(Anthologie permanente) et (Note de lecture) Mireille Gansel, Le Temps des arbres

Par Florence Trocmé


Mireille Gansel publie Le Temps des arbres aux éditions de la Coopérative.
NDLR : ce livre repose sur un diptyque. Première partie « Entrer dans le temps des arbres », titre qu’il faudrait prendre au pied de la lettre. Et « A Anna Akhmatova », une de ces figures-clés qui peuvent accompagner toute une vie, voire la porter en partie.
Entrer dans le temps des arbres, c’est se laisser prendre par le temps long, le temps presqu’immobile de l’arbre, lui qui ne peut bouger. Mireille Gansel se laisse faire en quelque sorte par le temps de l’arbre, l’écoute et le transcrit en poèmes courts, parfois même en deux lignes seulement : « écoute le silence / de la feuille qui tombe ». Non, il ne faut pas comparer, à mon sens, avec le haïku. Même si Mireille Gansel a vécu au Vietnam, même si elle a traduit des poètes vietnamiens, il me semble qu’on est plus proche ici des grandes intuitions de la poésie allemande, qui est son autre grand champ de traduction. Cette première partie se compose de 44 poèmes, notes brèves sur les arbres, observation de tel ou tel arbre particulier, ici un gingko, là des plaqueminiers de Virginie, ici un marronnier. Il s’agit « d’être arbre / avec les arbres ». Ce livre a été écrit alors que la forêt amazonienne était dévastée par d’immenses incendies et puis ce fut le tour de l’Australie et celui du nord de la Thaïlande.
La seconde partie dans laquelle on entre comme naturellement venant du domaine des arbres est comme une lettre à Anna Akhmatova : là encore il s’agit « d’écouter les yeux fermés / en marchant dans les nuits de l’absence ». Et de recueillir dans les poèmes ces lettres qui « donnent âme / à toute chose la plus menacée ».
Quelques extraits du livre :
dans le parc ce matin
la silhouette d’un tout jeune
sous sa capuche noire et le vent sauvage
adossé à un arbre
face aux vagues déchaînées
à deux pas des eaux couleur terre
un arbre
avec un a comme abri appui ami
comme dans son pays.
(31)
/
le long de l’estran
dans le jusant
de la mer de Tasman
est-ce un os évidé par le sel et le vent
une pierre usée par l’eau et les sables
grand comme la paume
doux et lisse
un débris d’arbre
couleur de terres et de cendres
ce bout de bois
bout du monde
là sur la table de travail
20 février 2020
(p. 41)
/
4
ce sont vos arbres qui m’ont emmenée
écrits à l’encre de sève
on s’y déchire le cœur en passant
sorbiers féroces tout ensanglantés
et les pins à la fenêtre murmurent entre eux
et le saule argenté et ses branches en pleurs
17-31 mars 202
(p. 60)
15
moins dix-huit
ce 13 mars 1966
ils sont tous réunis
vos enfants en poésie
dans cette clairière
qu’ils ont choisie
pour votre dernière maison
sous des pins
2-4 février 2021
(p. 71).
Mireille Gansel, Le Temps des arbres, La Coopérative, 2021, 80 pages, papier Salzer bouffant 90 g, broché, 12€