Honneur à la résistante Noëlla Rouget

Publié le 21 novembre 2021 par Sylvainrakotoarison

" Pour que vous puissiez prier pour moi, ainsi que ma chère Noëlla, je suis mort en chrétien, avec l'espoir de vous retrouver, peut-être un jour, dans un au-delà très beau, très pur. " (Adrien Tigeot, le 13 décembre 1943 à Angers).

L'ancienne résistante et déportée française Noëlla Rouget est morte à Genève il y a un an, le 22 novembre 2020, deux jours après un autre résistant, Daniel Cordier. Elle allait avoir 101 ans le mois suivant, née le 25 décembre 1919 à Saumur. Son histoire est commune à plusieurs centaines ou milliers de jeunes femmes françaises sous l'Occupation, elle n'en est pas moins chaque fois un exploit, une tragédie du passé et une chance pour l'avenir.
Toujours cette génération des 20 ans en 1940. Sa famille était de classe moyenne et catholique pratiquante (son grand frère était prêtre). Elle a passé son enfance à Angers dans un pensionnat et a fait du scoutisme. Elle voulait faire des études de lettres quand la guerre est survenue. En attendant, elle était institutrice quand la France s'est effondrée, à la Débâcle.
Elle a entendu parler de l'appel du 18 juin quelques jours plus tard à Angers par un garçon qui distribuait des tracts appelant à la Résistance. Tout de suite, le courant était passé, Noëlla Rouget s'est engagée dans la résistance, d'abord avec une activité de militante (dactylographie, distribution de tracts). Petit à petit, elle prenait des responsabilités comme agente de liaison, elle transportait des valises sans en connaître le contenu (entre autres, des armes). Les femmes étaient souvent utilisées pour ce genre d'action car les nazis ne les pensaient pas capables d'actes de résistance. À Angers, son réseau Honneur et Patrie était très bien implanté avec un grand nombre de femmes. En 1942, Noëlla Rouget fit partie aussi d'un réseau de résistance anglais, la double appartenance était assez fréquente.
Son contact à Angers était René Brossard. Comme tous les jeunes gens qui résistaient, leur groupe était parfois imprudent et certains avaient même dans leurs affaires la liste de leurs contacts. Beaucoup d'entre eux ont été arrêtés et incarcérés à la prison d'Angers. René Brossard était un jeune instituteur qui fut arrêté et torturé, tué le 23 octobre 1943.
Un de ses collègues Adrien Tigeot, 20 ans, qui aurait bien voulu poursuivre ses études en ethnologie, a été arrêté le 7 juin 1943. On a retrouvé des tracts communistes chez lui, il avait cambriolé avec d'autres les mairies du coin (pour fabriquer des faux papiers d'identité), il avait une arme et s'est enfui de l'école dès qu'il a vu qu'on était venu le chercher (mais il fut arrêté quelques minutes après). Il est mort fusillé le 13 décembre 1943 avec d'autres camarades, après un pseudo-procès expéditif. Peu avant son exécution, Adrien Tigeot avait eu la possibilité de rédiger une lettre à sa famille. À la fin de la lettre, il évoquait Noëlla : " Donnez la lettre à Noëlla seulement quand elle sortira de prison. Merci. Recevez-la comme si elle était ma petite femme adorée, mais laissez-la vivre, m'oublier, aimer... ".
Car effectivement, Noëlla Peaudeau (c'était son nom de naissance) avait été également arrêtée, le 23 juin 1943 et emprisonnée à Angers. Elle était la fiancée d'Adrien et ils avaient même déjà publié les bans. Les derniers mots d'Adrien Tigeot sont très émouvants car tragiques et passionnément amoureux : laissez-la vivre, m'oublier, aimer. Ces drames humains furent très nombreux pendant cette période.

