Cérémonie des Oscars – 2021 [Résultats]

Par Le7cafe @le7cafe

Chloé Zhao triomphe, la Corée nous enchante encore, Glenn Close remue son popotin et l'Académie remet son prix le plus scandaleux : c'est les Oscars !

Dimanche dernier s'est tenue la 93ème Cérémonie des Oscars, où , la splendide ballade humaniste de Chloé Zhao, a triomphé comme attendu avec un Oscar du Meilleur Film bien mérité. Niché dans mon canapé face à l'écran de ma télévision, dans le noir à 2 heures du matin, j'avais pour la première fois depuis des mois l'impression de retrouver l'ambiance d'une salle de cinéma.

Entamée par un percutant plan-séquence mené par la toujours élégante Regina King, cette cérémonie en période pandémique était bien particulière : une scène réduite, une liste d'invités limitée, et des salles réparties dans le monde entier - notamment le toit des studios de Canal+ où l'on a pu apercevoir les nommés français. Pour la première fois depuis des décennies, la grand messe du cinéma mondial a retrouvé sa taille humaine, dans une ambiance conviviale et élégante. La mise en scène était impeccable, les remettants judicieusement choisis, les discours enfin plus limités par la règle idiote des 30 secondes, et les Oscars allèrent à qui de droit ; bref, tout était parfait... jusqu'à la fin, où ça a soudainement et scandaleusement déraillé.

Tout a commencé quand Glenn Close a twerké...

MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL

Je l'avais annoncé dans mes pronostics, Aaron Sorkin est un habitué des Oscars mais c'est finalement Emerald Fennell qui a séduit l'Académie grâce au scénario de Promising Young Woman ! Le discours de la réalisatrice fut touchant et drôle, à l'image de son film qui allie avec une grande finesse un humour ravageur et une tragédie dévastatrice. Une grande comédie noire sur des sujets terriblement d'actualité, qui méritait bien de ne pas repartir les mains vides !

MEILLEUR SCÉNARIO ADAPTÉ

Voilà un Oscar qui ne fut pas remis à Los Angeles, mais à Boulogne sur le toit de Canal+, pour notre Florian Zeller national. Son film The Father, adapté de sa pièce éponyme, s'attache à emmener le spectateur dans les méandres d'un esprit déliquescent en proie à la maladie d'Alzheimer, qui déconstruit les lieux et la chronologie juste assez pour nous décontenancer mais jamais trop pour ne pas nous perdre totalement. Un écrin escherien écrit spécialement pour l'inimitable Anthony Hopkins, qui s'impose dans des scènes lourdes en émotions.

MEILLEUR FILM INTERNATIONAL

Thomas Vinterberg, favori depuis le tout début de la saison grâce à son époustouflant Drunk qui n'a laissé aucune chance à la concurrence, a livré l'un des plus bouleversants discours de la soirée en recevant l'Oscar du Meilleur Film International. Commençant par saluer la performance de son ami Mads Mikkelsen, il s'est ensuite livré à cœur ouvert en rendant hommage à sa fille, disparue prématurément dans un accident de voiture à peine deux mois avant le début du tournage. L'Oscar, comme le film, lui sont dédiés.

MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

Une victoire attendue pour Daniel Kaluuya dans Judas and the Black Messiah, puisqu'il aurait sans doute mérité une nomination dans la catégorie Meilleur Acteur tout court. Dans un discours à l'élégance imparable - enfin, sauf le moment où il a remercié ses parents d'avoir fait l'amour sans quoi il n'aurait pas été là - il a également pris le temps de rappeler la mémoire du grand homme dont il joue le rôle dans le film, Fred Hampton, leader remarquable du parti Black Panthers de Chicago dans les années 1960, qui a beaucoup œuvré pour aider les communautés dans la misère et pour apaiser les tensions raciales de son pays.

MEILLEURS MAQUILLAGES ET COIFFURES

Je l'avais dit dans mes pronostics, si ce n'était pas l'un, ce serait l'autre. Le film historique Le Blues de Ma Rainey a marqué l'Histoire lors de cette cérémonie, en récompensant pour la première fois (en presque un siècle, bravo...) des artistes noires avec l'Oscar des Meilleurs Maquillages et Coiffures. Les perruques de Ma Rainey sont resplendissantes, son maquillage extravagant est inratable et que dire du travail sur ses épouvantables dents en or qui lui donnent une esthétique absolument unique ? La styliste Mia Neal portait en plus de cela l'une des plus magnifiques robes de la soirée, ce qui constitue une parfaite transition pour l'Oscar suivant.

