Robert Frost – La route non prise

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Deux routes divergeaient dans un bois jaunissant,
Et triste de ne pouvoir voyager par les deux
Et n’être qu’un seul voyageur, je fis halte longtemps,
Et aussi loin que je pus, jusqu’à son tournant
Dans le sous-bois, j’en suivis l’une des yeux ;

Puis je pris l’autre, semblant tout aussi belle,
Et qui avait peut-être plus de grâce,
Car herbeuse et ne montrant trace de trop de semelles ;
Bien que, pour cela, le passage avait sur elles
Laissé, au vrai, à peu près autant de traces,

Et que les deux étaient en ce matin
Couvertes de même de feuilles noircies d’aucun pas.
J’ai gardé pour un autre jour la première, aussi bien !
Mais sachant comment l’on va de chemin en chemin,
Je doutais de retourner jamais là-bas.

Je vais conter ceci, des soupirs dans la voix,
Quelque part, d’ici des années et des années :
Deux routes divergeaient dans un bois, et moi –
J’en ai pris une, la moins voyagée qui soit,
Et de là toute la différence est née.

*

The Road Not Taken

Two roads diverged in a yellow wood,
And sorry I could not travel both
And be one traveler, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;

Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that the passing there
Had worn them really about the same,

And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day!
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.

I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I-
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.

***

Robert Frost (1874-1963)Mountain Interval (1916) – Les forts ne disent rien & autres poèmes (Ressouvenances, 2018) – Traduit en vers par Claude Neuman.