Lascaux, la grotte préhistorique

Publié le 01 août 2008 par Argoul

Lascaux II est une reconstitution à l’identique de la grotte de Lascaux, à 200 m de l’original. La grotte authentique est trop fragile pour supporter les milliers de visiteurs avides de se frotter aux peintures si lointaines. Le paysage baigne dans le brouillard, laissant surgir de temps à autre au bord de la route de belles maisons de pierres apparentes aux toits périgourdins, carrés et pointus. Les hommes de Lascaux ont vécu dans un interstade, un climat tempéré humide avant le début des grands froids würmiens qui commencent vers –15 000.

Effet du dimanche ? Renom international ? Le fait est qu’avant même l’ouverture il y a déjà du monde au guichet. Il y aura un deuxième groupe immédiatement après le premier, dix minutes après le départ, chacun d’une trentaine de personnes. Le guide est clair et avenant. Nous commençons par un petit musée aux explications thématiques avant d’aborder la grotte, histoire de ne pas pénétrer ignorants dans le sanctuaire qui nous attend. Un peu de dramaturgie médiatique, précédée d’un mini-parcours scolaire, sont ce qui convient le mieux à l’esprit français : le goût de l’instruction disciplinée et l’imagination émotive, un peu superstitieuse.

Quatre adolescents de 13 à 18 ans qui cherchaient leur chien le 12 septembre 1940 ont découvert par hasard cette grotte, autrefois ouverte, dont l’auvent s’était écroulé, colmatée par une coulée d’argile hermétique. Leur instituteur, Léon Laval, de Montignac à 1 km du site, en a avisé l’abbé Breuil qui était lors « le » préhistorien reconnu. Pour lui, amateur d’« art », Lascaux était « la chapelle Sixtine » de la préhistoire avec ses 150 m de long et ses quatre galeries. Peut-être est-ce vrai. Ses quelques 1500 dessins et gravures datent entre -22 000 et -17 000, du Solutréen récent au Magdalénien ancien. Les fouilles du remplissage du Puits ont livré 35 lampes calcaires, un brûloir en grès rose contenant des cendres de conifères et de genévrier, 16 coquilles, 28 pièces d’os animaux (surtout de rennes), 112 silex taillés, des restes de bois de chêne de l’échafaudage nécessaire aux peintres. Fouillée par l’abbé Glory jusqu’à sa mort accidentelle en 1966, puis reprise par André Leroi-Gourhan et son équipe en 1975, l’étude de la grotte et de ses représentations n’a pas finie de livrer ses informations.

J’ai connu le professeur Leroi-Gourhan lors de mes campagnes de fouilles préhistoriques d’Etiolles, dans l’Essonne. « Le Patron » comme l’appelaient ses étudiants est venu plusieurs fois examiner le chantier depuis Pincevent, en Seine et Marne, où il fouillait depuis 1966 des campements de chasseurs de rennes magdaléniens. Leroi-Gourhan, mort en février 1986 de la maladie de Parkinson, était fascinant. Il parlait russe et chinois, il était à la fois docteur ès lettres et docteur ès sciences, anthropologue et préhistorien, fondateur du Centre de Recherches Préhistoriques de la Sorbonne en 1945 devenu aujourd’hui Laboratoire associé au CNRS et Professeur au Collège de France depuis 1968. Il a étudié statistiquement la répartition des figures dessinées et peintes et leur association dans les grottes ornées de la préhistoire. Il a observé un constant dualisme des figures et des signes, qu’il associe (là on entre dans l’interprétation) au dualisme masculin/féminin dont il fait un « universel » humain. Bisons, aurochs, triangles, ovales, rectangles et signes claviformes (en forme de clé) seraient « féminins » - tandis que chevaux, bouquetins, cervidés, mammouths, points, bâtonnets et signes barbelés seraient « masculins ». Ces figures complémentaires sont toujours associées dans les zones centrales des grottes peintes, mais les périphéries, les entrées, les fonds et les passages difficiles, sont uniquement l’apanage des signes « mâles ». Pourquoi pas ? La statistique participe de la démarche objective. L’interprétation symbolique de ses résultats n’est pas « scientifique » en tant que telle, même si ses hypothèses sont fondées. Mme Laming-Emperaire avait étrangement abouti à des conclusions inverses sur le sexe : le bison était masculin et le cheval féminin…