MEILLEURS COSTUMES

Jamais l'un sans l'autre. Non content d'avoir déjà marqué - discrètement - l'Histoire dans la catégorie Meilleurs Maquillages, Le Blues de Ma Rainey a rempilé immédiatement après avec les Meilleurs Costumes en récompensant Ann Roth, faisant d'elle la plus vieille personne oscarisée dans une catégorie compétitive, à l'âge vénérable de 89 ans. Si elle ne pouvait être présente, aucun discours n'était nécessaire tant le travail de la costumière déjà récompensée pour Le Patient Anglais parle de lui-même : la façon dont les costumes de Ma Rainey retraduisent les textures et les teintes d'une époque révolue est remarquable, tout comme la façon dont les chaussures ocre de Levee jouent un rôle fondamental dans l'histoire. Un triomphe.

MEILLEURE RÉALISATION

Chloé Zhao a fait son petit bonhomme de chemin, récoltant l'or partout où sa caravane de nomade la menait. Un Oscar infiniment mérité - bien que remis inhabituellement tôt dans la soirée - pour une vision poétique et majestueuse des paysages américains et des hommes et femmes qui les parcourent dans Nomadland. Son discours fut l'un des plus beaux de la soirée, débordant d'une humanité sans faille et d'une humilité éblouissante. En plus de cela, cette victoire fait d'elle seulement la deuxième réalisatrice oscarisée de l'Histoire, après Kathryn Bigelow pour Démineurs, ce qui n'enlève rien.

MEILLEUR SON

Comme c'est surprenant, l'Oscar du Meilleur Son a été attribué au film dont le titre commence littéralement par " Son " (Sarcasme / 20). Bien sûr, c'est une victoire écrasante, attendue et justifiée, qui offre à la France son deuxième Oscar grâce au travail de Nicolas Becker sur Sound of Metal. Son accent anglais est claqué au sol, tout le contraire de son travail d'une minutie inégalée sur le film de Darius Zeller, où il parvient à donner corps et sens aux silences les plus abyssaux. Nicolas, ton œuvre n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd.

MEILLEUR FILM D'ANIMATION

Une fois encore, Pixar triomphe. Soul est mon film favori de cette terrible année 2020 et m'a offert sans doute les moments d'émotion les plus puissants qu'aucun film d'animation m'a jamais fait ressentir jusqu'alors. Même après plusieurs visionnages, la simple minute du film présentée en extrait pour l'annonce des nommés a failli me faire verser une larme. Quel film, oui quel film.

MEILLEUR DOCUMENTAIRE

Mon cœur penchait pour Time, mais La Sagesse de la Pieuvre était en réalité mon premier choix avant que je change mon pronostic. L'odyssée de Pippa Ehrlich et James Reed dévoile une nouvelle facette du cinéma documentaire animalier, ne se contentant plus de l'observation mais dépeignant une véritable relation entre l'Homme et la Nature. L'approche intime de ce film documentant l'amitié entre un homme et une pieuvre nous dévoile des moments sincèrement émouvants, servis par une cinématographie sous-marine resplendissante. À découvrir !

MEILLEURS EFFETS SPÉCIAUX

J'avais fait un pari risqué en m'imaginant Tenet repartir avec les Meilleurs Décors en plus des Meilleurs Effets Spéciaux. Qu'à cela ne tienne, le film n'obtint qu'un seul Oscar, mais difficile d'imaginer un autre de ses concurrents le remporter. Que l'on apprécie l'œuvre de Christopher Nolan ou pas, il est indéniable qu'il maîtrise à merveille le sens du spectacle et ses films sont souvent le plus époustouflant feu d'artifice que l'on voit l'année de leur sortie.

MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

Rien n'était joué d'avance dans la catégorie Meilleure Actrice dans un Second Rôle, et le suspense est resté entier jusqu'à l'annonce de la gagnante. Ce n'est finalement pas ma favorite Amanda Seyfried - qui portait une remarquable robe écarlate - qui est repartie avec l'Oscar, mais sa collègue, la délicieuse Youn Yuh-jung. À l'origine pas spécialement envisagée comme une concurrente de choix, Youn s'est peu à peu fait une place dans le panorama cinématographique et sa victoire aux BAFTAs avait sérieusement rebattu les cartes. Son discours, entamé comme il se doit par un crush sur Brad Pitt, fut le plus hilarant de la soirée mais débordant d'une grande sincérité, à l'image de son turbulent personnage dans le solaire Minari. Juste géniale !

