Danse avec Bachir

Par Melusine

Puisque nous parlons cinéma, voici un autre film à voir, un dessin-animé plus précisément, remarquablement bien fait d'un point de vue formel et excellent film... de propagande !? "Valse avec Bachir" (2008) est le récit entrecoupé de cauchemars et de souvenirs de guerre de l'enquête menée par le réalisateur israélien Ari Folman pour tenter de retrouver sa propre mémoire des événements de la guerre du Liban de 1982 (une opération cyniquement baptisée "Paix en Galilée" par l'armée israélienne). Folman, et c'est l'élément déclencheur de son enquête, réalise un jour qu'il n'a pas le moindre souvenir des événements terribles auxquels il a participé ou dont il a été témoin en tant que soldat de Tsahal et qui sont comme effacés de sa conscience. Les trous de mémoire des adeptes du devoir de mémoire...

Bande-annonce


Le propos, remarquablement servi par l'esthétique sombre du dessin d'animation, est plus universel que le "retour du refoulé" cher aux psychanalistes : la guerre, ses horreurs et ses traumatismes, et comment la mémoire/conscience s'en accommode, ou s'égare. En filigrane se dessine une critique de la politique israélienne au Liban qui culmine avec les images du massacre des camps de réfugiés de Sabra et Chatila (16-17 septembre 1982). Cependant, il reste toujours un point aveugle dans le champ de la conscience du réalisateur, aussi honnête soit-il et quelque efforts qu'il fasse. Le titre du film en témoigne qui met en avant la figure de Bachir Gemayel.
Bachir Gemayel, d'une famille de maronites chrétiens, chef charismatique des Forces libanaises et allié circonstanciel d'Israël, élu président du Liban, fut assassiné peu après, le 14 septembre 1982. Le massacre qui suivit est généralement attribué à ses troupes de phalangistes, comme une vengeance fanatique perpétrée sous le regard de l'armée israélienne qui laissa faire. Cette présentation des événements correspond grosso modo aux conclusions de la commission d'enquête israélienne, nécessairement partielles sinon partiales (rapport Kahane, 1983), mais elle fait fi du contexte et d'une responsabilité plus générale d'Israël dans la déstabilisation du Liban. Si la responsabilité immédiate des exécutions semble imputable à un groupe de FL manipulés, désorientés par la mort de leur chef et avides de vengeance, elle revient a fortiori aux manipulateurs qui les invitèrent à entrer dans le camp... parmi lesquels Ariel Sharon et un certain Elie Hobeika, soupçonné plus tard d'être un agent syrien infiltré, qui commandait le détachement FL à Sabra et Chatila.
Et puisqu'il est question de mémoire, il faut rappeler tous ces massacres commis à partir d'avril 1975 par les Palestiniens de l'OLP et leurs alliés syriens, dont furent victimes des milliers de villageois chrétiens (Damour, 20 janvier 1976, environ 750 morts, Chekka, 5 juillet 1976, 120 morts, etc.), des massacres pourtant bien documentés dont les noms ont disparu de la conscience occidentale...
Pour revenir au film, il échappe en fait au reproche de propagande, inévitable s'agissant d'événements controversés, en préférant au documentaire pseudo-objectif une vision onirique et particulière mais qui finalement sonne assez juste et donne à penser, même si le héros-réalisateur ne recouvre pas complètement la mémoire.