James Baldwin : If Beale street could talk

Par Gangoueus @lareus

J’avais déjà, par le passé, chroniqué deux ouvrages écrits en lingala. Je compte renouveler l’expérience prochainement. Pour l’heure, j’aimerais vous proposer la lecture d’un roman lu dans sa version originale en anglais (Etats Unis), d’un très grand écrivain Américain : James Baldwin.

Lecture d'un roman en anglais

Rien ne vaut une lecture d’un texte dans sa langue originale. Même si vous ne maîtrisez pas très bien cette langue. J’en discutais récemment avec une amie youtubeuse qui connait le travail de James Baldwin et m'expliquait la nécessité de confronter la traduction au texte original. Il y a une quinzaine d’années, j’ai lu un recueil de nouvelles de cet auteur, Face à l’homme blanc, et j’avais tellement été déçu que j’avais alors pensé pendant longtemps que l’écrivain américain était surcoté. Jusqu’à ce que je lui donne une seconde chance avec La prochaine fois, le feu. Et là, James Baldwin m'a retourné le cerveau, confirmant la puissance de son écriture.
If Beale Street could talk se passe à New York. Dans un quartier afro-américain de la ville mythique. La partie One du roman intitulée Troubled about my soul est totalement écrite au prétérit. Ce qui est très intéressant pour constater qu’on garde encore un bon souvenir des verbes irréguliers. Ce passé n’est pas si lointain que cela. Ici l’auteur raconte par la bouche de Tish Rivers, une jeune post-adolescente afro-américaine, sa rencontre avec le jeune artiste Antonio « Fonny » Hunt. Ils ont grandi dans le même quartier et se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Du moins, Tish se remémore ses plus lointains souvenirs de Fonny. 
«  I met  Fonny in the streets of this city. I was little, he was not so little. I was around six - somewhere around there - and he was around nine. They lived across the street, him and his family, his mother and two olders sisters and his father, and his father ran a taylor shop » 
Dans ce court extrait, vous pouvez mesurer de quelle manière la voix de Tish va orienter notre lecture. Un regard précis, parfois répétitif dans l’usage de certains mots. Une voix peu enjouée sans sombrer dans la tristesse. Les deux jeunes gens vont tomber amoureux l’un de l’autre à partir des 19 ans de Fonny. Ils sont très jeunes. Ce sont les benjamins respectifs des deux familles. Si la première rencontre de ces deux familles est complexe, tendue, explosive, elle vaut son pesant d’or sur le plan littéraire par le dialogue, la brutalité des visions différentes et le sens de la mise en scène de Baldwin. 
Alors que ce jeune couple construit son projet, Fonny est injustement accusé d'un viol par une jeune femme. Cette derniere déménage sur Porto Rico. Le roman bascule, passant alors au présent, pour conter le quotidien de ces deux familles qui tentent de défaire le couple de l’emprise du racisme systémique américain. Il faut situer ce roman à la fin des années 60, début des années 70 pour celles et ceux qui connaissent l'histoire des USA sur les questions raciales, pour comprendre la monstruosité, la complexité de ce pétrin.

Baldwin le Magnifique

Lire en anglais n’est pas un exercice aisé. A la différence du lingala qui est une langue que je maîtrise sans avoir eu l’habitude de le lire, l’anglais est une langue que j’emploie dans ma profession. Mais ici, les mots sont différents de ceux que j’utilise en informatique. Ce qui est normal, on parle de littérature. De la grande littérature. Baldwin décrit cet amour entre Fonny et Tish avec patience et passion malgré le contexte. Il y développe une science du détail avec des mots simples. Il décrit aussi l’environnement, le quartier, son atmosphère chargée de gospel et des nuages sombres du mauvais policier qui peut frapper à n’importe quel moment.
C’est un roman où l’amour est l’élément qui domine, qui pilote les relations entre les hommes et les femmes. Il y a une spiritualité profonde qui est questionnée par l’écrivain. Parfois sur le pharisaïsme de certains éléments du groupe. Mais aussi sur les énergies extrêmement positives, la mobilisation du clan pour trouver une issue favorable à la violence qui s’est abattue sur les deux tourtereaux. Je ne parlerai pas du final. L’écriture de Baldwin me fait penser à des très bons morceaux de soul music dont je ne cernais pas complètement le propos, mais dont je savoure l’émotion de la mélodie qui me poursuit encore à chaque stream. Peut-être parce que c’est l’un des rares romans afro-américains dont l’oppression systémique, l'esclavage ne sont pas le coeur du sujet. Mais, il est plutôt axé sur la connexion dans un groupe, la puissance de l’amour, de la rencontre de l’autre et il ne peut que toucher le lecteur. Ce roman parle aussi de peur, de haine, de la toute puissance d'un policier et de la faiblesse du système judiciaire.
Une difficulté toutefois : Suivre les flashbacks, les ruptures entre New York et Porto Rico, entre le passé et le présent, entre la prison et l'outside... Difficulté que Barry Jenkins a rencontré aussi, à mon humble avis, en procédant à l'adaptation de ce roman pour le grand écran.
James Baldwin, If Beale Street could talkEditions Penguin Fiction, première parution en 1974