Avedon et la profondeur de la surface

Publié le 01 août 2008 par Fuligineuse

Tous ceux qui s’intéressent à la photographie connaissent évidemment le travail de Richard Avedon. Il ne s’agit donc pas de découvrir quoi que ce soit, mais de dire ici tout le bien que je pense de l’exposition qui a lieu actuellement (et jusqu’au 28 septembre) au Musée du Jeu de Paume, couvrant l’ensemble de son œuvre, de 1946 à 2004.


Portrait d'Avedon par Irving Penn (DR)

On est accueilli à l’entrée par deux portraits de Beckett, datant de 1979. « Il y avait trois homme dont j’admirais le travail et que je voulais photographier : Bacon, Borges, Beckett », indique Richard Avedon (dans le le film projeté à la salle de documentation : extraits d’une conférence donnée par RA à Zurich en 1994). Il les a portraiturés tous les trois.

Les premières salles sont consacrées aux années 50-60, où il débute dans le métier avec des photos de mode : elles sont pleines de mouvement, de fantaisie, de gaité.

Puis on entre dans le vif du sujet : les portraits. En noir et blanc et en grand format, à peu près la moitié de ces portraits sont ceux de célébrités. Je me suis amusée à trouver un adjectif et un seul pour chacun :

Katherine Hepburn ébouriffée
Anna Magnani meurtrie
W.H. Auden neigeux
Buster Keaton sinistre
Isaac Dinesen (Karen Blixen) hallucinée
Janis Joplin hilare
Stravinsky accablé
Francis Bacon perplexe
Burroughs blafard


Portraits d’une intensité et d’une précision incomparables. Une salle entière consacrée à Andy Warhol et la Factory. Une image aussi dont la légende se passe de commentaires : « William Casby, né esclave », prise en Louisiane en 1963. Une série de photos de son père pendant ses dernières années.

« L’inexactitude n’existe pas en photographie.
Toutes les photos sont exactes. Aucune d’elles n’est la vérité. 
»
Richard Avedon

Au domaine des personnages publics appartient aussi la série The Family réalisée en 1976 pour le magazine Rolling Stone : l’Establishment, la nomenklatura américaine. « Je photographiais la structure du pouvoir », dit Richard Avedon.

 
Mais le plus remarquable reste sans doute la série In the American West, une commande pour l’Amon Carter Museum de Fort Worth, Texas, au début des années 1980. Des gens dits “ordinaires”, agriculteurs, ouvriers du pétrole, mineurs, serveuses, SDF. Tous regardent bien en face. Tous sont désignés par leur nom, prénom, profession (ou âge pour les plus jeunes). Fond blanc, neutre. Aucun décor.


« Le fond blanc isole le sujet par rapport à lui-même et à son environnement ; il permet d’explorer la géographie du visage, les continents inconnus du visage humain ». Richard Avedon

Et ces visages sont incroyablement prenants, présents, prégnants. Humains. Les yeux clairs, extraordinairement fixes et brillants, de Clifford Feldner, ouvrier agricole au chômage. L’air d’un loup de Juan Patricio Lobato, forain : yeux effilés, poitrine creuse. Le visage christique de James Story, mineur de charbon (ci-contre). Celui de Roberto Lopez, ouvrier pétrolier, qu’Avedon compare à un El Greco.

Une image étrange parmi ces portraits, celle d’un apiculteur, le torse nu, la peau blanche et couverte d’abeilles, impression d’étrangeté renforcée par le crâne chauve ou rasé du personnage (l’un des rares à ne pas être désigné par son nom).

« Mon sujet n’est pas l’Ouest ; j’aurais pu faire ces photos en n’importe quel lieu du monde. Ces portraits parlent des gens, comme tout ce que je fais. Peu importe l’Ouest. » Richard Avedon

Quelques portraits de VIP pour finir en douceur, avec un John Galliano en petit démon et trois beaux autoportraits de Richard Avedon en 2002 (il est mort en 2004).

Fuligineuse