MEILLEURS DÉCORS ET DIRECTION ARTISTIQUE

Comme beaucoup d'autres éléments dans Mank, les décors jouent la double casquette de devoir recréer le passé - l'Hollywood des années 30 - tout en rendant un hommage appuyé à son modèle, Citizen Kane. On se souvient par exemple de la salle à manger d'Hearst Castle, qui rappelle évidemment son modèle bien réel tout en reprenant des éléments du film de Welles, comme cette fenêtre anguleuse magnifiée par les jeux de lumière en clair-obscur. La prouesse technique n'est que complimentée par le travail en noir et blanc, qui ajoute la contrainte supplémentaire de devoir penser aux teintes pour qu'elles rendent le contraste attendu sur la pellicule.

MEILLEURE CINÉMATOGRAPHIE

Bien que pas tout à fait un outsider, la cinématographie de Mank n'avait pas l'avance dans les pronostics, face aux majestueux paysages de Nomadland. Pourtant, c'est bien Eric Messerschmidt qui s'est emparé de la précieuse statuette grâce à noir et blanc travaillé dans le plus pur style wellesien. Les fondus au noir, les mouvements de caméra, les teintes et contrastes contribuent tous à récréer un cinéma oublié, et sont le testament du travail d'orfèvre du directeur de la photographie.

MEILLEUR MONTAGE

Meilleur Son et Meilleur Montage vont souvent de pair - durant les dix dernières années, seuls deux cérémonies n'ont pas remis les Oscars au même film. Puisque le Meilleur Son était déjà joué d'avance, il paraît cohérent que Sound of Metal triomphe au Montage également, après une excellente introduction par Harrison Ford qui en a profité pour tacler le montage original de Blade Runner. Les deux catégories sont fondamentales pour créer un rythme et une ambiance, et le film n'en manque pas. Je pense personnellement qu'il y aurait eu des choix plus intéressants à faire - Nomadland ou The Father - mais ce n'est pas démérité tout de même.

MEILLEURE BANDE ORIGINALE

Quand Zendaya a commencé à annoncer " L'Oscar est attribué à Trent Reznor, Atticus Ross... ", il y a eu cette seconde de flottement dans l'esprit de tous car on ne pouvait savoir pour quel film ils obtenaient l'Oscar, étant doublement nommés. Mais bien évidemment, c'est Soul qui est reparti avec une statuette attendue mais rare pour un film d'animation. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les envolées jazzy des rues de New York, la bande sonore apaisante et éthérée du Grand Avant, et - mon Dieu ! - les scènes de concert magnifiées par le piano virtuose de Jon Batiste font du dernier-né de Pixar une expérience mélomane hors du commun.

MEILLEURE CHANSON ORIGINALE

Et c'est ici que, lentement mais sûrement, tout a commencé par partir en vrille. Face aux puissantes envolées de " Io Sì (Seen) ", à la sublime ballade qu'est " Speak Now " ou - ma favorite - la sublime ode eurovisionnesque à un petit village islandais qu'est " Husavik ", c'est finalement " Fight For You " de la chanteuse H.E.R. qui a dérobé l'Oscar de la Meilleure Chanson Originale à la surprise générale. Non seulement la chanson n'apparaît qu'au générique du film (comme toutes les autres à la seule exception d' "Husavik " d'ailleurs), mais en plus, c'était clairement la plus nulle des cinq nommées, et je pèse mes mots. Il n'y avait pas une seule fausse note dans la cérémonie jusqu'ici, ironique que la première vienne de la Meilleure Chanson.

MEILLEUR FILM

Comment ? Quid ? WTF ? Hé oui, pour la première fois depuis 1948, l'Oscar du Meilleur Film n'a pas été remis en dernier. En y réfléchissant bien, c'est sans doute pour réserver la dernière place à l'Oscar du Meilleur Acteur afin de rendre un ultime hommage à Chadwick Boseman... well, on y reviendra. En attendant, c'est Nomadland qui a remporté le gros lot, offrant à Chloé Zhao, Frances McDormand et même Swankie et Linda May - les deux nomades qui accompagnent le personnage principal du film - l'occasion de monter sur la scène de la plus prestigieuse des cérémonies du 7ème Art. Une consécration amplement méritée et fortement attendue, pour un film à aller découvrir en salles aussitôt qu'elles réouvrent.

