El Mercenario

Par Tepepa

Il Mercenario
1968
Sergio Corbucci
Avec : Franco Nero, Tony Musante, Eduardo Fajardo, Jack Palance
La révolution gronde au Mexique. Le pauvre péon Paco Roman (Tony Musante) fait bouffer du lézard aux riches (Eduardo Fajardo) avant de leur faire manger les pissenlits par la racine. Mais au Mexique espagnol, des pissenlits y’en a pas ! Alors on importe des plombiers polonais (Franco Nero) – qui préfèrent faire bouffer leurs dés aux tricheurs – pour les aider à mitrailler l’armée Mexicaine avec classe ! Tout ça sous de beaux paysages.
A force de re-visions (Saludos Hombre, Le dernier jour de la colère, les Ringo) et de visions de films moyens voire très moyens (Amigo mon colt a deux mots à te dire, Les vengeurs de l’Ave Maria), on en a fini par oublier ce que nous avons ressenti il y a plus de vingt ans en découvrant Sergio Leone : l’excitation, la jubilation, l’émotion, les frissons. Avec El Mercenario, on y est enfin ! Je ne vais pas forcer l’enthousiasme et tenter de vous faire croire que Sergio Corbucci atteint là la perfection Leoniene, mais vraiment, en terme de qualité, on n’en est pas loin.


Excitation, par exemple avec ce flash forward initial dans une arène, symbole parfait de la latinité du western spaghetti et de son absence totale de remord à détourner les codes du genre : un western qui commence dans une arène ne peut pas être totalement mauvais.

Jubilation par exemple devant un lot plutôt plus élevé que la moyenne de mitraillages de l’armée Mexicaine, malgré les canons, les voitures et les avions : un film qui met tant d’entrain à démolir une armée de dictature ne peut pas être complètement mauvais.

Emotion par exemple lors de cette séquence rythmée par les sifflements et les schtouings de guitare de Ennio Morricone où, le mercenaire Franco Nero fait appliquer son odieux contrat à la lettre, tandis que le bouclé Jack Palance chevauche on ne sait où et se signe en passant devant une statue du Christ. Un film qui met de l’application dans les petits détails ne peut pas être complètement mauvais.

Frissons par exemple lorsque Franco Nero arrive dans une mine remplie de pendus. Frisson de la mort, frisson de l’exagération, frisson de l’esthétisme outrancier. Le western spaghetti, c’est ça, c’est un frisson de plaisir morbide, et même si ça peut faire grincer des dents les gens bien équilibrés, ça fait vraiment du bien d’assouvir un frisson de plaisir morbide en regardant un western spaghetti bien monté et bien réalisé. Et c’est tout ce qu’on veut : des morts, un peu de cynisme, un brin d’ironie, un poil d’humour, une petite musique entêtante. Alors d’accord, on trouvera tout ça dans tous les westerns spaghetti, mais c’est le dosage qui fait tout. Et dans El Mercenario, le dosage est parfait, les bonnes idées ne sont pas gâchées par des détails foireux, l’humour n’est pas gâché par un cabotinage délirant, l’excès de mortalité ne transforme pas la violence en jeu sans enjeu, le discours politique n’est pas un vernis sans intérêt.

Et pour mieux comprendre l’importance subtile de cette histoire de dosage, il suffit de comparer El Mercenario à son illustre successeur : Compañeros, du même Sergio Corbucci. L’histoire est la même : un péon un peu benêt devient un révolutionnaire aguerri grâce à la rencontre d’un Européen bien sapé expert en armes. Même discours politique de gauche de derrière les fagots, même réputation flatteuse, le premier est pourtant bien supérieur au deuxième ! Et tout cela pour une simple petite histoire de dosage qui suffit parfois à faire passer un film du coté obscur de la farce. Prenons déjà le costume de Franco Nero : dans El Mercenario, c’est la classe ultime : un long cache poussière agrémenté d’un chapeau style soldat américain de la première guerre mondiale (c’est ce que ça m’évoque, je ne prétends pas qu’il s’agisse vraiment d’un chapeau de soldat américain de la première guerre mondiale). Ça reste crédible, tout en étant élégant et adapté à la situation climatique. La sape du Pingouin dans Compañeros est beaucoup plus nette, clean, et son surnom témoigne bien de l’inadaptation du costume aux lieux : on est passé du coté de la farce. Ensuite, il y a le personnage joué par Jack Palance : dans El Mercenario, Jack Palance est le Bouclé, un être réellement vicelard et inquiétant qui se signe à chaque fois qu’il descend ou fait descendre quelqu’un. Dans Compañeros, ses tics sont exagérés, son faucon et le délire visuel de ses hommes de main (le combiné téléphonique) font définitivement passer le méchant du coté de la farce. Dans El Mercenario, le discours politique est représenté par le personnage de Colomba (Giovanna Ralli), femme forte idéaliste pas dupe pour un sou des actions de brigandage des deux lascars mitrailleurs. Les harangues répétées de Colomba font éclore petit à petit la conscience révolutionnaire de Tony Musante, révélée avec brio lors de la séquence des procès. Dans Compañeros, les révolutionnaires sont des non-violents utopistes vaguement ridicules, dont on prête à peine attention au discours, parce qu’on est passé du coté de la farce. Enfin, dans El Mercenario, Tony Musante apporte candeur, naïveté et crédibilité à son personnage. Dans Compañeros, Tomas Milian fait son show habituel, tics, grimaces, cabotinage, et on peut dire qu’il y est parfait, mais qu’il fait définitivement basculer le film du coté de la farce. El Mercenario évite le gavage de farce et se permet ainsi d’offrir au spectateur un subtil équilibre entre morbidité, violence, politique et émotion. Compañeros déséquilibre les ingrédients au profit de la farce libertaire. Et quand on sait que Compañeros est malgré tout un très bon film, la conséquence logique est évidente : fans de westerns spaghetti, courrez tout de suite voir El Mercenario, parce qu’il fait vraiment partie de ce qui s’est fait de mieux après les Sergio Leone !

Une fois de plus, le péon gagne, le pouilleux ridicule dans ses guenilles montre à l’occidental revenu de tout qui est le plus humain et qui est le plus sincère. La faim, la mort, la violence font partie intégrante de cet univers de divertissement populaire qui n’oublie jamais de caresser son public dans le sens du poil, et c’est tant mieux. Si Il était une fois la révolution reste à mes yeux le meilleur western Zapatta, il est clair que l’existence de cet illustre prédécesseur qu’est El Mercenario (sans oublier le non moins illustre El Chuncho) dans lequel on retrouve quasiment tous les thèmes et toutes les idées du film de Leone fait redescendre celui-ci d’un bon cran dans l’estime que je peux lui porter, tant il semble à présent que Leone se soit contenté de faire un remake des westerns Zapatta existants avec son savoir faire habituel. Rendons à César ce qui appartient à César: El Mercenario est un film à ne pas manquer!

Où le voir: Alors Wild Side nous avait promis un DVD, mais il semblerait qu'ils s'y soient cassé les griffes. Résultat, j'ai fini par me rabattre sur un enregistrement de la TV numérique de qualité plutôt correcte, mais manquant singulièrement de couleurs.