Rien ne restera qu'un chant à son berceau
Qui ne trahirait rien et qui ne tairait rien
Un chant sans mot    que les mots ne mesurent
Un chant qui monterait des tréfonds de l'âme
Tels de la terre liserons et cressons
Telles les voix dans les orgues des messes
En ce chant se blottirait notre espoir
N'est point de baume hors de ce chant
Point de tristesse loin de ce chant
En lui sont comme tissés l'étoile et l'animal
Et mort et amis sans différence
En ce chant vit toute chose
Tandis que le pas du plus beau en lui marchait.
Einst wird von dem Gedenken und Vergessen
Nichts bleiben als ein Lied an seiner Wiege
Das nichts verriete und das nichts verschwiege
Wortloses Lied   das Worte nicht ermessen
Ein Lied das aus dem Grund der Seele stiege
Wie aus der Erde Winden und die Kressen
Wie Stimmen in den Orgelton der Messen
In dieses Lied sich unser Hoffen schmiege
Kein Trost kann außer diesem Liede leben
Und keine Traurigkeit fern von dem Lied
Darin sind Stern und Tier wie in Geweben
Und Tod und Freunde ohne Unterschied
In diesem Liede lebt ein jedes Ding
Dieweil der Schritt des Schönsten in ihm ging.
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En toute beauté il est un deuil secret
Confusément en effet il persiste
Deux fois deux fois indéchiffrable
A lui-même caché obscur à qui regarde
Ne ressemble aux vivants dans sa durée
Aucun vivant en vrai ne le remarque
Ne semble que rosée et vent dans les cheveux
Plus il est proche plus il est incertain
Comme Hélène il reste en la pénombre
La langue des deux mondes en rien ne lui convient
Si ce n'est aveuglante pour délier ses nouages
Mais n'était-il pas donné à ta beauté
Quittant ta jeune vie de grandir
En la mort choisie et de se donner nom ?
In aller Schönheit liegt geheime Trauer
Undeutlich nämlich bleibt sie immerdar
Zwiefach und zwiefach unenträtselbar
Sich selbst verhüllt und dunkel dem Beschauer
Sie gleicht nicht Lebenden in ihrer Dauer
Kein Lebender nimmt sie im Letzten wahr
An ihr bleibt Schein wie Tau und Wind im Haar
Je näher nachgerückt je ungenauer
Sie steht wie Helena im Dämmerlicht
Der beiden Welten Sprache taugt ihr nicht
Es sei denn blendend ihr Geflecht zu trennen
Doch war es deiner Schönheit nicht gegeben
Als offner Tod aus deinem Jugendleben
Zu wachsen und sich selber zu benennen ?
B[52]
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Devant mes pieds va alors le héraut
Emplit le cercle des mêmes cris toujours
L'éternité il chante et chante l'heure
Douceur de l'orgue mordant des tempêtes
Et annonce aussi que douleur toujours guérit
Se connaissant viendra à la prière
Que dessus chaque tombe fleurit un massif
Et que s'ouvre votre vieille blessure
Son chant bientôt apeure vide les lointains
Les nuages fuient devant un tel souffleur
Une armée invisible pourtant le suit
La souffrance parente l'entoure hautes herbes
Et tourne ses têtes vers cet un
Éveille fraternelle et calme les pleurs.
Fortan vor meinem Fuß der Herold geht
Erfüllt mit immer gleichem Ruf die Runde
Die Ewigkeit er singt und singt die Stunde
Wie Orgel süß wie Stürme schneidend weht
Und er tut kund daß jeder Schmerz gesunde
Sich selbst erkennend trete zum Gebet
Daß über jedem Grabe blüht ein Beet
Und de sich öffne eure alte Wunde
Sein Lied macht wohl die Weite scheu und leer
Die Wolken fliehen fort vor solchem Blaser
Doch folget dem ein unsichtbares Heer
Verwandtes Leid umsteht ihn Koch wie Gräser
Und wendet seine Häupter zu dem einen
Im Brudergeiste weckt und stillt das Weinen.
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Walter Benjamin, Sonnette | Sonnets, édition bilingue, traduction et postface de Michel Métayer, avec un essai d’Antonia Birnbaum, Walden n, 2021, 208 p., 15€
(Sur le site des Presses du Réel)