MEILLEURE ACTRICE

Frances McDormand n'aura pas eu à quitter la scène longtemps, puisque immédiatement après avoir remporté un premier Oscar en tant que productrice, la voilà également victorieuse dans la catégorie Meilleure Actrice. Son rôle dans Nomadland fait d'elle la seule actrice à avoir trois Oscars de la Meilleure Actrice en sa possession, uniquement devancée par les quatre succès d'Elizabeth Taylor. Nous avions d'ailleurs déjà commenté ici-même la victoire précédente de McDormand en 2018 pour Three Billboards, lors de la première année où j'ai suivi la cérémonie. Content de te retrouver, Frances !

MEILLEUR ACTEUR

    Anthony Hopkins, pour le rôle d'Anthony dans The Father
      Chadwick Boseman, pour le rôle de Levee Green dans Le Blues de Ma Rainey *
      Riz Ahmed, pour le rôle de Ruben Stone dans Sound of Metal
    • Gary Oldman, pour le rôle d'Herman Mankiewicz dans Mank
    • Steven Yeun, pour le rôle de Jacob Yi dans Minari

WHAT? WHAT? De nulle part, dans une catégorie où TOUT LE MONDE prédisait Chadwick Boseman vainqueur, c'est Anthony Hopkins qui a remporté l'Oscar du Meilleur Acteur pour son rôle dans The Father, devenant le plus vieil acteur récompensé par l'Académie, à l'âge honorable de 83 ans. Cette cérémonie aurait dû se conclure sur un hommage triomphant, elle s'est terminée sur un scandale - comble du comble, Hopkins n'était pas là, et personne n'était présent pour accepter l'Oscar en son nom. Les 93ème Oscars ont pris fin sur un grand moment de solitude, avec la simple phrase lancée par Joaquin Phoenix " L'Académie accepte l'Oscar en son nom ". Fin.

Ça n'a peut-être l'air de rien pour ceux qui ne suivent les Oscars que d'un œil distrait ou qui n'ont regardé les résultats que le lendemain, mais pour ceux qui comme moi ont regardé la cérémonie en direct, la brutalité de cette conclusion est incommensurable. Je ne dis pas que Boseman aurait dû l'emporter parce qu 'il est décédé prématurément d'un cancer, mais il aurait dû remporter parce qu'il livre littéralement la performance de sa vie, qui n'est rendue que plus puissante par le sous-texte qu'y ajoute son destin tragique - je l'ai déjà évoquée dans mes pronostics, la scène où son personnage crie vers le ciel contre un Dieu qui l'a abandonné est bouleversante et il est difficile de ne pas y voir un exutoire bien réel des souffrances de l'acteur.

Je ne dis en aucun cas que cette disgrâce est la faute d'Anthony Hopkins. À son âge et dans la situation pandémique dans laquelle on se trouve, il est normal qu'il ne fasse pas le déplacement, et lui-même ne s'attendait absolument pas à sa victoire et a pris le temps de rendre hommage à Boseman dans une petite vidéo de remerciements tournée le lendemain matin. Et oui, il est excellent dans The Father - mais ne fait jamais moins que ce qu'on attend de sa part dans le genre théâtral. Mais le fait que l'Académie récompense le déjà-récompensée sextuplement-nommé vétéran Hopkins, face à un Boseman époustouflant dont ça restera à jamais la seule nomination, prouve que même dans son année la plus diversifiée, elle n'a pas encore corrigé tous ses torts et est encore capable de grossières erreurs de jugement.

Je tiens à conclure cet article sur l'hommage qui n'a pu être justement livré à la fin de cette 93ème cérémonie des Oscars. En incarnant le trompettiste idéaliste Levee Green dans Le Blues de Ma Rainey, Chadwick Boseman livre la plus grande performance de sa trop courte existence, rappelant à chacun qu'il n'était pas juste un super-héros, mais un immense acteur. Chaque geste, chaque regard, chaque accentuation, chaque respiration même est une véritable leçon et l'ensemble fait montre d'un sens du détail rare. Boseman nous emporte à travers toutes sortes d'émotions ; joie, tristesse, colère, et d'autres infiniment plus subtiles comme l'espoir, le rêve, la désillusion. Il faut un talent et une audace monumentaux pour happer chaque seconde d'apparition dans un film dont Viola Davis joue le rôle titre. Beaucoup se souviendront de lui comme le vénérable Black Panther de l'univers Marvel, mais Le Blues de Ma Rainey restera à jamais le testament de la grandeur de l'acteur que nous avons perdu. Wakanda forever.

- Arthur

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