Laissons de côté les interprétations archaïques d’un 19ème siècle scientiste, colonialiste et imbu de lui-même. Mais ces idées de « l’art pour l’art » (Lubbock 1867), du « totémisme » (Frazer, Freud), de la « magie d’envoûtement » (Reinach 1903, Bégouen 1923), du culte de la fécondité (Breuil 1901-1952), de « l’enfance de l’art » (Luquet 1910-1938), prêteraient à rire si elles ne couraient encore dans le public comme auprès des média ignares. La faute à l’école, les vieilleries scolaires subsistant par inertie dans les manuels bien au-delà de leur validité scientifique. Le milieu enseignant, dominateur et sûr de lui-même en ce qu’il révère le Savoir comme une nouvelle religion, fonctionnant en caste très fermée, a une forte répugnance à désapprendre les stupidités. Même changés par les progrès de la connaissance, les savoirs premiers restent, tels des superstitions. « L’échange des femmes » de Laming-Emperaire, le pan-sexualisme de Leroi-Gourhan, sentent leur époque obsédée de sexe et de parenté à la suite de Freud et des structuralistes.

L’esprit des illustrations des grottes ornées nous reste à jamais inaccessible, mais comme ils ont été créés par des hommes comme nous (Homo Sapiens Sapiens), on peut inférer de l’observation des universaux humains quelques hypothèses. Chaque société a besoin de croire ; cette « religion » qui relie l’individu à la communauté, à la nature, puis au cosmos, se révèle par des symboles et se transmet par des mythes. Les symboles mythiques d’une population de chasseurs-cueilleurs composent un « art sacré » utilitaire, social, magique qui se révèle au plus profond des grottes, refuges des puissances animales (ours, tigres), « maisons » des hommes, matrices (images de l’utérus d’où sort l’enfant), obscurité originelle et finale, nuit au milieu du jour (obscurité naturelle) et jour au milieu de la nuit (illumination par torches et lampes).

Jean Clottes remet au goût du jour l’hypothèse chamaniste. Les prêtres de la préhistoires étaient selon son hypothèse des chamanes qui pouvaient entrer en contact avec les esprits. Ils prenaient pour intermédiaires des états de conscience altérée par des drogues, le jeûne, la fatigue, l’isolement, le rythme des danses et des sons. En état de transe, il auraient perçu des phénomènes hallucinatoires, signes géométriques, animaux déformés, formes amplifiées. Cette hypothèse est loin d’être absurde puisqu’attestée chez nombre de populations d’aujourd’hui (Inuits, Samoyèdes, Sans, Tungus). Il s’agit d’un cadre d’interprétation qui ne saurait être écarté - pas plus qu’il ne saurait être pris sans critique. Mais les réactions hystériques de déni (« ce n’est que de la magie »), de lèse-majesté (« Leroi-Gourhan était contre ») ou de polémique idéologique (le retour de l’irrationnel new age, le choc médiatique, voire la fascination pour l’obscurité mythique « nazie »), ne sont pas scientifiques. Ce sont bien pourtant les seules critiques à Jean Clottes venues du « milieu » des spécialistes…

Le comparatisme ethnologique est différent de la simple analogie car les hommes de Lascaux étaient de même espèce que nous-mêmes. Il ne s’agit pas de plaquer notre réalité sur la leur mais de tenter de se mettre à leur place – ce qui est parfaitement légitime même si l’analyse aiguë des hypothèses présentées est à faire et si d’autres hypothèses restent envisageables. Les faits ne parlent jamais d’eux-mêmes et toute explication n’est qu’une interprétation. Mais le monde préhistorique ne s’est pas arrêté à Leroi-Gourhan, quelle que soit la grandeur du chercheur et l’admiration que l’on peut avoir pour sa personnalité, sa démarche et ses travaux. Emmanuel Anati, Italien, formule l’hypothèse d’une véritable écriture, l’association systématique signe-image formerait un « message ». Steven Mithen, Anglais, suggère que les représentations animales servaient de supports mémoire aux chasseurs, d’informations pratiques sur les animaux pour mieux les chasser en période de pénurie. Chaque chercheur livre ainsi son interprétation en fonction de sa culture : passant par la parole pour l’Italien, utilitariste pour l’Anglais… Jusqu’à Iégor Reznikoff, de l’université Paris X Nanterre, que j’ai connu chanteur orthodoxe aux rencontres de la Sainte-Baume en 1982. Il a étudié la résonance du son dans les grottes de Niaux, Fontanet et Le Portel, en Ariège. Il montre que les lieux les plus sonores sont toujours peints ou ornés de signes. L’emplacement de certains signes ne se justifierait même que par la sonorité de l’endroit, mesurée à la voix humaine. Nous n’avons pas fini de découvrir des choses nouvelles, c’est ce qui fait l’attrait de l’existence !