Elle, au même moment, n'était de toute façon plus à Angers. Elle avait été transférée à Compiègne le 9 novembre 1943, puis, le 31 janvier 1944, elle a quitté Compiègne pour le camp de Ravensbrück (à une centaine de kilomètres au nord de Berlin). C'était un camp d'extermination conçu pour les femmes et les enfants. Noëlla Rouget a mis trois jours pour faire le voyage dans des conditions terrifiantes.
Le séjour à Ravensbrück fut tout aussi terrifiant. Elle a dû travailler dans des conditions très difficiles et au moins deux fois, épuisée, elle a échappé à la chambre à gaz grâce à la solidarité d'autres déportées. À cette occasion, elle a fait la connaissance de Denise Vernay (qui était la grande sœur de Simone Veil), elle était résistante au Plateau des Glières, elle a fait aussi la connaissance de Geneviève Anthonioz-De Gaulle (la nièce du Général De Gaulle) et Germaine Tillion (qui fut panthéonisée le 27 mai 2015, seulement un cercueil vide car la famille s'était opposée au transfert du corps, et qui fait l'objet d'un procès en canonisation). Ces quatre femmes sont devenues des amies avec des liens très profonds, évidemment, après la guerre. Elles avaient vu, entre autres, la mère Germaine, Émilie Tillion partir vers la chambre à gaz. Sans jamais en revenir.
Noëlla Rouget a eu un peu de chance dans son malheur car elle n'a pas attendu la capitulation allemande pour être libérée. Elle a fait partie des 300 femmes françaises qui furent libérées dans le cadre d'un échange de prisonniers. Elle a quitté le camp de Ravensbrück le 5 avril 1945. Après un long voyage qui l'a fait passer par Kreuzlingen en Suisse le 9 avril 1945 et Annemasse le 11 avril 1945, elle est arrivée à la gare de Lyon à Paris le 14 avril 1945 où les attendait, sur le quai de gare, De Gaulle particulièrement ému. Elle a retrouvé sa famille à Angers le 16 avril 1945 après un an et demi d'absence, heureuse que sa famille n'ait pas été touchée par les bombardements.
Profondément malade (elle a eu la tuberculose à Ravensbrück), Noëlla Rouget est partie dans le canton de Vaud, en Suisse, en montagne, le 3 septembre 1945, pour reprendre des forces. Il y avait là aussi d'autres déportées. Elles ont créé l'Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR). Elle a séjourné trois mois au chalet La Gumfluh à Château-d'Œx où elle a inauguré une plaque commémorative bien plus tard, le 15 juin 2016, pour rendre hommage aux anciennes déportées venues se poser dans ce chalet et aux personnes qui les ont accueillies et aidées. André Rouget, de Genève, l'a rencontrée et ils se sont mariés en 1947. Dès lors, pour Noëlla, la vie fut basée à Genève (pendant tout le restant de sa vie) et elle s'est occupée de leurs deux enfants.
Comme Simone Veil qui l'expliquait très bien dans son autobiographie, et comme la plupart des anciens déportés, Noëlla Rouget n'avait aucune envie de parler de ce qui s'est passé dans son camp d'extermination. Le côté incroyable, sidérant, faisait qu'ils risquaient de ne pas être crus. Ils préféraient regarder l'avenir, sans oublier, mais ne pas rester dans le passé. D'ailleurs, rien que la présenter comme ancienne résistante et déportée laisse entendre qu'après 1945, elle n'a plus jamais rien fait. En fait, elle a vécu surtout à partir de 1945, mais sa vie devenait alors ordinaire.

Une vingtaine d'années après, les mauvais souvenirs sont revenus en surface à cause de l'arrestation en 1962 et du procès en 1965 de celui qui les avait fait arrêter et avait fait fusiller son fiancé André Tigeot, à savoir Jacques Vasseur, le chef de la gestapo à Angers. Après la guerre, il vivait clandestinement à Lille. Noëlla Rouget avait toutes les raisons d'en vouloir à cet homme qui a doublement détruit sa vie, et pourtant, elle a fait preuve d'une extrême générosité. La cour de sûreté de l'État a condamné à mort Jacques Vasseur, sans surprise puisqu'il avait déjà été condamné à mort par contumace.
Noëlla Rouget a en effet écrit au Président de la République, qui n'était autre que De Gaulle, pour lui demander grâce. Auparavant, elle avait écrit au président du tribunal : " Dans quelques jours, commencera la phase finale du procès : le réquisitoire et la condamnation. Cette condamnation risque d'être, je le crains, la peine capitale. Devant une telle éventualité, je me sens tenue, en conscience, de vous exprimer ma pensée. Les horreurs vécues sous le régime concentrationnaire m'ont sensibilisée à jamais à tout ce qui peut porter atteinte à l'intégrité tant physique que morale de l'homme et j'ai rejoint les rangs de ceux (...) qui font campagne pour l'abolition de a peine de mort. ". C'est l'un des plus beaux plaidoyers contre la peine de mort. Elle a été écoutée. La grâce a finalement été accordée par De Gaulle, qui était venue l'accueillir à sa libération.

À partir de 1986, soit plus de quarante après la fin de la guerre, Noëlla Rouget s'est engagée dans une entreprise de présentation de la Shoah aux jeunes générations. C'est à partir des années 1980 que le mouvement négationniste s'est développé, en France mais aussi en Suisse et ailleurs. C'était redoutable lorsqu'il s'agissait d'enseignants négationnistes. Alors, Noëlla Rouget a pris son bâton de pèlerin et a commencé à rencontrer dans les écoles les enfants et les adolescents pour leur expliquer ce qui s'est passé dans les camps d'extermination. Son champ géographique était autour de Genève, y compris en Haute-Savoie et dans l'Ain. Elle est allée aussi dans les paroisses. Elle a ainsi passé trente années de sa vie à témoigner, à faire des conférences, à tout faire pour que cette tragédie ne soit pas oubliée par les jeunes générations.
À son enterrement le 9 décembre 2020 en l'église Sainte-Thérèse de Genève, le gouvernement français était représenté pour honorer la mémoire de Noëlla Rouget, en les personnes de Geneviève Darrieussecq, Ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants ainsi que du consul de France à Genève. Quelques mois auparavant, le 7 février 2020 à Genève, le général Benoît Puga lui avait remis les insignes de Grand-croix du l'Ordre national du Mérite. Méditons son exemple et louons sa bravoure et son courage.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2021)
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Pour aller plus loin :
Noëlla Rouget.
18 juin 1940 : De Gaulle et l'esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Témoignage : mon 11 novembre, le songe de l'histoire.
Lazare Ponticelli, le dernier Poilu.
Chasseur alpin, courageux jusqu'au bout de la vie.
Les joyeux drilles de l'escadrille.
10 et 11 novembre 2018 : la paix, cent ans plus tard.
La Grande Guerre, cent ans plus tard.
Hubert Germain, le dernier Compagnon.
La Libération de Paris.
Fête nationale : cinq ans plus tard...
Les 75 ans de la Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.

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