Métal hurlant nouvelle formule 1 : un retour vers le futur plutôt enthousiasmant, même si...

Par Hectorvadair @hectorvadair
La célèbre revue Métal Hurlant revient, après ses heures de gloire entre 1975 et 1987, puis un premier Come Back sous petit format de 2002 à 2006. Un retour vers le futur plutôt enthousiasmant, même si...
Présenté sous forme d'un épais Mook de 290 pages, tout en couleur, cette nouvelle version est divisée en une partie rédactionnelle d'environ 50 pages puis le reste en récits illustrés complets. Cette première partie est elle-même  organisée entre entretiens :  avec Enki Bilal, Nicola Minvielle et Olivier Wathelet, Alain Damasio, Éric de Broché des Combes, Emanuele Coccia, William Gibson et enfin Patrice Van Eersel,  et autres articles sur les thématiques actuelles liées à la Science fiction. Le tout coordonné par Vincent Bernière et Nicolas Tellop.

Où l'on fera le point sur la circularité de l'espace et du temps, où l'on lira que "certes, le progrès existe bien mais les rechutes dans l'ignorance sont comprises dans le prix, car  "le temps s'écoule moins par cycle que par hoquets." Et que "la stratégie d'évitement face à l'oracle mauvais est typique de l'homme, qui doute dès qu'il redoute" (D. De la tour). Plus loin, Emanuele Coccia nous parle du rôle fondamental des végétaux et des insectes, et le fait que le monde est un jardin avant d'être un zoo. D'ailleurs, évoquant les végétaux les insectes et même l'homme, elle affirme : "Toute vie est métamorphose". Pour elle, aussi, "on n'habite jamais la ville, on n'habite qu'un chez soit. Les seuls à habiter la ville, ce sont les sans abris".  Pour William Gibson, "le secret de l'avenir consiste dans la multiplicité des passés" et Patrice Van Eersel évoque la Noosphère, la conscience collective des humains. Passionnant. 

Les récits quant à eux développent la thématique de l'anticipation proche. Mathieu Bablet ouvre le bal avec une sorte de suite à son dernier roman graphique Carbone et Sillicium, en reprenant le même genre de décors, pour évoquer l'incohérence des humains, s'auto détruisant. Pet Play de Diego Agrimbau et Lucas Varela évoque le rôle que les animaux pourraient prendre un jour dans notre société, tandis que le très Millerien (ou Munoz) Ciro Hernandez, dit Berliac, avec son noir et blanc profond,  dénonce les travers humains, et ses incohérences, tout en replaçant l'animal au cœur du récit. On est heureux de retrouver Merwan, (Mécaniques célestes chez Dargaud) sur scénario de Sandrine Bonini, dont le trait et les couleurs douces font passer un message clair sur notre incompétence à voir les choses telles qu'elles sont et où elles sont. L'animal est d’ailleurs encore présent. Jérémy Perrodeau, qui nous avait ravi avec ses romans graphiques SF très étranges et colorés chez 2024 nous embarque dans une plongée en eaux très profondes, à la découverte d'un monde inconnu.

Les Québécoises Samia Marshy et Lee Lai racontent avec talent dans un noir et blanc  très doux les jardins bio collectifs et leurs enjeux, dans Ces mains qui nous nourrissent . Le reste est à l'avenant, avec que du bon, et des récits sur les thèmes de l'énergie solaire, le recyclage des matières mortes, le déisme et l'holographie, la médecine clandestine et les avatars, (beau noir et blanc onctueux de Franck Biancarelli), la vaccination forcée, dans un récit osé et plus que d'actualité de Sylvain Runberg et Ingo Römling ; la domotique et ses dangers, (Matt Fraction et Afif Khaled), la vie après la mort ou plutôt la technologie de réplique numérique humaine, par Mark Waid et Julien Perron. Un peu le thème aussi des bons récits de Brian Michael Bendis, Xavier Maméjean et Sergio Salma, tandis que l'IA est abordée par Jerry Frissen. Belle époque quant à lui dévoile le travail magnifique de Roxanne Lumeret, dont on savoure l'influence d'un grand créateur tel Forest, dans sa faculté à nous présenter un sujet compliqué : la télépathie, en usant d'un registre humour décalé bienvenu.  Dans un esprit un peu similaire et tout aussi drôle, quoi que plus fanzine et underground dans le genre, Pierre Van Hiver critique notre société hypra connectée. Ugo Bienvenu se "contente" d'un clin d'oeil rigolo à son dernier album, en imaginant un robot érogène, alors que Adam Sillard propose 4 pages dans un esprit très Claveloux, plus illustratif que narratif. Fabien Vehlmann accompagné d'Alfred jouent aussi l'humour, en concluant dans une ode à l’amour vrai, nu, sans écrans interposés. 


D'une lecture particulièrement intéressante et agréable, la première partie permet de faire le point sur les questionnements les plus récents de nos sociétés, vis à vis du présent et de  l'avenir, à un tournant de l'occupation humaine sur Terre. Les sujets sont abordables, pas trop longs, et ouvrent de très belles perspectives, qui sont ensuite évoqués dans les récits qui suivent. Là, avec une grande qualité de scénarios et de rendus graphiques, tous plus originaux les uns que les autres, bien qu'une homogénéité toute typique de notre époque ressorte clairement, on se surprend à découvrir des noms d'auteurs totalement inconnus, étrangers ou français, parmi d'autres déjà repérés pour leurs travaux ayant fait date depuis une dizaine d'années environ. Car on ne trouvera pas de noms de "classiques" des vieilles écoles. Non. Ce Métal hurlant nouveau départ a l'ambition affichée de dévoiler les nouveaux talents d'aujourd'hui, qu'ils soient déjà reconnus dans de grands magazines internationaux ou édités chez de grandes maisons, ou...à l'instar d'Adam Sillard, dont c'est la première publication, ou Pierre Van hiver et son style bien fanzine underground, un peu moins. C'est au final à un banquet plutôt enrichissant auquel nous invitent les Humanoïdes associés et Vagator production, même si ce format Mook un peu propre sur lui dit beaucoup de la récupération (l'assimilation) d'un genre peu goûté jusqu'aux années 90 et qui a su s'immiscer partout depuis.  Ne faisons néanmoins pas la fine bouche, et attendons la suite : un numéro vintage pour retrouver des saveurs perdues, puis un autre de récits courts, puisque c'est le rythme annoncé : 4 numéros par an, en alternance de ce principe. ...Chiche ?
On veut bien voir et goûter en tous cas, ne serait-ce que pour se régaler de cette richesse créative apparente ! Une anthologie qui fait du bien, mais qui gagnerait (pour ses premiers lecteurs) à un peu plus casser les codes. Sinon, le métal n'hurle pas vraiment.
FG


Métal hurlant nouvelle formule 1, collectif Octobre 2021
Éditions Humanoïdes /Vagator production
288 pages (19,95€) - EAN : 9782731640373