Fernando Pessoa – Si je meurs jeune…

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Si je meurs jeune,
Sans avoir publié aucun livre,
Sans voir à quoi ressemblent mes vers en caractères d’imprimerie,
Je demande, si l’on veut s’attrister sur mon sort,
Que l’on ne s’attriste pas.
S’il en est ainsi, c’est bien ainsi.

Même si mes vers ne sont jamais imprimés,
Ils auront toujours leur beauté, s’ils sont beaux.
Mais ils ne peuvent pas être beaux sans être imprimés :
Les racines peuvent être sous la terre
Mais les fleurs éclosent à l’air libre et à la vue de tous.
C’est forcément comme ça. Rien ne peut l’empêcher.
Avoir de la beauté, c’est montrer la beauté.
Comment cela serait-il possible sans se montrer ?

Si je meurs très jeune, écoutez bien ça :
Je n’ai jamais été qu’un enfant qui jouait.
J’ai été païen comme le soleil et comme l’eau,
D’une religion universelle que seuls les hommes n’ont pas.
J’ai été heureux parce que je n’ai rien demandé,
Que je n’ai pas cherché à trouver quoi que ce soit,
Ni trouvé qu’il y avait d’autres explications
Que de ne trouver aucun sens au mot explication.

Je n’ai désiré qu’être au soleil ou sous la pluie —
Au soleil quand il y avait du soleil
Et sous la pluie quand il pleuvait,
(Et jamais l’inverse)
Et ressentir la chaleur, le froid et le vent,
Sans chercher plus loin.

Une fois, j’ai aimé, j’ai cru qu’on m’aimait,
Mais je n’ai pas été aimé.
Je n’ai pas été aimé pour une seule bonne raison.
Parce que je n’ai pas été aimé.

Je me suis consolé en retournant tout seul au soleil et sous la pluie,
Et en m’asseyant à nouveau sur le pas de ma porte,
Les champs, en fin de compte, ne sont pas aussi verts pour ceux qui sont aimés.
Que pour ceux qui ne le sont pas.
Ressentir, c’est avoir l’esprit ailleurs.

*

Se eu morrer novo,
Sem poder publicar livro nenhum,
Sem ver a cara que têm os meus versos em letra impressa
Peço que, se se quiserem ralar por minha causa,
Que não se ralem.
Se assim aconteceu, assim está certo.

Mesmo que os meus versos nunca sejam impressos,
Eles lá terão a sua beleza, se forem belos.
Mas eles não podem ser belos e ficar por imprimir,
Porque as raízes podem estar debaixo da terra
Mas as flores florescem ao ar livre e à vista.
Tem que ser assim por força. Nada o pode impedir.

Se eu morrer muito novo, oiçam isto:
Nunca fui senão uma criança que brincava.
Fui gentio como o sol e a água,
De uma religião universal que só os homens não têm.
Fui feliz porque não pedi coisa nenhuma,
Nem procurei achar nada,
Nem achei que houvesse mais explicação
Que a palavra explicação não ter sentido nenhum.

Não desejei senão estar ao sol ou à chuva —
Ao sol quando havia sol
E à chuva quando estava chovendo
(E nunca a outra coisa),
Sentir calor e frio e vento,
E não ir mais longe.

Uma vez amei, julguei que me amariam,
Mas não fui amado.
Não fui amado pela única grande razão —
Porque não tinha que ser.

Consolei-me voltando ao sol e à chuva,
E sentando-me outra vez à porta de casa.
Os campos, afinal, não são tão verdes para os que são amados
Como para os que o não são.
Sentir é estar distraído.

7-11-1915

***

Fernando Pessoa (1888-1935) – Poèmes jamais assemblés d’Alberto Caeiro (Unes, 2019) – Traduit du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade & Fabienne Vallin.