La partie reproduite à Lascaux II (la salle des taureaux et le diverticule axial) est très réaliste et vaut vraiment la visite. Le gaz carbonique des respirations, l’humidité introduite depuis l’extérieur, les variations de température, les germes et spores des semelles des chaussures, ont rendu « malades » les peintures. Des algues vertes, de la mousse, des champignons ont poussé, de la calcite blanche a voilé les dessins. La grotte a été fermée en 1963 par Malraux. Le fac-similé a été inauguré en 1984 par Jack Lang. J’ai assisté aux premiers résultats de la stéréophotogrammétrie tentés par l’IGN avec le concours de Kodak et IBM. La première reconstitution grandeur nature sur une roche polyester des gravures du plafond de l’abside a été exposée au Grand Palais à Paris en 1980, dans l’exposition La vie mystérieuse des chefs-d’œuvre,la science au service de l’art. Je crois que la reproduction est l’avenir des grottes même s’il n’est pas utile de reconstituer l’ensemble à chaque fois.

A Lascaux II ne sont reconstituées que deux galeries de la caverne supérieure, la salle des Taureaux et le diverticule axial. Une coque en ferro-ciment a été installée dans une ancienne carrière et les peintures reconstituées par Monique Peytral avec les pigments et les procédés d’époque, dans leurs reliefs grâce à la stéréo en relief du procédé IGN, pour figurer la grotte originale. L’impression que nous avons est très forte avec un bon animateur et un éclairage suggestif. Elle ne saurait avoir la magie de l’authentique mais on peut faire assez de « spectacle » pour subjuguer les foules sans tordre la réalité. De toutes façons, les beaufs bardés de gosses ne peuvent comprendre que l’on interdise de se frotter aux parois, de toucher les dessins, voire de gratter les peintures pour « savoir si c’est du vrai ». Tant pis pour les puristes, il faut faire avec la bête humaine. Un Grottenland sur le modèle Disney est probablement la solution la moins mauvaise pour diffuser une culture populaire sans abîmer les originaux. Personnellement, je ressors ravis de cette visite, quand même plus vivante que les livres ou les films que j’ai ingurgités durant mes études d’archéologie. Et tant pis pour les ronchons !

Taureaux noirs et vaches rouges, petits chevaux à longs poils, corps de rhinocéros laineux, et mufle d’ours, cerfs aux ramures qui épousent le relief comme le font les ventres et souvent les pattes, cornes de face et têtes de profil – c’est un véritable dessin animé aux multiples perspectives qui s’étale sous la lumière des torches électriques. L’original devait bouger devant les yeux sous les flammes dansantes des lampes à graisse. Le feu, c’était la vie ; les flammes vacillantes donnaient l’illusion de bouger aux formes dessinées sur le relief du roc. Pour quelle cérémonies ? On ne sait pas. Initiation des jeunes guerriers ? Recueillement dans le sein de la terre-mère pour se la rendre propice ? Cérémonies de chasse ? Pratiques « magiques » pour attirer un gibier abondant et le prier de bien vouloir se laisser capturer pour nourrir les hommes ? Tout est possible et nous ne sommes réduits qu’aux conjectures, aucun témoignage ne pouvant subsister de ces temps si reculés. Les préhistoriens d’aujourd’hui sont obligés, au-delà des témoins matériels directs découverts lors des fouilles ou dans l’examen des sols de grottes, de procéder par analogie avec les observations ethnologiques des populations récentes restées au stade avant l’écriture et l’industrie. Mais ces peuplades archaïques ont, elles aussi, évolué depuis les millénaires qui nous séparent de Lascaux… On ne saura donc jamais.

Lascaux la grotte, histoire et sémiologie
Lascaux site du Ministère de la Culture
Lascaux site Hominidés
Lascaux site de la commune
Grottes ornées du Périgord
Jean Clottes, L’Art des cavernes préhistoriques, Phaidon 2008, 352 pages, 300 illustrations
Interview de Jean Clottes dans la revue Sciences & Avenir, août 2008 (en kiosque jusqu’à fin août), 4€