Serge Bouchard (1947-2021)

Publié le 13 mai 2021 par Hunterjones

(aidé de Michel Desautels

Il aurait été dans la même classe que mon père. Né tout juste un mois plus tard que lui. Mort, 12 ans après.

Serge était un amoureux. Il faut lire ce qu'il écrit sur le très simple moment du matin où on prend son café en compagnie de l'être aimé, qui était pour lui, Marie. Bouchard était merveilleux d'amour. Il aimait l'Homme avec un grand H. Ce qui le "forçait" à passer par les "petits" et à les étudier. Il était antropologue de formation. C'est avec son ami l'historien Bernard Arcand, qu'il travaillait à la radio, y posant sa grave voix sage si réconfortante, bercée toujours d'un propos en faveur des laissés pour compte. Un homme Juste. Avec un grand J. C'était dans le titre de ses émissions de radio. Les Chemins de Travers, De Remarquables Oubliés. Il racontait de splendides Histoires, avec un grand H. Mais ne se racontait pas d'histoires. Il savait que nous n'étions jamais libre. Que seul, on est rien. Il faut donc une certaine intégration, dans une certaine stabilité/instabilité. Que nous sommes donc, en quelque sorte prisonniers d'une relative aliénation. 


Aliénation que plusieurs d'entre nous avons deviné déjà aussi. Un sage. Serge, qui avait étudié soigneusement les chasseurs innus, savait ce que c'était que d'aspirer à la sagesse. Il avait un regard oblique. Au pays-qui-ne-veut-pas-l'être, qui ne rêve que de plate été, il nous apprenait notre nordicité. Facile de voir ce qui pouvait m'attirer vers lui. Il écrivait merveilleusement bien. Déposant les mots comme il les disaient en ondes radio, si bien que quand on le lisait, on avait aussi l'impression de l'entendre. Ce qui ne pouvait que charmer les sens. Son regard bienveillant et non complaisant nous étais nécessaire à nous, peuple fragile baignés d'anglos du Nord au Sud et d'Est en Ouest. Il avait compris le miracle francophone d'Amérique. Il était moins scientifique que poète, ce qui le rendait franchement sympathique. Là où tout le monde voyait le brouillard, lui, il voyait la route. Il savait utiliser les outils de l'intellectuel pour parler à absolument tout le monde. 

Aux camionneurs entre autre, passion qu'il tenait de ses propres parents et grands-parents, qui camionnaient. Le hasard allait faire que je serais, moi aussi, un temps, camionneur "contre" mon gré. Me rapprochant encore de lui. Mais je n'ai jamais conduit de camion aux yeux tristes. 

Bouchard, il y a 40 ans


Avec son allumé partenaire de travail Jean-Phillipe Pleau, à la barre de l'émission C'est Fou! depuis quelques annéesil négociait les sujets du même calme qu'on le ferait avec un 18 roues sur la grande route. Ça prend aussi du nerfs pour ne pas prendre le clos. Son immense talent de communicateur n'est pas tombé dans l'oreille de sourds. On peut merveilleusement tout réécouter (sur le web) ses propos radios, même les plus anciens, mais on pourra aussi le lire. Toujours. C'est la magie de l'écrit. 
Serge était fait pour la radio et la radio était faite pour lui. Sa voix chaude comme de la laine du pays enveloppait les oreilles, les protégeaient même des engelures d'une certaine platitude ambiante. Surveillez bien certaines radios nous demander de fermer nos gueules sur ce deuil qui sera long. Une voix qui portait et science, et poésie, d'un affluent du discours fluvial qui reflétait notre humanité. 
Il avait toujours dans le ton et dans l'oeil ce sourire complice de celui qui ne lèvera pas le poing si vous ne comptez pas être d'accord avec lui. Lors du dernier salon du livre auquel j'ai assiste, il y a deux ans, je crois, nous n'étions pas masqués, je le croisais, avec ma fille. Nos regards tombaient l'un sur l'autre. Il était assis dans une chaise roulante poussé par quelqu'un (Marie?). Il m'envoyait ce regard complice. Voyait peut-être le lien filial entre ma fille et mois dans les traits. Il avait l'air prêt à sourire. À aimer. Même l'inconnu. Ce ne sont pas tous les Québécois qui en sont encore capables. Il me donnait le regard de celui qui sait qu'on l'a reconnu aussi. Et je lui ai souri. Incapable de trouver les mots justes pour lui glisser un simple mot qui aurait été différent du plate et impersonnel "merci, Serge". Je n'ai que souri. Ce qu'il m'a rendu. Il savait que je l'avais reconnu. Avait il vu un camionneur? Je ne le saurai jamais. 
Bouchard donnait/donnera encore, des lunettes aux myopes. En parlant de Claude Provost, ancien joueur des Canadiens de Montréal, gagnant de 9 Coupes Stanley avec eux, décédé très jeune, à 51 ans, ensuite presqu'aussi vite oublié de tous,  il démontrait dans son dernier livre, en quelques 500 mots, toute la grandeur du joueur et toute la petitesse des fans. 

Terminons sur les mots mêmes de Bouchard concernant la mémoire:


"La mémoire collective est rusée. Elle cherche à omettre, à oblitérer, autant qu'à se souvenir. Il en va de l'histoire des nations et des peuples comme il en va de nos histoires de vies. Et nos discours prennent plusieurs formes. L'épopée, la saga, la justification, la mauvaise foi. Nous avons autant le sens de l'embellie que de l'oubli. Nous maîtrisons l'art de nous mentir à nous mêmes. Il serait fort difficile de faire admettre aux Américains que ce sont les Canadiens Français qui les ont guidé vers le Grand Ouest, en 1804, lors de l'expédition Lewis Clark. Il serait tout aussi difficile de faire admettre aux Canadiens Français que ces francophones qui ont guidé les Américains vers l'Ouest étaient des "ensauvagés" et des Métis. Des passeurs culturels plus animistes que catholiques. Des coureurs d'espace qui arpentèrent l'Amérique sans jamais écrire leur propre histoire. 


Nos plus grande histoires sont d'immenses trous de mémoires."

Nous Serge, on se souviendra de toi.

Tu n'es pas mort. Tu as pris de la hauteur pour mieux veiller sur nous, encore. 

Vous écrivant ceci, j'ai voulu réserver du Serge Bouchard à la Vievliothèque. Je suis 24ème en ligne pour un de ses livres. 25ème pour un autre. 

294ème pour son dernier. Je n'habite qu'un plate 450.

Serge Bouchard est un ange qui touchait tout le monde ici.